Arc Antillais


Coeur Grenadine

Cœur Grenadine

 

 

Lundi 4 juillet 2011, en fin d’après-midi, Sahaya a rejoint brillamment le milieu marin. Pour la première nuit, nous restons accostés au quai du chantier, et le lendemain matin, nous rejoignons le mouillage. Nous y restons jusqu’au jeudi, le temps de refaire des courses, et de laisser le ciel se vider de quelques averses. Une nouvelle onde tropicale est annoncée, qui devrait nous tomber dessus le week-end. Mais ça semble assez versatile, une onde tropicale, car elle changerait finalement de cap. On décide donc d’appareiller jeudi, pour rejoindre Harpo qui doit être en principe mouillé à l’Ïle Ronde, à une dizaine de miles au sud de Carriacou. Le pilote automatique, qui s’était mis à remarcher, fait à nouveau des siennes. La panne ne s’est pas réparée toute seule donc, dommage, il va falloir regarder ça plus sérieusement à Grenade ... Deux bateaux sont mouillés devant la petite plage abritée sous le vent, Harpo, et Khaya, un joli bateau en bois moulé entièrement construit par Jean-Luc et Caroline. Nous mouillons entre les deux. Philippe plonge, et déplace l’ancre de plusieurs mètres pour essayer de la poser dans une zone de sable. Les fonds ne sont pas terribles pour l’accroche, sable et graviers de corail, sur une dalle dure. L’île est petite, bien verte, mais les accès sont gardés par une végétation aux piquants rébarbatifs. On ira juste explorer la plage vers le nord, jusqu’à buter contre des pas d’escalade peu engageants sur du rocher friable et glissant. Rendez-vous est pris le lendemain matin avec Harpo pour aller plonger et chasser.

 

Arrivée à l'île Ronde

 

Il ne peut pas s'empêcher de grimper !

 

 

Des colonies d'escargots blancs en marche

 

 

 

C’est versatile une onde tropicale … Le lendemain, c’est elle qui a pris rendez-vous avec nous, et pour toute la journée. Mais quel déluge ! Et ça n’arrêtera pas. Ah si, un moment d’accalmie nous fait sortir le nez de nos tanières pour aller nous balader sur la plage, accalmie qui dure jusqu’au moment où l’on fait demi-tour. On fera le retour sous une pluie battante. Tant pis pour la chasse, et tant mieux pour les poissons.

 

L'onde est là ...

 

Samedi 9 juillet, l’onde semble passée, et nous appareillons le matin pour Grenade. Il faut compter une vingtaine de miles jusqu’à Saint-Georges, la capitale, nous mouillons à l’extérieur. Une balade en ville nous fait découvrir de nombreuses maisons délabrées, sans toit ni fenêtres, souvenirs du passage fracassant du cyclone Ivan en septembre 2004, qui a ravagé Grenade. De grandes constructions de type colonial, et même des bâtiments officiels, sans doute reconstruits ailleurs, sont laissés à l’abandon depuis. Bordées de maisons de bois, colorées, et pour certaines, branlantes et de guingois, des rues dévalent des pentes dures à la San-Francisco jusqu’à la ville basse, avec la gare routière et le marché. Si Grenade doit son nom aux Espagnols qui y ont vu des traits communs avec l’environnement de leur ville andalouse, les colons anglais ont laissé leur empreinte : la langue déjà évidemment, mais aussi un style, le portrait de la reine Elizabeth II sur les pièces et les billets, et des habitudes alimentaires (qui s’américanisent comme ailleurs) dont les rayons des supermarchés donnent un aperçu, et dans lesquelles on opère un tri sélectif : jellys aux couleurs pétantes, grand choix de cakes and cookies, de sodas, mais aussi de tisanes et boissons à base d’épices et de gingembre. Par la vertu de quelque accord commercial dont la limitation de l’empreinte carbone ne semble pas l’enjeu majeur, les laitages, beurre, cheddar et mozzarella, viennent de Nouvelle-Zélande. Grenade garde aussi le souvenir d’une lointaine occupation française dans des noms qui ont pour nous une consonance familière : Lance aux épines, Pointe du Petit Trou, La Sagesse Bay, etc. Enfin, c’est « l’île aux épices », et les étalages du marché de Saint-Georges en proposent un assortiment, en particulier de la cannelle et des noix de muscade. J’achète un paquet, le plus petit, mais qui pourra bien me durer au moins dix ans !

 

Départ de l'île ronde

 

 

 

Dans les rues de Saint-Georges

 

"Tu n'échoueras jamais tant que tu n'arrêteras pas d'essayer", une bonne maxime

 

Lundi 11 juillet, nous décollons de Saint-Georges pour un tour rapide dans Prickly Bay, mais Pollen nous conseille plutôt de pousser jusqu’au mouillage suivant de Hog Island, pour attendre le passage de la prochaine onde tropicale plus à abri des vents de sud-est. Dans la nuit, quelques rafales fortes mais courtes nous font sortir dans le cockpit pour un petit coup d’œil de vérification, mais sans plus. Et le matin, surprise au réveil tardif : on a dérapé de près de 20 m, notre voisin de derrière d’hier est devenu notre voisin de bâbord aujourd’hui, et on a eu de la chance de ne pas l’avoir embouti pendant la nuit … On remouille.

 

Le mouillage de Hog Island est un peu perdu, mais il est assez facile de rallier Prickly Bay et Saint-Georges en bus pour les courses, le marché, etc.

Après quelques jours de tentative de repos, Philippe se décide enfin à s’occuper de ce qui fâche : le pilote automatique. Après maintes réflexions, un diagnostique s’impose : ça pourrait bien être un problème de charbons sur le moteur de la pompe hydraulique. Philippe part donc à l’attaque dans les fonds arrière pour démonter la pompe. Opération réussie, il en extrait la platine portant les fameux charbons et effectivement la panne ne peut venir que de là : des charbons, il ne reste que d’infimes chicots, on se demande même comment ça pouvait encore marcher ! Reste maintenant à trouver les charbons adéquats depuis le fond d’un mouillage un peu perdu. Par chance (façon de parler !) Eric de Pollen vient d’avoir un sérieux problème de démarreur, mais il a une bonne connaissance sur le mouillage : un couple d’Anglais tourdumondistes sur un magnifique voilier en bois de 1904, 34 tonnes et 18 m, qui connaissent bien Grenade et les bons plans pour se sortir des problèmes. Ils nous indiquent un type qui semble se débrouiller de tout ce qui est électrique, dans une vieille baraque devant laquelle trône et traine un bric-à-brac de moteurs, machines à laver, etc. Eric y dépose son démarreur et Philippe la platine de charbons à changer. C’est ok on doit revenir le lendemain. Bien sûr pour nous, ce serait trop simple, les charbons sont trop petits, et il nous faudra y retourner encore deux fois pour que le gars nous trouve enfin les bons « brushes ». Il ne reste plus qu’a tout remonter et, miracle, ça marche !

 

Hog Island : un bon bout de route en annexe pour aller chercher le bus

 

4x4 maraicher

 

 

Au marché de Saint-Georges

 

Le temps passe, et nous revenons légèrement vers l’ouest, pour deux jours au mouillage de Mount Hartman Bay. Lundi 18 juillet, nous sommes de retour au mouillage devant Saint-Georges, avec Harpo et Khaya, et mardi 19 juillet, nous décollons pour une navigation groupée vers la Blanquilla, île au large du Venezuela, à environ 160 miles d’ici. Nous devrions y rejoindre Pollen, qui a pris de l’avance depuis samedi.


19/08/2011
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Ce qui est fait ... est à refaire

Ce qui est fait … est à refaire !

 

 

Jeudi 16 juin 2011 après-midi, Sahaya est bien calé au sec dans le Tyrrel Bay Yacht Haulout, prêtant le flanc à notre inspection tatillonne. Force est de constater que l’ancien antifooling et les coquillages ne sont pas les seuls à être tombés sous l’assaut du karcher … Des pans entiers de peinture se sont également décollés, aux mêmes endroits que l’année dernière, et que l’année d’avant encore … Toutes ces couches de peintures époxy bi-composants qui coûtent si cher et qui se détachent comme la peau épaisse d’un gros animal en pleine mue. Et nous revoilà une fois de plus retournés à cette fameuse première couche qui elle adhère bien à la tôle, mais sur laquelle les suivantes ne semblent pas vouloir tenir. C’est le mystère ? Il peut y avoir tellement de paramètres en jeu dans cette alchimie complexe qu’est la peinture : température, humidité, dosages, mélanges, voire même circulations électriques dans la coque acier ?

 

 

Bref, une fois de plus, ce qui est fait est à refaire, adage de mon cru, et qui pourrait s’ajouter (en toute modestie bien-sûr !) à celui d’Eric Tabarly, définissant le bateau comme « le moyen le plus lent, le plus cher, le plus inconfortable, pour aller d'un endroit où on est bien vers un autre où l'on n'a rien à faire ». Les premiers jours de chantier sont donc consacrés au décapage de la coque, à faire « sauter » ce qui en a envie, et à poncer jusqu’à la tôle pour décaper une bonne fois pour toutes cette foutue couche de primaire. Ce qui devait être un carénage rapide devient une semaine, puis deux, de vrai chantier. Les problèmes de peinture n’étaient pas prévus au programme, et notre stock de bord n’est pas suffisant. Pire, certains pots ont mal vieilli, et la peinture ne prend pas, il faut la racler ! Nous devons commander des peintures à Grenade. Le délai habituel est de deux jours, mais là ça en mettra trois car le ferry qui dessert Carriacou a dû en dépanner un autre, et nos pots n’ont pas été embarqués. Et puis, il faut jongler avec des créneaux météo assez courts : les ondes tropicales se succèdent tous les quatre jours en moyenne, avec des déluges d’eau qui nous enferment dans le bateau et transforment le chantier en vastes marécages alimentés par des torrents de boue. On avance toujours plus vers la saison cyclonique, il ne va pas falloir trop moisir ici … Carriacou compte deux trous à cyclones assez réputés des Caraïbes, mais on n’a pas du tout envie de les tester in situ ! L’antifooling que nous avions en stock est trop pâteux, il nous faut trouver le bon diluant (sujet de discussions : Laquer Thinner ou Brushing Thinner? chacun y allant de son argumentaire intuitif, scientifique, ou simplement basé sur sa propre expérience). Allez, on se décide pour le Brushing Thinner, trois pots commandés à Grenade qui arriveront demain midi, nous assure Paul. Et le lendemain, Paul arrive : « Pas de bol, le gars qui devait charger les trois pots sur le ferry a eu une réunion, il ne les a pas chargés. Demain midi ! ». Et le lendemain midi, Gérard et Fanou, de Harpo, viennent nous prêter main forte pour peindre l’antifooling. Les pots de diluant sont arrivés, les dilutions sont faites, on pose de concert les rouleaux sur la coque du bateau. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Ce fut la pluie qui tombât ! …

 

Bienvenue chez les Schtroumpfs

 

Des retouches de peinture en peau de léopard

 

Moi qui pensais que ce carénage permettrait de nous remettre dans le bain du voyage en nous « rappropriant » le bateau, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Comme si un génie malin s’évertuait à compliquer les choses à plaisir. Ré-accoupler l’arbre d’hélice et le moteur, ça prend, ça doit prendre ¼ d’heure, Philippe l’a déjà fait maintes et maintes fois … Là les clavettes ne veulent pas rentrer, et une fois à moitié emmanchées, ne veulent plus sortir. Au bout de plusieurs heures de ce traitement, atteignant les limites de sa patience pourtant légendaire, Philippe est à deux doigts de résoudre les problèmes de clavettes, d’arbre, d’hélice, de moteur, voire de bateau en général à coups de masse. Ajoutés à ça la chaleur, les nuits difficiles sous la moustiquaire assiégée de moustiques agressifs (et ces charmantes petites bêtes n’aimant pas le vent, où viennent-elles se réfugier ? dans le bateau !), et les sanitaires plus que rustiques du chantier, les troupes manquent d’entrain.

 

Philippe a alors la bonne idée de louer le premier étage d’une petite maison voisine du chantier. C’est celle d’un couple de Français installés à Carriacou depuis plus de 20 ans, Geneviève, masseuse, et Dominique, spécialiste en travaux d’aluminium qui œuvre sur un ancien trimaran transformé en atelier. Pendant une semaine, cet agréable pied à terre sera une vraie bouffée d’oxygène. Les propriétaires étant partis en bateau en Martinique pour récupérer leur fils, nous aurons plus ou moins en garde Dirty la chienne et Gros Bidon le chat, à fournir en croquettes, eau fraiche, et caresses. On profite aussi d’avoir la maison pour installer la machine à coudre sur la terrasse, ce qui me permet de faire des ateliers couture entre les ateliers peinture. Je couds souvent avec la pluie donc … D’abord l’artimon qui s’était décousu, puis le spi que je rends un peu plus sérieux et présentable qu’avec ses franges, un fantôme (c’est une espèce de « cuillère » à vent que l’on suspend juste derrière un hublot pour obliger l’air à entrer dans le bateau) avec des chutes de spi, les pavillons de courtoisie des pays d’Amérique du Sud sur la route, et quelques autres menues bricoles. Philippe alterne lui les ateliers peinture et soudure, et, entre deux séries de gouttes, fabriquera une chape articulée pour l’étai, et des bossoirs sous le panneau solaire arrière pour pouvoir remonter l’annexe le soir et pendant les petites navigations. Ainsi qu’un hublot ouvrant pour la casquette. Il changera aussi le presse étoupe,iol refera l’alignement du moteur et changera l’hélice pour une d’un pouce de pas de plus.

 

Atelier soudure

 

Brouette en partance avec l'atelier couture

 

Chargement vers la maison verte

 

L'atelier couture ...

 

... avec l'aide précieuse de Gros Bidon

 

Les utilserons-nous tous ?

 

La chambrette

 

La terrasse du "propriétaire"

 

Dirty à la plonge

 

Le confort de la maison la rend difficile à quitter, surtout pour retrouver le bateau et son élevage de moustiques un week-end de plus, puisque la pluie est arrivée en même temps que le diluant, et nous a fait louper le créneau pour remettre à l’eau.

 

Heureusement, contrebalançant le mauvais temps et la propreté douteuse (voire l’insalubrité avérée) des sanitaires, l’ambiance au chantier de Tyrrel Bay est très sympa. D’abord, il y a un troupeau de chèvres avec leurs chevreaux qui se balade, et aussi des poules et des coqs qui viennent picorer sous les bateaux. Les pêcheurs viennent y réparer et caréner leurs bateaux de pêche traditionnels et colorés, construits en bois. Ils enlèvent parfois de grandes surfaces de bois pourri, et changent les bordées, certaines débitées directement à la tronçonneuse dans des troncs d’arbres ramassés sur la plage. On fait connaissance avec deux Dominicains. Il y a Gas, qui travaille au chantier et nous dépannera bien en nous apportant un fond de pot de « Jotun » (de l’enduit-primaire époxy dont sont copieusement enduites les grandes barges en ferraille qui livrent du sable) dont nous tartinerons les « plaies » de Sahaya où la peinture a sauté. Il y a aussi Eddy, qui viendra nous aider à peindre. Eddy a pour projet de se construire un voilier en bois « à l’ancienne » et dont il nous montrera les plans, selon des techniques traditionnelles qui selon lui se perdent (les pêcheurs enlèvent les voiles de leurs barques et les remplacent par un gros moteur !), pour ensuite y habiter et faire du commerce de fruits et légumes. Et nous discutons aussi pas mal avec notre voisin de parking finlandais, Pekka, qui a déjà bien bourlingué (http://www.sarema.fi/) et dont le programme nous laisse songeurs : au moins lui, il n’a pas peur d’avaler des miles ! Son projet : Alaska to Alaska, en passant par le Brésil Buenos Aires, traversée de l’Atlantique vers l’Afrique du sud, traversée de l’océan Indien, puis Australie, Nouvelle-Zélande, et traversée du Pacifique, back to Alaska.

Un jour, on verra qu’un couple d’oiseaux est en train de préparer un nid dans le filet suspendu sous le panneau solaire. On serait restés longtemps à terre, on l’aurait bien laissé, mais là, on risque de se retrouver avec des becs orphelins à nourrir en pleine mer … Alors, me sentant un peu coupable quand même, j’enlève les brindilles tressées en cercle, presque sous l’œil accusateur des futurs parents perchés sur l’éolienne. Vraiment désolée !...

 

Les biquettes habituées du chantier

 

 

Des bordées taillées à la tronçonneuse

 

Eddy

 

Le nid en construction sous le panneau solaire

 

Hé non, il n'est plus là ...

 

Un oeil accusateur ...

 

Il y a aussi de la solidarité qui fait chaud au cœur : l’équipage d’Harpo qui vient en renfort pour l’antifooling, et Romain, qui tripatouillera les deux moteurs hors-bord avec Philippe.

Et des rencontres : une famille allemande (Hans, Eva, et leurs deux enfants Lola et Luca) sur un voilier alu, Kamiros, et avec un projet patagon (ils nous inviteront un soir à leur bord pour voir un film sur la Géorgie du Sud, histoire de nous motiver pour les hautes latitudes !), et Eric et Anne-Marie, sur leur bateau en bois Pollen, pour des soirées musicales guitares piano chant …

 

 

Gérard et Fanou, venus en renfort pour l'antifooling

 

Carriacou, c’est « le pays des récifs » pour les premiers habitants que furent les indiens Arawaks puis Caraïbes. L’eau potable, c’est l’eau de pluie seulement, il n’y a pas de sources. Tout le monde récupère l’eau, dans de gros réservoirs en plastique noir dressés près de chaque maison. L’année dernière avait été marquée par une sécheresse très sévère, et Carriacou avait dû faire venir de l’eau depuis Grenade.

L’approvisionnement est un peu fluctuant, dépendant des arrivages du ferry de Grenade. Sur de petits stands colorés en vert, jaune, rouge, les couleurs de la Jamaïque et du reggae (elles sont partout : maisons, voitures, bateaux, sandales, cheveux, …) plantés en bord de plage, des rastas cool vendent les productions de leurs jardins : concombres, calaloo (genre de grandes feuilles et côtes de bette), pastèques, mangues, papayes, …

De Carriacou, nous n’en verrons pas beaucoup plus, nous nous octroierons seulement deux petites balades pendant le temps du chantier.

 

Le mouillage de Tyrrel Bay vu depuis le chantier

 

Le bateau-atelier de Dominique

 

Little shop du Tyrrel Bay Yacht Club, près du chantier

 

Balade à la pointe sud avec Dirty

 

De délicates fleurs rose bonbon fichées dans de piquants coussins

 

Un pélican gris perché au bout du quai

 

Lundi 4 juillet, cette fois la mise à l’eau est pour aujourd’hui. Le moteur diésel du travel-lift semble bien poussif ? Philippe, avec son optimisme coutumier, pronostique : « Avec notre bol habituel, il va tomber en panne forcément aujourd’hui ». Mais non, il fume et démarre quand même, après que Paul y ait mis le nez et les mains pendant 10 minutes. Nous sommes en lévitation dans les bretelles, dérive descendue au maximum pour qu’on puisse travailler dessus. On laisse l’antifooling sécher quelques heures, puis nous voilà prêts pour la remise à l’eau, en milieu d’après-midi. Paul doit une fois de plus farfouiller dans les tripes huileuses du diésel …. A mon tour de jouer les Cassandres : et si l’on restait coincés là, à quelques mètres du sol ? Hé bien non même pas, crachant fumant, le portique nous dépose gentiment dans l’eau.

Et en plus, on flotte.

Ce qui ne gâche rien.

 

En lévitation ...

 

Alors, ça marche ou bien ?

 

Encore quelques mètres de promenade aérienne avant le retour à l'eau


18/07/2011
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Au sec !

Au sec !

 

 

Lundi 13 juin 2011, en début d’après-midi, Sahaya fait route vers le sud après avoir contourné la pointe de Sainte-Anne. Nous partons sous un grain, qui marque le début de l’arrivée d’une onde tropicale. Ce creux barométrique s’est formé au sud du Cap Vert, a traversé l’Atlantique, pour venir donner grosses averses et orages ici. Un peu plus tard dans la saison, il pourra donner naissance à un cyclone. Mais mi-juin, c’est encore tôt, en tous cas statistiquement parlant ! La navigation est agréable, nous traversons le canal de Sainte-Lucie et, la nuit approchant, nous décidons de nous arrêter pour dormir à Rodney Bay. Nous mouillons devant la plage, avec le chant des grillons en toile sonore.

 

Vers Sainte-Lucie

 

Le lendemain, nous décollons de bonne heure, avant le réveil des autorités, car nous n’avons pas fait les formalités d’entrée (la « clearance »). Après Sainte-Lucie, nous longeons les côtes verdoyantes de Saint-Vincent. C’est loin d’être la foule le long de la côte sous le vent, seuls quelques bateaux sont mouillés. A hauteur d’un village, on voit une barque de pêche armée d’un puissant moteur passer en trombe devant nous, un homme en tête de proue avec un fusil harpon, comme les baleinières … Les suivant des yeux, on voit qu’ils en ont après un troupeau de globicéphales ! Heureusement, ils ont été plus malins que les chasseurs, en tous cas tout le temps que nous avons pu les observer à la jumelle, plongeant dans les profondeurs quand la barque s’approchait d’eux pour réapparaître plus loin. Ça ne nous a pas tellement donné envie de faire relâche à Saint-Vincent … Quelques temps après, en fin d’après-midi, Eliot le pilote électrique a déclaré forfait d’un seul coup, et le pilote de secours n’a rien voulu savoir non plus, se mettant en alarme à peine branché. Ça c’est vraiment la grosse tuile … sans pilote, la navigation, surtout à deux, peut vite devenir une galère s’il faut barrer sans relâche … Je prends la barre, et on décide de faire escale pour la nuit, en allant mouiller à Port Elizabeth, au fond d’Admiralty Bay, sur l’île de Bequia.

 

Saint-Vincent à l'approche

 

 

Une côte bien verdoyante

 

Mercredi 15 juin, même topo qu’à Sainte-Lucie, nous décollons de bonne heure … sauf que le guindeau s’est mis en carafe. Philippe remonte les 30 mètres de chaîne à la main. Et une ligne de plus sur la liste des réparations à prévoir et qui s’allonge de jour en jour … Sur bâbord s’égrènent quelques perles du chapelet des îles des Caraïbes : Mustique, Canouan, Mayreau et les Tobago Cays, Union Island. Dommage de ne pas avoir le temps de s’y arrêter. Puis c’est Carriacou, « notre » île. Arrivés à hauteur de la « capitale » Hillsborough, nous nous posons la question de nous y arrêter pour faire la clearance d’entrée. Mais le grain qui nous cueille met rapidement fin aux tergiversations : pas question de débarquer sous cette pluie infernale ! On continue donc directement sur Tyrrel Bay, avec une visibilité quasi-nulle. Trempée à la barre, n’y voyant rien avec la pluie qui vient s’écraser à grosses gouttes sur les vitres de la casquette, je me fie au compas pour garder un cap. Et à Philippe qui me « pilote » depuis le tracé sur la carte sur l’ordinateur : vingt degrés de plus, ok garde ce cap là. C’est dans ces moments que l’on ressent combien de nos jours la navigation est grandement facilitée par ces outils, si tant est que la carte soit juste et que le GPS reste bien réveillé … Là, pas moyen de se fier à la vue, les Sister Rocks ne sortent du brouillard de pluie qu’au dernier moment. Les grains précédents passaient rapidement, mais celui-ci s’attarde, violent, pendant près d’une heure, sans répit. Nous entrons dans Tyrrel Bay avec des vents de 40 nœuds, en plein dans le nez. Le mouillage est déjà bien garni en bateaux, il ne va pas falloir rater notre coup avec ce vent et s’il faut remonter l’ancre à la main. On vise un « trou » vers la droite, pas très loin du chantier, pas très loin de la caye non plus, marquée par des vaguelettes. 40 mètres de chaîne, allez on ne lésine pas, il faut que ça tienne !

 

L'arrivée sur Carriacou, mer bleu lagon, etc.

 

Et ça tient. Et la pluie et le vent s’arrêtent. Et le soleil revient. On découvre sous un autre angle notre nouvel univers : une baie verdoyante, un petit village au fond, le chantier juste à droite, surplombé de maisons colorées. Notre ami Romain sur « Quizas », qui est à Carriacou depuis près de deux semaines, coincé par des problèmes techniques (encore un !) vient nous rendre visite, une visite amicale mais aussi intéressée car nous lui apportons du Marin l’embout Northeman dont il avait besoin pour réparer son pataras. Il nous fait visiter les lieux, et après avoir pris rendez-vous au chantier pour sortir le bateau, nous allons déguster la bière locale (en fait importée de Grenade) au Lazy Turtle.

 

Jeudi 16 juin : le matin, nous partons en bus faire la clearance à Hillsborough. Le policier prend un air soupçonneux de principe : “Why did you arrive at Tyrrel Bay instead of Hillsborough ?” “Because !” Après un passage à la douane qui nous déleste de 75 EC$, nous sommes en règle. De retour à Tyrrel Bay, il faut faire vite car Paul (un Irlandais qui parle très bien français), qui s’occupe du chantier, nous attend pour sortir le bateau en tout début d’après-midi. C’est sérieux, il fait même plonger à deux reprises un de ces gars pour bien repérer où faire passer les sangles. C’est qu’avec ses deux mâts, c’est plus compliqué de l’attraper … Il faut démonter les pataras. Et voilà, Sahaya prend son envol, dans les bretelles du travel lift. Un coup de karcher pour faire tomber le plus gros, et les 15 tonnes se retrouvent bien calées, à côté d’un collègue finlandais en acier qui a fait le passage du Nord Ouest l’année dernière.

 

Quoique nous en aurions bien besoin, nous ne sommes hélas pas ici pour des vacances alors au boulot !

 

Paul jauge Sahaya : place de l'hélce par rapport au mât d'artimon ?

 

Et une balade en travel-lift

 

Premières constatations

 

Au boulot !


30/06/2011
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Retour au point de départ (bis)

Le retour au point de départ (bis)

 

 

Finalement, ce titre convient bien aussi pour le retour à la Martinique, point de départ d’un nouveau voyage ? A voir …

 

Vendredi 13 mai 2011, nous voilà de retour en taxi au Robert, où Sahaya nous a attendus sagement. Rodrigue, un des moniteurs de la base de voile, nous a donné les clés à l’aéroport pour que nous puissions récupérer l’annexe. Quel contraste ! Le matin de cette longue journée dans le Berry, et en début d’après-midi, un brin décalqués avec le voyage et le décalage horaire, à deux sur un bateau sous un ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle … C’est dur de reprendre ses marques, et la chaleur étouffante et moite n’aide pas. Le Robert est un havre, et pour qu’il ne devienne pas un trou dans lequel notre moral descende aux trente-sixièmes dessous, nous décidons de lever l’ancre dès le lendemain. Après un grattage de la coque car en cinq semaines dans ces eaux tropicales, c’est tout un écosystème complexe qui s’est installé et qu’il est même dommage de détruire : algues, coquillages, mini-crevettes dont nous nous retrouvons entièrement couverts. Les poissons apprécient l’opération, qui viennent en ballets grignoter ce que nous décrochons.

 

Retour au Marin, où nous retrouvons des connaissances : Lilian, Romain, et Loïc et Thaïs. Sophie et Veit ont laissé Moémoéa attachée dans la mangrove pour rentrer en métropole faire la saison de montagne. Les « trous à cyclone » commencent à se garnir de bateaux garés côte à côte, avec des amarres dans les arbres de la mangrove, et une ou plusieurs ancres à l’arrière. Pendant que nous étions en métropole, la Martinique a connu des records de pluie. Il y a encore quelques restes en ce mois de mai, avec de nombreux grains où la pluie est aussi soudaine que drue. Les alizés sont en panne, et la chaleur humide rend les journées, et surtout les nuits, difficiles, nous laissant transpirant à grosses gouttes à espérer un souffle d’air et un soupçon de fraicheur pour récupérer. Nous avions prévu de ne rester que quelques jours au Marin, le temps de voir les amis et de refaire les pleins, puis de descendre vers les Grenadines, et d’aller caréner le bateau à Carriacou. Programme initial, mais vite chamboulé. D’abord avec mes démarches qui ne sont toujours pas terminées, à essayer de démêler ce qu’il convient de faire ou pas, et quand et comment, avec Pôle Emploi, ce qui n’est pas une mince affaire … Puis c’est le début d’une longue suite de problèmes techniques, initiée par le téléphone satellite flambant neuf qui tombe en rade aux premiers essais, et qu’il faut réexpédier en métropole … « ça peut être rapide, quelques jours », nous rassure le SAV. On décide donc d’attendre le retour de ce nouveau (sans) fil à la patte technologique au Marin. Mais plus de deux semaines plus tard, toujours pas de colis à l’horizon … Et c’est juste au moment où nous nous décidons à descendre quand même aux Grenadines et nous faire expédier le colis là-bas que le vent tourne au sud-est. Pas question de devoir maintenant faire route vent debout dans un pays d’alizés ! On attendra donc une semaine de plus …

 

Lilian sur Rama

 

Moemoea "déshabillée" qui attend la saison cyclonique d'amarres fermes

 

Attente, chaleur, problèmes techniques, on perd le fil du voyage … Et les canaux de Patagonie, c’est encore si loin. C’est surtout de longues navigations en perspective, contre vents et courants. La motivation sera-t-elle assez forte, pour mériter ces paysages de rêve et ces ambiances de bout du monde dont tous ceux qui ont eu l’occasion de les découvrir sont revenus éblouis ? Est-ce qu’on n’aurait pas les rêves plus grands que les tripes ? Passer le Canal de Panama, c’est un engagement, financier en premier lieu (un filon rentable et exploité au maximum), et ensuite plus moyen de faire demi-tour, il faut continuer, nord, sud ou ouest dans le Pacifique, la porte de l’Atlantique est fermée !

 

De la motivation, le capitaine Philippe en a … pour rentrer en France par les Açores. Le moral en berne, il prend son bateau en grippe, qu’il avait rêvé faiseur de liberté, et qu’il ne voit plus que comme un gros boulet de 15 tonnes, un piège matérialiste, un ogre qui occupe le temps et l’esprit avec la résolution de tracas techniques. Il faut dire qu’il n’y met pas du sien le Sahaya, avec, en série et dans l’ordre après le téléphone : le chauffe-eau (pas encore très utile en ces contrées mais qui pourrait le devenir), les deux moteurs hors-bord (dont le 4cv que l’on avait donné à réparer …), le guindeau qui veut bien descendre l’ancre mais refuse de la remonter, le pilote automatique (de loin le plus gros problème), et enfin le pilote de secours qui refuse de poster assistance à son grand frère. N’en jetez plus … Même si mon moral n’est pas non plus toujours au beau fixe, je ne suis néanmoins pas prête à rentrer en métropole, et de mettre un terme au projet de bateau, avec un goût d’inachevé, sans en avoir fait le tour, sans avoir l’impression d’en avoir vraiment totalement profité. Un brin d’optimisme têtu me fait croire que le meilleur est à venir, même si (et que) les problèmes techniques semblent inhérents au voyage en bateau, à la lumière des expériences vécues par les nombreux navigateurs qui sillonnent le monde, et dont les quelques uns croisés en chemin. Ce bateau, ça a été près de dix années d’investissement pour Philippe. Maintenant, il se dit « arrêtons les frais et passons à autre chose ! Vive la montagne, une corde et une bonne paire de jambes, et ça suffit ! ». Et moi « après tant de temps passé, persistons encore un peu pour voir le meilleur derrière ». Deux interprétations bien différentes … Alors, envie contre volonté, intuition contre entêtement, l’équation à deux devant l’inconnu n’est pas toujours facile à résoudre …

 

Il faut dire que Le Marin, à la longue, c’est un peu déprimant. Trop de bateaux nuit à la convivialité et à la rencontre, selon le même « syndrome » que dans les grandes villes finalement. Un matin, un officiel du port fait le tour des bateaux au mouillage pour demander si nous connaissons le nom de celui qui vient de couler. Un coup d’œil par-dessus la casquette : c’est notre voisin de devant qui a pris la mer à sa façon : de plein fouet, de plein flanc. C’est vrai qu’il tenait plus de l’épave que du bateau, et je trouve ça encore plus triste qu’une maison délaissée, abandonné aux éléments : le vent, la pluie, la mer. L’annexe reste accrochée, qui semble attendre comme un chien fidèle.

 

Plus grand'chose qui dépasse ...

 

Dans ce tableau en demi-teintes de tendance sombres, quelques touches plus gaies tout de même : une soirée guitare / accordéon avec Loïc et Thaïs, Romain, et Cian et Nolwenn, de nouvelles connaissances qui s’apprêtent à rentrer en Bretagne par les Açores (Les veinards, pense Philippe …). Pour sortir de la torpeur du Marin, nous irons faire quelques mouillages à Sainte-Anne, point de départ de longs footings le long de la côte. Une fois, un chien sympa et sportif nous suivra trois heures durant, et avec encore du jus pour courir après les oiseaux et les crabes sur la plage.

 

 

Footing au départ de Sainte-Anne

 

Avec notre copain plein d'énergie

 

Enfin, pour profiter encore un peu de la Martinique, nous louerons une voiture quelques jours pour une balade sur la Trace des Jésuites, l’ascension des Pitons du Carbet (sur un sentier grimpant raide en pleine « jungle » où un coupe-coupe aurait été utile), une visite de l’extrémité nord de l’île, un footing à la Pointe de la Caravelle, la montée au Morne Larcher (où il faut faire attention de ne pas marcher sur les Bernard-L’hermite qui viennent rouler sous les pieds à notre passage, dans une stratégie de camouflage qu’on a du mal à cerner), quelques voies d'escalade sur un des très rares sites de Martinique, et une tournée des plages de la Pointe Diamant.

 

Au départ des Pitons du Carbet

 

 

La Pelée coiffée en toile de fond

 

Dans la jungle !

 

 

 

Le plaisir de retrouver du rocher

 

Au relais avant la deuxième longueur ... avant la pluie

 

Les anses d'Arlet

 

Lundi 13 juin, au mouillage de Sainte-Anne. La matinée se passe en essais de réparation du moteur hors-bord 4 cv, sans succès. « Je serais vous, je tracerais sur Carriacou, tu verras là-bas, peut-être que tu trouveras quelqu’un pour regarder ton moteur. Et au moins vous serez partis », conseille Gérard avec son accent chantant de l’Ariège. Gérard est en famille avec Fanou et leur fils Joshua sur Harpo, un catamaran taillé pour ne pas traîner en route. Nous les avions rencontrés à Las Palmas, aux Canaries, et nous venons de les retrouver au Marin quelques jours avant. Nous suivons donc ce conseil avisé, et en début d’après-midi, nous hissons les voiles en direction des Grenadines.

 

Satané carbu ....

 

Harpo, taillé pour la vitesse


22/06/2011
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Retour au point de départ

Retour au point de départ

 

 

L’océan, la côte, Nantes, Orly

Et un dernier virage sur l’aile

Nous revoilà, comme l’hirondelle

Qui fait le printemps à Paris

 

C’est le retour en Languedoc

La maison, les falaises par cœur

Courir dans la garrigue en fleurs

Reprendre les habitudes ad hoc …

 

Pour les copains d’abord facile

Avides du récit héroïque

De nos exploits transatlantiques

On enchaîne les diners en ville !

 

Petit retour à l’employeur

Dix ans dix mois, et c’est la quille

La bride est sur ton cou ma fille …

De ta liberté n’aie pas peur !

 

Déjà Beau Papa Belle Maman

Pour un au-revoir au portail

A quelles calendes les retrouvailles ?

Glotte coincée, bizarrement …

 

Et la tournée des frères et sœurs

Bousculant des emplois du temps

Plein, des visites en coup de vent

Est-ce le lot des navigateurs ?

 

Les nièces ont grandi, le neveu

Cavale. Jeux, un deux trois soleils,

On chahute, et on appareille

Le temps a des bottes de sept lieues

 

Campagne berrichonne, une escale

Pour faire le plein de confitures

Bonnes (Maman) et qui l’aventure

Adouciront, sorties de cale.

 

Planter des tomates au cordeau

Les mains dans la terre, attention

Philippe s’ouvre des vocations

A revoir les projets à l’eau …

 

Berry-Orly, Papa-Maman

Pour un au-revoir au parking

Tant à dire … La glotte monte : « cling ! »

Mais il est d’autres débordements …

 

Dans le coucou, mélancolie …

On connaît bien ce que l’on laisse

Vers quelle folie ? Pour quelles promesses ?

Nous voilà trop vite repartis ?

 

Nathalie

 

 

Avec Guillaune vers le Roc de la Vigne


Le temps se gâte ...

 

Préparation du matos d'escalade pour les Aiguilles du Caroux


Anne à l'attaque


Philippe sur l'arête

 

Au tour de Sylvain

 

Escale berrichonne ...


06/06/2011
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Presque terriens au Marin

Presque terriens au Marin …

 

 

29 avril 2011 : à l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes en Métropole depuis trois semaines maintenant, et Sahaya nous attend sagement à l’abri (du moins nous l’espérons !) amarré à un corps-mort dans la baie du Robert en Martinique. Et hop ! Voilà survolé en huit heures et d’un petit coup d’aile (et d’un gros coup de kérosène …) tout le trajet effectué en plusieurs mois. A plus de 11 km d’altitude, à près de 1000 km/h, par moins 52°C dehors, les sensations ne sont pas les mêmes qu’en bateau ! Nous voilà « comme les autres », à jouer à la dinette avec le plateau repas, les genoux sous le menton (enfin surtout pour Philippe), à regarder un échantillon de tout ce qu’on a loupé (ou de ce à quoi on a échappé, c’est selon) dans le programme ciné d’Air Caraïbes. Sur l’écran de télé du dossier qui nous fait face, le petit avion défile sur la carte du globe en avalant les miles à l’envers. Impression étrange de se dire que l’on est en train de mettre des milliers de kilomètres entre la maison et soi. Et que notre maison est accrochée à une ficelle, et la dite ficelle à un poids posé au fond de l’eau. Certes c’est une grosse ficelle, et on en a même mis plusieurs, certes c’est un poids lourd, mais quand même, c’est la maison qui est au bout de cette « chaîne de solidarité » ! « Pani problem, on va garder votre bébé ! », nous ont dit en rigolant les deux moniteurs de voile du Robert qui ont Sahaya sous les yeux tous les jours. Hé les gars, c’est le bébé, et c’est la maison aussi !! « Parfois y’a de la grosse houle qui rentre, grosse mais pas forte », « Hein ?? Comment ça grosse ?? Qu’est-ce que tu entends par pas forte ?? ». « Pani problem !!! ». Allez confiance, ce n’est pas encore la période des cyclones, et nous rentrons à la mi-mai …

 

 

Vol au-dessus de l'île

 

Avant de refaire la route à l’envers en plombant notre bilan carbone, nous avons eu deux semaines pour faire connaissance avec la Martinique, et aussi avec de nouveaux voyageurs en bateau, en escale au Marin. La Martinique, c’est exotique, mais pas de doute, c’est bien la France, en tous cas, c’est bien l’Occident ! Après deux mois au Cap Vert, c’était les retrouvailles avec les automobiles reines, les éclairages urbains plantureux, les enfilades de grandes surfaces et autres spécialistes de la malbouffe, haies d’horreur de la consommation, qui font que les entrées de villes finissent par plus ou moins se ressembler, dans de nombreux pays du monde … Un contraste donc, surtout après trois semaines de solitude en mer. Mais n’allons pas trop vite ... A notre arrivée au mouillage du Marin le matin du 20 mars, c’est surtout la forêt de mats qui nous a impressionnés, et nous avons plongé dans un sommeil réparateur dont nous émergeons un peu ensuqués et dans une journée bien entamée. Un peu tard pour partir à la découverte du Nouveau Monde, mais on tient à en fouler le sol, ne serait-ce que pour quelques pas de principe ! Nous abordons un proche voisin de mouillage, sur un bateau alu typé « voyage » qui arbore le drapeau tibétain : il ne peut être foncièrement mauvais. Il est même franchement sympa, encore un Philippe, qui, après nous avoir donné des renseignements sur les us et coutumes du Marin (où laisser l’annexe, les magasins, etc.), nous invite à nous joindre à l’apéritif partagé avec ses amis navigateurs au Mango Bay. C’est comme ça que nous faisons connaissance avec Romain, et les Bretons Loïc et Taïs. Toute la bande s’est rencontrée en Guyane, et voyage plus ou moins de concert depuis. La bière locale est bonne comme la Lorraine, la musique se mêle au brouhaha des conversations de navigateurs qui vont bon train, et j’essaye d’atterrir en douceur, encore sur le nuage de nos trois semaines de mer. En arrivant au Marin, on se fond dans la foule des « anonymes » à avoir traversé l’Atlantique. Notre aventure est loin d’être originale finalement une fois plongée dans le même bain que nos nombreux voisins ! Moralité, pour frimer en mer il vaut mieux rester loin dans les terres … Nous ne sommes pas encore des piliers de bar bien solides, et nous éclipsons avant les autres, pour tomber par hasard sur Christophe et Nathalie, qui avaient entamé la traversée depuis Mindelo une dizaine de jours avant nous, et nous content leur odyssée : 25 jours, calmes plats à nager autour du bateau, rencontre frontale avec un cachalot, coryphène de 14 kilos, spi explosé. Quelle activité !

 

 

Nous passons nos premiers jours de printemps tropical à prendre nos marques, à terre comme sur l’eau : après nous être déplacés parce que nous étions trop près d’un catamaran, le bateau dérape, et quand nous voulons lever l’ancre pour mouiller plus loin, pas moyen, le guindeau renâcle : l’ancre est coincée. Philippe s’équipe, plonge, suit la chaîne, met ses mains sur l’ancre et pense débloquer un bout enroulé, le tout à tâtons car la visibilité est nulle. Qui a parlé des plongées dans les eaux cristallines des lagons tropicaux ? En tous cas, c’est efficace, car nous pouvons décoller et mouiller dans un espace de liberté plus confortable. Il ne faut pas trop rigoler avec le dérapage ici, car les fonds remontent vite sur des bancs de corail auxquels il ne ferait pas bon se frotter. D’ailleurs, pas si loin derrière nous, une épave gît sur le flanc comme un avertissement bien tangible. Et d’autres pourrissent aussi dans la mangrove, abri devenu cimetière. Les dépressions tropicales ne font pas de cadeau aux bateaux baladeurs. A terre, le Marin est en grande partie tourné vers la mer et ses habitants. Les magasins sont accessibles par l’eau, avec des pontons aménagés pour transvaser le chariot directement dans l’annexe ! Avant les pontons et la marina, c’est le coin des pêcheurs, vendant au marché ou directement sur un petit stand sur le trottoir, thazards et coryphènes. Notre premier contact avec les Martiniquais est bon, les gens que nous rencontrons étant accueillants et chaleureux.

 

Philippe à la réparation du radar

 

Atelier rédaction du blog

 

Après quelques jours de mouillage, nous nous « offrons » le luxe de trois jours à la marina du Marin, histoire de faire les pleins d’eau, de grosses lessives à la laverie (assez folklorique) du coin, des bricoles de soudure avec le 220 V, et du VTT sans saler les vélos dans l’annexe. Au même ponton, on a la surprise de croiser un bateau nommé « Balaruc », immatriculé à Zeebrugge. Non, ce n’est pas un nom belge, il s’agit bien de « notre » Balaruc-les-Bains, parce que le père du propriétaire du voilier y a appris la voile et navigué.

Les VTT débarqués sur le quai, nous entamons une première balade, en suivant la côte vers le sud depuis Sainte-Anne. Le sentier côtier est plus prévu pour les piétons que pour les cyclistes, et nous devons souvent prendre les vélos sous le bras pour des passages étroits ou caillouteux, ou les pousser le long des plages après s’être épuisés à pédaler dans le sable. Mais sans vélos, nous n’aurions pas pu faire tout ce chemin depuis le Marin, et voir autant de chouettes paysages variés : plages de sable blanc bordées de palmiers, presque désertes, collines faisant onduler une campagne agricole plantée de canne à sucre et de bananiers, côtes noires des coulées d’anciens volcans, mangroves à palétuviers peuplées de petits crabes jaunes « Cé ma faute ». Ces involontaires emblèmes judéo-chrétiennes semblent expier une culpabilité imaginaire en repliant la plus grande de leurs deux pinces devant eux, et vivent en colonies dans la mangrove, criblant le sable vaseux de leurs terriers dont ils sortent d’un œil prudent dès que nous sommes passés. De petits bruits de cliquetis dans les bois le long des plages : attention au grand méchant Touloulou ! Bon, pas si méchants ces crabes rouges et noirs, petites bêtes des bois exotiques. Dans les airs, ce sont les imposantes frégates qui sillonnent le ciel, et, de l’autre côté de l’échelle, les minuscules colibris qui butinent les fleurs en vol stationnaire. Pour notre première balade, nous irons jusqu’à la baie des Anglais, côté est. La houle de l’Atlantique vient se briser sur les hauts fonds des lagons en franges d’écume blanche. Des baies profondes et échancrées doivent offrir de bons mouillages que l’on repère, on ne sait jamais ! Pour notre deuxième balade, d’une bonne quarantaine de kilomètres (sans compter ceux où le vélo se repose sur notre dos !), nous continuons notre visite de la côte Atlantique, depuis la pointe Chevalier jusqu’à la Grande Anse Macabou. Les plages incitent à quelques baignades en cours de route, la balade dure finalement plus longtemps que prévu, et l’on est bien heureux de tomber sur une dame qui vend, sur le parking de Grande Anse Macabou, des parts de gâteaux maison (gâteau patate douce, gâteau banane, gâteau coco), et des sodas qui font rapidement remonter notre taux de sucre !

 

 

 

 

Un peu de portage

 

 

"Cé pas ma faute !"

 

Un touloulou camouflé

 

De retour au mouillage, nous retrouvons nos nouvelles connaissances, et aussi nos « anciennes » puisque Lilian, qui comme nous est parti de Balaruc l’an dernier, a jeté l’ancre et son dévolu sur le Marin, après une traversée et quelques escales sous le signe de la galère. En plus, il accueille à son bord Jo, autre Balarucois d’adoption, pour une visite des Antilles. Ils ont loué une voiture pour trois jours, et nous en font profiter. La première journée est annoncée pluvieuse, et ça va se vérifier pleinement. Ayant judicieusement abandonné l’idée initiale d’aller admirer la vue depuis le haut de la Montagne Pelée, nous optons pour une balade le long de la côte Atlantique : le Vauclin, puis le François, puis le Robert, petite ville au fond d’une grande baie aux allures de lac, un « havre » d’après la carte. Philippe repère des bateaux au mouillage qui semblent amarrés sur des corps-morts, et nous profitons d’être voiturés pour aller y voir de plus près. Car nous cherchons un endroit pour laisser le bateau en sécurité un bon mois, le temps de rentrer en France en avion. Car j’ai oublié de dire qu’en arrivant de notre traversée, j’ai eu la surprise … de n’avoir aucune réponse de mon boulot pour le poste en Inde ! Et qu’en insistant quelque peu pour avoir des nouvelles, j’en ai eues : un autre candidat avait finalement été choisi. Plus que le poste en lui-même, c’est tous ces questionnements, ces tergiversations, ces tortures d’esprit qui nous poursuivent depuis quasiment le début du voyage, que je regrette. Bref, un petit retour en France nous paraît le bienvenu pour revoir la famille, revoir les amis, refaire mon passeport, faire le point sur ma « situation » professionnelle, et aussi nous poser pour réfléchir à la suite, puisqu’Inde il n’y a plus. Prendre un nouveau départ, pour un nouveau voyage ? En attendant, nous voilà arrivés devant l’école de voile du Robert, et Rodrigue, un des moniteurs, nous confirme que les corps-morts sont loués par la mairie. Une bonne piste pour laisser le bateau, que nous confirmerons quelques jours plus tard, une alternative au Marin où les places libres sont rares. Continuant vers le nord, nous longeons la presqu’île de la Caravelle, qui borde la jolie baie du Gallion incitant à la navigation, entre ’îles et îlots arrondis. La pluie n’arrête pas, chaude soit, mais drue, et les velléités de balade à pied se transforment en visite du musée du rhum Saint-James à Sainte-Marie ! Musée plutôt bien fait et intéressant. Le rhum Saint-James doit son nom à consonance anglo-saxonne à une opération « marketing » avant-gardiste, pour viser le marché potentiel que représentait alors la voisine Nouvelle-Angleterre. Le plus marquant du musée est peut-être les bouteilles de rhum fondues, tordues, « rescapées » de la terrible explosion de la Montagne Pelée en 1902. L’exploitation Saint-James était alors implantée à Saint-Pierre, ville rasée de la carte en quelques secondes par les nuées ardentes.

Le lendemain, la météo locale a annoncé un « alizé sec », c’est peut-être l’occasion ou jamais de tenter l’ascension de la Montagne Pelée. Après une halte à Saint-Pierre, la petite voiture de location, bien lestée avec nous quatre, ahane dans la rude montée vers le volcan. Il faudra même descendre pour la pousser dans un redémarrage en côte ! Lilian et Jo nous laissent au bout de la route, d’où démarre le sentier. Philippe et moi montons à pied, eux redescendent en voiture pour venir nous récupérer versant est en passant par Morne Rouge, nous faisons le sommet, et eux un resto, marché conclus ! Il fait beau quand nous attaquons le sentier, raide et bien tracé. Le paysage volcanique rappelle, en plus petit, celui de la Réunion, avec ses canyons encaissés, et sa végétation tropicale luxuriante. Mais plus l’on monte, plus l’on entre dans les nuages qui coiffent le sommet. Dommage, la vue sur la Martinique doit être magnifique à 1397 m d’altitude, mais le brouillard ne nous accordera pas une minute de répit ce jour-là. A la fin de la descente, nous retrouvons nos deux chauffeurs. Retour au Marin par la jolie route qui traverse la dense forêt tropicale, où les grands arbres sont chargés d’épiphytes de toutes sortes, dans une silencieuse bataille pour un peu de place au soleil.

 

Hips !

 

Dans la montée vers la Pelée

 

 

Perdu dans le vert ...

 

Vue imprenable au sommet ...

 

Le temps passe vite, au rythme des nombreuses averses tropicales qui alternent avec un soleil qui tape dur, presque à la verticale. En annexe, nous allons visiter les anses bordées de mangrove qui forment la rive sud de la baie du marin, dont certaines sont connues comme des trous à cyclone. Nos amis Sophie et Veit sont arrivés de leur traversée depuis plusieurs jours déjà. En suivant les bons conseils que Philippe leur a donnés sans les suivre, ils sont descendus assez bas en latitude, vers 9-10°N, pour trouver les « alizés profonds » décrits par notre ami coureur au large Bertrand, et qui ont permis à Moemoea de boucler la traversée en un peu moins de 18 jours. Nous les rejoignons au mouillage de Sainte-Anne, juste au sud du Marin, où sont aussi ancrés les bateaux de Philippe, et de Loïc et Taïs. Ce sera l’occasion d’une soirée bien sympa, tout le monde se retrouvant sur le petit Armagnac de Loïc et Taïs, et qui finira en musique.

 

 

Devant le mouillage de Sainte-Anne

 

Le lendemain matin, nous appareillons pour aller vers le Robert, une navigation de près de 30 miles, d’abord au près dans le canal en tirant un grand bord vers le large, puis en nous laissant porter vers l’entrée de la baie. L’amarinage n’étant pas irréversible et c’est bien dommage, je passe une journée assez vaseuse en laissant Philippe à la manœuvre … Allons debout ! A l’arrivée, il faut être bien réveillé pour suivre les balisages qui indiquent la route à prendre en évitant les pièges de corail : passe du Loup-Garou, au nord de la Caye Mitan. L’île du Loup-Garou apparaît comme un mirage, bouton de sable planté de palmiers, une réserve pour les tortues qui viennent y pondre sous la protection de gardes basés au Robert. La houle de l’Atlantique est encore vigoureuse dans l’entrée de la baie du Robert, puis les ilets lui font barrière, et nous mouillons pour une nuit paisible derrière l’Ilet à Eau.

Lundi 4 avril 2011, nous venons nous amarrer sur un des corps-morts libres devant l’école de voile du Robert, comme convenu. Nous avons deux jours pour préparer Sahaya à son mois de solitude au mouillage. On range, on plie, on amarre. Philippe sort la planche à voile pour la première fois, et tire quelques bords aller-retour entre le bateau et un petit cargo mouillé dans la baie.

Mercredi midi, Romain vient nous chercher en voiture et nous dépose à l’aéroport du Lamentin. Nous voilà de retour « chez nous », en laissant notre bateau-maison « là-bas ». Grand écart … C’est où « chez nous » ??

 

Annexe-start

 

Un bord retour avec l'alizé

 

 


29/04/2011
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2100 ... (l'aléa de l'alizé)

2100 … (l’aléa de l’alizé)

 

 

Non, ce n’est pas le titre d’un film d’apocalypse, un de plus. Non. C’est le nombre de miles qui nous séparent des Antilles. Un océan à traverser, une expérience à vivre, vers un nouveau monde. Une fois partis, c’est parti, un peu comme une course en montagne, une grande voie d’escalade, il faut aller au bout, les vents nous y poussent, impossible de faire demi tour. Cap à l’ouest !

 

 

Mardi 1er mars

1er mars, c’est jour de départ : chiffre rond, ce sera plus facile pour compter les jours ! Sophie et Veit, partis faire des courses à Villa Nova Sintra, ont laissé Moemoea pour la journée. Antonio et Idalina viennent nous saluer dans leur barque de pêche. Un peu timides, nous les invitons à manger un petit morceau avec nous avant de partir. Antonio ne se fait pas prier et grimpe à bord, Idalina a peur d’être malade et préfère rester sur la barque. Drôle de repas partagé, trois dans le cockpit et une avec son assiette dans la barque à l’arrière du bateau ! Mais c’est le moment qui compte, et en repartant, Antonio nous crie qu’il nous faudra dire à notre famille que nous avons des amis à Brava. C’est chose faite Antonio ! Idalina a encore la larme à l’œil, et ils nous saluent tous deux à grands gestes de bras pendant que la petite barque repart pour la fin de sa journée de pêche, au-delà du cap. Quels gens chaleureux, on ne les oubliera pas.

Nous remontons l’ancre vers 14h, après les derniers préparatifs pour mettre le bateau en mode « navigation », un dernier bain de mer, et une bonne douche. Un petit Harmattan garde Brava pour lui, et a tôt fait d’effacer le dessin des côtes. Salut Cap Vert, nous nous retrouvons rapidement en « haute mer », avec l’eau pour seul horizon. Quelques dauphins viennent batifoler devant l’étrave, moment dont on ne se lasse pas. Ben voilà, c’est parti … Nous mettons bientôt au travail un compagnon de plus au service de notre confort : Ursule, le régul’ (ateur d’allure), qui se révèle barrer plutôt mieux qu’Eliot le pilote (électrique) quand il y a suffisamment de vent. Et gros avantage : sans consommation électrique ! C’est bon de penser que nous devons notre autonomie au soleil et au vent. Première soirée en mer sous le ciel étoilé, Sahaya avance à bonne allure, comme sur une route tracée entre la Grande Ourse et l’Etoile Polaire au nord, et la Croix du Sud et le Scorpion au sud. Ce n’est pas souvent que nous suivons une telle route plein ouest. Le ciel semble défiler comme si c’était nous qui le faisions tourner en avançant, en tirant sur le tapis des étoiles. Le sillage est tout phosphorescent de plancton, étoiles dessus, étoiles dessous, que c’est beau …

 

 

Repas dans le cockpit pour certains ...

 

Exilée volontaire !

 

Tchau Antonio e Idalina ...

 

Tchau Tantum ...

 

Mercredi 2 mars

La nuit a été tranquille, un bateau entrevu a fait crépiter la VHF, il faut reprendre le rythme des quarts. Le vent reste constant, environ 15 nœuds de nord-est, un alizé modéré, qui perdure toute cette deuxième journée de mer. Nous sommes un peu fatigués, le corps doit reprendre le rythme de la mer, et puis il y a aussi du manque de sommeil : ces dernières nuits, le mouillage de Tantum était très rouleur. A propos de se faire rouler, la houle est aussi au rendez-vous, croisée comme de bien entendu … Nous voyons un cargo au loin qui semble aller vers l’Afrique du Sud. Musique de Nougaro dans le cockpit, et au lit de bonne heure !

 

Calée dans le couloir avec un seau ... on n'est jamais trop prudent !

 

De l'espace à courir ...

 

Dans le vent ...

 

Jeudi 3 mars

La nuit a été calme, aucun bateau en vue. Couchée dans le carré pendant les quarts, j’essaye de m’habituer à suivre le bateau aux sons : le glissement soyeux de l’eau sur la coque : nous sommes à plus de 5 nœuds, entrecoupé de « floc floc » plus hésitants : la vitesse diminue, comme-ci on lofe, comme ça on abat. Au matin, un poisson volant repose sur le pont : atterrissage fatal … L’alizé se maintient, 15 nœuds de nord-est qui nous poussent à près de 6 nœuds de moyenne. Les miles défilent, et nous passons sous la barre des 1800 miles restants. Le matin, je ratiboise les cheveux de Philippe qui veut voir quel effet ça fait d’avoir la boule à zéro, à l’abri des regards d’autrui ! Je trouve que ça lui va pas mal, il est assorti avec le nom du bateau en tenant un peu du bonze. Mon bonze ami … Le soir, je rentabilise le four en le chargeant jusqu’à la gueule : deux pains, une pizza, et un gâteau marbré chocolat-citron que le roulis homogénéisera bien consciencieusement pendant la cuisson !

 

En matinée ...

 

Atterrissage fatal ...

 

6,6 noeuds, bonne moyenne, le cap'tain est content !

 

Vendredi 4 mars

Avec cette grosse houle croisée, j’ai passé la nuit dans le couloir, calée dans la largeur entre un oreiller et un matelas mousse roulé en boule. Philippe ne m’a pas réveillée pour mon deuxième quart, aucun bateau n’a croisé notre route. Vendredi, jour du poisson ?? Nous mettons à l’eau la ligne de traîne après l’avoir équipée d’un fil de nylon de plus gros diamètre acheté à Mindelo, et d’un poulpe armé d’un hameçon triple, cadeaux de François, un pêcheur Marseillais rencontré au mouillage. Hélas le soir, il n’en restera rien : ligne cassée net au niveau de la tresse qui n’était pas de bonne qualité, et dont ne demeure qu’un court témoin effiloché ! L’alizé de nord-est se maintient à 15 nœuds, perturbé un temps par un grain qui passe. La houle se calme, ce qui n’est pas pour nous déplaire ! Dans l’après-midi, nous sommes survolés par un paille en queue, qui se pose ensuite comme une plume sur les vagues. Nous avons passé la longitude 30° ouest, aussi nous reculons d’une heure (nous voilà à TU-2h), pour éviter le « boat-lag » à l’arrivée. Encore deux fuseaux horaires à grignoter pour être à l’heure des Antilles.

 

Samedi 5 mars

La nuit a été agitée pour Philippe qui a essayé plusieurs réglages de voiles. Le temps est nuageux, quelques gouttes, et l’alizé semble donner des signes de faiblesse. Nous prenons un cap un peu sud-ouest pour essayer de passer au sud de la zone de pétole annoncée par les modèles météo que nous avions chargés en partant de Tantum, mais à plus de 5 jours d’échéance maintenant, la confiance à accorder diminue. Et oui nous devons hélas rallonger notre route en nous éloignant davantage de la route orthodromique, qui elle passerait beaucoup plus au nord.

Nous mettons à l’eau un petit poulpe rouge, « le moins sophistiqué » de nos leurres, très léger, qui frétille en surface dans le sillage du bateau. Inch Allah … Mal tenu par un vent arrière qui faiblit inexorablement, le bateau roule bord sur bord dans cette houle croisée. Le génois est tangonné, la grand-voile et l’artimon sont équipés d’une retenue de bôme, pour limiter le claquement des voiles. La pétole menace, et le moral du capitaine descend en flèche quand la vitesse passe sous la barre des 5 nœuds …

 

Dimanche 6 mars

Le vent a repris dans la nuit, le bateau s’est remis en marche, et le moral des troupes est remonté. Belle journée de dimanche, sous un ciel d’alizés, tendu de bleu azur sur lequel s’accrochent de petits cumulus. Ce serait parfait sans cette houle croisée pénible (mais il me semble avoir déjà écrit ça quelque part non ??). On a remis le petit poulpe rouge à la traîne, lesté d’un peu de plomb dans la tête, ce qui ne fait jamais de mal … Et avant midi, une touche ! Une daurade coryphène, le gabarit au-dessus de celle que nous avions pêchée à Noël. A défaut du poulet dominical, voilà donc le menu de midi ! Je ne sais pas si on peut vraiment prétendre faire des statistiques avec deux poissons, en tous cas nous les avons pêchés à midi, et non au lever ou coucher du soleil. Quant au leurre, le plus simple semble marcher tout autant, en tous cas pour les gabarits de poissons qui nous conviennent. Un leurre plus sophistiqué (et plus cher) ne serait-il pas fait d’abord pour appâter les « pigeons » dans les magasins ?...

 

Ca avance ...

 

La touche ...

 

Lundi 7 mars

Journée sans événement majeur, on avance bien mais toujours dans cette mer qui nous ballote en venant claquer les fesses de Sahaya, qui de droite, qui de gauche. Nous faisons toujours de l’ouest-sud-ouest pour mettre de la distance entre la menace de pétole et nous, et tenter de trouver « l’alizé profond », comme le nomme notre ami Bertrand, coureur au large, c'est-à-dire l’alizé qui souffle sans faillir, à 10 ou 15 nœuds, à l’abri des dépressions nordiques. A 11h30 TU, c’est le « rituel » : le bulletin météo marine diffusé sur RFI, que nous enregistrons avec un dictaphone pour le réécouter ensuite plus tranquillement, car il est souvent énoncé avec une diction expéditive, comme si les annonceurs avaient un bateau à prendre ! Philippe reporte sur la carte l’évolution des dépressions orageuses qui se baladent au nord-est des Antilles, le risque étant qu’elles perturbent les alizés en descendant vers le sud. Dans notre « bulle microcosmique » qu’est le bateau, la météo marine est l’information presque vitale : savoir ce que nous réservent les vents et l’océan sur lequel nous avons embarqué …. La radio, c’est aussi notre lien avec le reste du monde. RFI en ondes courtes a remplacé France Inter sur la FM qui tournait presque toute la journée à la maison. Dans notre bulle, arrivent les émissions tournées vers l’Afrique, et les fracas du monde, avec ses peuples qui s’ébrouent et se libèrent, avec ses fous de pouvoir prêts à tout pour le garder, Gbagbo, et Kadhafi, qui reçut pourtant les honneurs de l’Élysée il n’y a pas si longtemps …

Des pétrels noirs et blancs jouent avec les vagues. La lune commence à montrer un croissant timide dans la soirée.

 

Mardi 8 mars

Nuit rouleuse, le vent a diminué. Ça fait une semaine que nous sommes partis … Un banc de poissons volants survole un temps les vagues. Ce matin, bricolage car en vérifiant le niveau d’huile dans le moteur, Philippe trouve qu’il est plus haut qu’à la normale. Encore de l’eau de mer ??? La seule entrée possible pourrait être l’anti-siphon sur l’eau de refroidissement de l’échappement, et encore … Philippe décide de mettre une vanne pour fermer à l’arrêt « au cas où ». Bonne initiative, car ça nous permet de voir que le coude anti-siphon est cassé, si on avait démarré le moteur, l’eau de mer aurait giclé ! La réparation faite avec les moyens du bord et la vanne installée, nous refaisons une fois de plus la vidange de l’huile moteur dans la houle. Il ne faudrait pas s’en faire une spécialité … Cette houle croisée est particulièrement pénible, donnant de violentes secousses au bateau alors même que le vent est devenu très mou dans l’après-midi. Les voiles claquent, on roule d’un bord à l’autre, c’est fatiguant et énervant, il faut sans cesse se tenir, arrimer toute chose, faire la cuisine devient sportif. Le moral est en baisse. Passés sous la barre des 1200 miles … mais aussi sous celle des 4 nœuds … le moral du capitaine tombe dans ses chaussures bateau. Pourvu que le vent se ressaisisse dans la soirée, comme c’est souvent le cas. Pendant le dîner, un poisson volant atterrit juste derrière Philippe, mais réussit, en bonds convulsifs, à retourner à l’eau sans notre aide, au prix de quelques écailles semées sur le pont.

 

Mercredi 9 mars

Hélas non, le vent n’est pas revenu pendant la nuit, bien au contraire, il a encore molli et nous a lâchés dans la houle rouleuse, tu parles d’une berceuse … Au matin, la pétole semble bien partie pour durer, le bulletin météo de RFI nous annonce un « vent variable », ce qui n’est pas pour nous rassurer. Nous cherchons des alternatives pour accélérer notre allure : le moteur ? Mais il nous reste encore plus de 1000 miles à parcourir, et de plus en vent arrière, son efficacité est limitée car il ne permet pas de créer un vent apparent. Mettre un deuxième génois en ciseau sur l’étai largable, à la place de la grand-voile ? Mais il nous faudrait un deuxième tangon pour le faire tenir avec cette houle. Reste notre spi symétrique. Nous hésitons toujours à l’envoyer car il est ultra-léger, et trop grand (160 m2), lors de notre première tentative, descendant trop bas devant l’étrave, il s’était un peu déchiré en s’accrochant dans l’ancre. Mais la houle semblant nous consentir une pause, Philippe est ok pour une deuxième tentative. Et trop grand, il ne va pas le rester longtemps … Envoyer le spi nous occupe un moment : empanner la grand-voile, préparer les écoutes, lancer le spi en réglant le tangon le plus haut possible, enrouler le génois. Le grand ballon à rayures bleues et blanches se gonfle, comme Obélix après une orgie de sangliers, et hop, nous voilà passés de 3 à 6 nœuds ! Hélas, l’enthousiasme est de courte durée, le vent mollit encore, même le spi se dégonfle comme une grosse baudruche dépressive, et nous nous retrouvons notre allure d’escargot, à moins de 4 nœuds, c’est désespérant … A ce train, notre ETA* (*Estimated Time Arrival, NDLR) devient incertaine. Dire qu’un mois plus tôt, il y avait 25 nœuds de vent sur tout le trajet, à quoi nous conduisent mes tergiversations mindélotes … Un crack : la remontée du tangon n’a pas suffi, et les deux dernières lèzes du spi se déchirent sur une bonne largeur en s’accrochant dans l’ancre. On affale. Atelier couture sur le pont, on s’occupe pendant la pétole : on roule les deux lèzes endommagées en un boudin que l’on maintient par de petits nœuds. En attendant, renvoyons le génois. Et l’enrouleur ne répond plus, coincé d’en haut ! Philippe monte au mât, s’auto-assurant sur la drisse de l’étai largable pendant que je le contre-assure d’en bas sur celle du spi. A 15 m, ça tangue même si la houle s’est bien calmée, et il lui faut arriver à monter sans trop lâcher le mât pour ne pas jouer au singe au bout de sa ficelle comme dans les manèges dans les accélérations. Verdict au sommet : c’était grippé. Un coup de dégrippant, un roulé-déroulé de test, et je fais redescendre mon Tarzan des mers de son perchoir. Pendant ce temps, ça ne s’est guère arrangé du côté d’Eole : le vent tombe à moins de 4 nœuds, et nous à moins de 2, une misère. Le soir, on capte enfin à la BLU les fax météo émis par Boston, aux USA, hélas celles de la Nouvelle Orléans qui concernent exactement notre zone ne nous arrivent pas encore. Même si les cartes de Boston ne descendent pas en-dessous de 18° de latitude nord (et nous sommes à un peu moins de 14°), elles semblent montrer une reprise des alizés dans 4 jours, l’anticyclone des Açores se remettant à sa place habituelle. Espérons ! Nous lançons un peu de moteur pour recharger les batteries, sollicitées par la mise en service d’Eliot en remplacement d’Ursule que le manque de vent laisse trop perplexe pour lui confier la direction du bateau ! Sous le croissant de lune argenté, l’océan luit doucement devant l’étrave.

 

Couture à petits noeuds

 

2,4 noeuds, ça se gâte, le cap'tain scrute le retour annoncé du vent sur les cartes de Boston

 

Jeudi 10 mars

Nuit de pétole, en partie au moteur. Philippe est allé tout à l’arrière du bateau pour tenter, sans succès, de resserrer le secteur de barre dont le jeu semble donner un surcroît de travail au pilote électrique. On s’y remet à deux avant le petit-déjeuner. Encore un peu de jeu, mais moins, on ne pourra de toute façon pas faire mieux en naviguant. Encore une chose de plus sur la liste des bricolages à faire à l’arrivée ! La mer est belle, presque lisse (c’est le bon côté de la pétole !), seule une longue houle de nord-est vient lever le voile en ondulations nonchalantes. On relance notre spi raccourci avec ses petits nœuds. La météo a annoncé du sud-est, mais pour l’heure, c’est un léger souffle de nord-est qui nous arrive, et nous tangonnons le spi tribord amure. Le vent change de sens dans l’après-midi, et il faut empanner tout ce beau monde : grand-voile et spi. La pétole oblige à plus de manœuvres que le vent finalement. Le vent mollit encore, et à force de tomber, le spi se prend une fois de plus dans l’ancre, et craaaack ! Notre réparation saute, et cette fois les deux lèzes du bas sont entièrement déchirées. Je coupe au ciseau tout ce qui pendouille, quel massacre ! On réparera mieux plus tard, à mettre dans la liste. Ben voilà, il n’est plus trop grand ce spi, il est finalement devenu parfait maintenant, il s’est débarrassé lui-même de ses hardes inutiles et gênantes ! En fin d’après-midi, nous avons la visite d’un voisin : un oiseau de mer gris foncé que je n’arrive pas à identifier, qui tourne autour du bateau, le survole, repart, revient. Apparemment, il veut se poser sur le bateau, et fera au moins une quinzaine de tentatives. Il vise la tête de mât, mais l’antenne VHF et le paratonnerre ne lui laissent pas assez de place. Il jette ensuite son dévolu sur l’éolienne, mais finalement, ne se décide pas. Pourtant, il essaye ! Nous le voyons arriver, les ailes écartées en portance maximale, la queue en éventail, ses pattes palmées rouges tendues devant lui, mais non, au dernier moment, il remet les gaz ! Il nous semble que le meilleur endroit pour lui serait le panneau solaire, juste derrière l’éolienne, mais il est noir, peut-être ne le voit-il pas avec la nuit qui tombe ? On y étale un petit tissu blanc pour l’aider à repérer ce terrain propice, mais sa tour de contrôle personnelle a dû lui refuser l’atterrissage car on ne le revoit plus. Gracieux : « Aimons-nous à ce point les oiseaux que paternellement nous nous préoccupâmes, de tendre ce perchoir à ses petites palmes ? ». Ben oui, dommage, on l’aurait bien adopté comme animal de compagnie quelques temps. Pourquoi cherchait-il absolument à se poser sur le bateau ? Pour se reposer ? Si loin de toutes côtes, les plus proches sont celles de la Guyane, mais quand même à plus de 800 miles ! Salut l’oiseau, fais bon voyage ! Nous sommes au milieu de notre route, au milieu de l’océan, jamais nous n’avons été aussi isolés. C’est une bulle de temps, de temps à nous, au rythme du vent et de l’eau. Une houle un peu plus haute semble se relever, peut-être l’ambassadrice du vent ?

 

 

A l'ombre du spi "Obélix" ventru

 

Avec deux lèzes de moins, ça va beaucoup mieux non ?

 

Vendredi 11 mars

Et nous voilà au terme de ce 11ème jour de mer, et du 4ème de pétole … Nous avons passé la barre des 1000 miles pendant la nuit, un symbole ! La houle de nord-est est bien là, mais le vent qui l’a engendrée semble s’attarder en d’autres contrées lointaines … Journée sous spi, puis un peu de moteur quand il jette l’éponge devant si peu d’air. Deux cargos, deux pétroliers semble-t-il, sont venus rayer l’horizon sur tribord, ce sont les premiers bateaux que nous voyons depuis 10 jours. Leur passage nous permet de tester l’alarme du radar, que nous mettons en route pour les quarts de nuit. Rien au bout de la ligne de traîne qui n’a jamais autant mérité son nom, les daurades doivent dédaigner ce poulpe maladif … Les cartes météo émises par Boston sont mieux lisibles maintenant, et nous commençons à recevoir de mieux en mieux celles de la Nouvelle-Orléans. Nous pensons avoir repéré notre ennuyeuse : une dépression située dans notre nord, qui perturbe les alizés. La prévision à 4 jours semble la voir s’effacer, à voir … Joli coucher de soleil, et soirée cinéma : « Arsenic et vieilles dentelles ».

 

Réparation rapide du génois

 

Cuisine par mer calme : les assiettes tiennent !

 

Samedi 12 mars

Deuxième week-end en mer. On se croirait presque au mouillage avec cette pétole installée. De gros nuages gris avec des lignes de grains défilent sur bâbord. Il n’y a même pas assez de vent pour le spi, alors on lance la moulinette, après un petit bain de mer, au beau milieu de l’Atlantique. 20000 lieues sous les fesses ! On capte la météo marine de RFI depuis son émetteur des Antilles, c’est tout de même bon signe. Toujours du vent variable sur la zone Alizés Ouest, mais qui devrait revenir à du nord-est par l’ouest. A la radio, la Une est au tremblement de terre au Japon, et à la centrale nucléaire qui a pris feu. Y a-t-il un nouveau Tchernobyl en perspective ? Juste avant midi, un grain nous rattrape par l’arrière. Ah la bonne douche sous la pluie, quel plaisir ! On se sent tellement vivants sous cette eau vive. Sahaya en profite aussi, et des filets d’eau chargés du sable rouge du Cap Vert courent sur le pont pour rejoindre la mer. Après cette belle et franche averse, c’est un petit crachin breton qui s’installe, sous un ciel plombé d’un gris presque homogène. D’autres grains viendront, donnant de petites sautes de vent qui retombent ensuite. Une fois de plus, nous remontons une ligne de traîne amputée, cassée cette fois au nylon. Décidément, même avec un modeste petit poulpe, on attire du gros ou quoi ? Que de casse tout de même pour deux petites daurades pêchées ! La nuit commence sous un bon grain, au près dans du vent de nord-ouest, et sous la pluie. Vive les alizés !

 

Quelle piscine !

 

Grain en vue !

 

Le radar l'a vu aussi !

 

Et le voilà !

 

La fournée hebdomadaire : deux pains, et une quiche

 

Dimanche 13 mars

Quelle nuit ! Sous les grains, le vent forcit, et Philippe sort sous une pluie drue prendre un ris dans la grand-voile. Quelques tours repris dans le génois, et nous finirons la nuit un peu sous-toilés, pour garder l’esprit tranquille en cas de nouvelle saute d’humeur du ciel nocturne. Au matin, le pont est tout propre, dessalé, dessablé, les bouts ont perdu leur patine ocre capverdienne. Les alizés sont de retour, et nous filons toute la journée à 6-7 nœuds, sur une houle de nord-est de 2-3 m, encadrés de nuages de ciel de traîne qui semblent nous laisser un couloir bleu à courir. Plus de 120 miles parcourus en 24 heures, voilà bien longtemps que ça ne nous était plus arrivé ! Passés les 45° de longitude ouest, nous reculons encore d’une heure, TU-3h maintenant. Le soleil couchant colore en sanguine les nuages alentours. La mer est sombre, mouchetée d’écume blanche, mettant en relief le panorama libre sur 365° qui est notre paysage, notre monde, depuis près de 15 jours. Monde d’ombres et de lumières, de bruits de vent et d’eau, un monde presque sans odeur, sauf au moment où l’on remonte un poisson luisant sur le pont. Les parfums de la mer lui viennent de la terre. Les journées passent sans se ressembler, au rythme de la mer. Les premiers jours, j’avais peur de m’ennuyer, et Philippe déprimait vite à la moindre baisse dans la moyenne journalière des miles avalés. Puis finalement, un nouveau rythme s’installe, dans un temps qui a perdu ses repères habituels, mais où l’ennui n’a néanmoins pas sa place. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons toujours occupés, même si les activités ne manquent pas. Les quotidiennes bien-sûr, toilette, cuisine, vaisselle, celles liées à la navigation, réception des bulletins radio et des cartes météo, réglage des voiles, empannages, tangon à bâbord, tangon à tribord, les petits bricolages, là un taquet qui se désosse, ici et là des petits bouts qui améliorent l’ordinaire, la lecture, l’écriture, la musique à faire et à entendre, la farniente aussi ! Et au milieu et autour de tout ça, les longues minutes qui deviennent des heures à contempler la beauté renouvelée de l’océan, la danse des oiseaux en contre-jour au dessus des vagues, l’étrave de Sahaya qui ouvre son chemin d’écume, la course des nuages, les étoiles revenues chaque soir au rendez-vous, chaque soir un peu plus à l’ouest. C’est tout ça, être présents et bien dans l’instant présent, et finalement, nous ne sommes plus si pressés d’arriver et de retrouver le monde des hommes …

Surtout que le monde des hommes, il ne va pas bien fort aux infos. Après le séisme au Japon, c’est la menace de l’accident nucléaire. Nous qui croyons tout maîtriser, même ces monstres potentiels créés de toutes pièces mais muselés par la technologie toute-puissante. Que la terre se secoue, et voilà le monstre peut-être libéré ? N’en va-t-il pas de même avec les OGM, et les monocultures, et l’éventail des variétés de semences qui s’étiole avec le monopole des multinationales ? Si peu de sages parmi les « grands » de ce monde. Sur RFI, un reportage sans concession était dédié au Sierra-Léone, où les paysans sont dépossédés de leurs terres par de grandes compagnies minières, ou de grandes multinationales occidentales, pour la culture d’agro(nécro)carburants, avec la bénédiction des politiques. Mais quel progrès pour ces pauvres paysans ! Mis en esclavage par ces sociétés hautement caritatives, ils vont pouvoir gagner quelques sous pour s’acheter à manger ce qu’ils ne produisent plus eux-mêmes ! Ne parlons même pas des dégâts environnementaux qui sont le cadet des soucis de ces monstres de profits à court terme. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Déjà être attentif et conscient. Et essayer de vivre le plus près de ses convictions, ce qui est presque un boulot en soi. Et après ? Inventer et créer du mieux ?

 

Douche économe : des baquets d'eau de mer et un p'tit rinçage à l'eau douce

 

Lundi 14 mars

Reprenons le fil de notre navigation. Les cartes météo maintenant bien lisibles qui nous parviennent de la Nouvelle-Orléans nous promettent du vent pour les prochaines 72 heures. Il va falloir commencer à penser à notre prochain atterrissage en Martinique. Ah, une touche qui mort à l’hameçon de notre poisson-nageur rouge, une daurade de belle taille, en robe jaune fluo, qui zigzague pendant que Philippe rattrape la ligne petit à petit. Mais au moment de la remonter sur le bateau, elle se détache, et retourne à son élément dans un éclair jaune. Ce n’était pas son jour, et le nôtre non plus ! On relance le leurre avec des hameçons plus gros, mais il ne refait pas de touche dans l’après-midi. La moyenne journalière est bonne, 140 miles en 24 heures, ce qui nous tient lieu de record.

 

Jolie prise ... enfin presque !

 

Mardi 15 mars

Nuit peu reposante, rouleuse, avec l’alarme du radar qui se déclenche par deux fois pour des grains de pluie. Nous sommes plein vent arrière, et Ursule a du mal à maintenir le bateau sur sa route, il fait des embardées dans une danse incessante. Journée de pétole, un peu morose. Heureusement, le spi va de l’avant dans l’air léger et parvient tant bien que mal à maintenir une moyenne honorable. Encore un leurre de perdu, rien ne va plus. Il reste moins de 500 miles maintenant, nous avons fait plus des trois quarts du chemin.

 

Merci le spi !

 

Mercredi 16 mars

Rien de spécial pour cette journée de mercredi. Le vent de 10-15 nœuds est là, mais nous n’allons pas très vite. Une longue houle de nord-est de 2-3 m nous balance. Un cargo. C’est un plaisir tout de même de voir le petit bateau se déplacer sur la carte du monde, et de se dire que l’on est dedans !

 

 

Pas de doute, on va vers l'ouest ...

 

Deux pains, et une pizza : la routine ...

 

Pas si mal cette pizzéria !

 

Jeudi 17 mars

La nuit révèle un problème sur le radar : apparemment, il ne tourne plus. Ça va nous obliger à des quarts un peu plus attentifs sans sa veille technologique … Un grain de pluie, et la houle qui nous monte sur son dos un instant, puis s’en va poursuivant sa route vers le sud-ouest. Nous lançons le spi dans l’après-midi, Philippe jubile : nous voilà à 6 nœuds. On aurait dû l’envoyer plus tôt. Jusqu’à 14-15 nœuds de vent, il tient le choc. Mais des grains nous dépassent, et l’un nous vient vraiment dessus, on a juste le temps d’affaler avant la bonne averse et quelques rafales qui auraient crevé notre ultra-léger. Nous savourons une soirée de plus dans notre restaurant panoramique, avec une lune presque pleine qui veille sur notre sillage. Un bon petit vent d’alizé se renforce en soirée. « C’est ce que nous aurions dû avoir tout du long », ronchonne Philippe qui décidément n’aime pas la pétole, surtout au pays des alizés …

 

Et hisser l'artimon pour la nuit

 

Guitare cool

 

 

Vendredi 18 mars

Sahaya a filé droit, ses grandes ailes blanches déployées dans l’air de la nuit. Les quarts un peu plus serrés sans l’appui du radar ont permis de voir sa route vers l’ouest sous celle, parallèle, de la lune. Le matin, nous ne tergiversons pas et lançons le spi dès la fin du petit-déjeuner. Il nous aura rendu de fiers services ce spi, acheté d’occasion avant de partir en voyage. On ne s’attendait certes pas à l’utiliser autant sur la soi-disant « autoroute des alizés ». Y’a opération escargot ou quoi ?? Blocage des routiers ?? Notre leurre rescapé, un poisson à bavette, nous semble plonger trop profondément dans le sillage. Qu’à cela ne tienne, Philippe lui taille la bavette à coup de chalumeau. Il reste moins de 200 miles, comme une traversée Sète-Fornells, pff … une promenade du dimanche après-midi maintenant avec notre expérience ! La journée se passe à naviguer entre les grains, à les surveiller pour qu’une rafale sournoise ne mette pas à bas notre précieuse traction avant. Dire que ces grains ici bien inoffensifs, de gros nuages cotonneux en camaïeux de blanc et de gris, peuvent en été, sous ces mêmes latitudes, grossir, grossir, jusqu’à se transformer en monstres dévastateurs, cyclones et autres ouragans. Avançons ! Facile à dire … le vent change, nous fait empanner pour rien, pour finalement se casser complètement la gueule en soirée, et nous obliger à lancer le moteur …

 

La lune est levée à l'arrière ...

 

... quand le soleil se couche à l'avant. Il est temps d'affaler le spi.

 

Samedi 19 mars

Nuit dans le vrombissement du diésel dans le salon … Philippe se lèvera plusieurs fois dans la nuit, pour affaler le génois qui n’arrive même pas à rester un tantinet gonflé. Moi je loupe mes quarts, fatigue plus bruit du moteur, je n’entends même plus le réveil pourtant tout près de l’oreiller. C’est la pire des pétoles que nous ayons eue jusque-là. Le moteur ronronne toute la journée pour maintenir une moyenne de 3,7 nœuds, sans un souffle d’air. La surface de l’eau est lisse, sombre sous un ciel gris ourlé d’une ligne de grains sur bâbord. On la dirait plus lourde, plus dense, épaisse comme de l’huile que l’étrave du bateau ouvre sans presque une éclaboussure. Une averse vers midi. Et une touche vers 16 heures ! Au bout de la ligne, un thazard bâtard ou wahoo, entre 60 et 80 cm, poisson gris bleu argenté strié de rayures, avec une gueule pointue bien garnie de dents qui ne le sont pas moins. Ça va nous changer de la daurade même si nous étions loin d’être blasés ! Le leurre a fait son œuvre, mais n’a pas résisté aux coups d’assommoir : mort dans l’exercice de ses fonctions. Philippe s’occupe de préparer la bête, pavés et darnes pour trois repas. Nous ne sommes plus qu’à 65 miles de la Martinique, si le temps était plus clair, nous devrions pouvoir voir les îles, mais le rideau de nuages gardera peut-être bien le suspense jusqu’au bout. L’atterrissage au Marin est prévu pour demain matin. Ça me fait drôle de penser que c’est le dernier jour de mer, que demain, nous allons retrouver des lumières, des bateaux, un mouillage, une ville, « des autres gens », des paysages terrestres inconnus, des odeurs nouvelles, etc. Difficile de dire si je suis vraiment pressée … Une page se tourne avec la fin de la traversée, belle expérience de mer même si nous avons dû nous battre surtout contre l’absence de vent, contre l’énervement stérile et inutile qui nous prenait parfois que les promesses de vent ne soient pas honorées ! Mais nous aurions pu aussi nous plaindre de trop en avoir ! Bien-sûr, elle n’aura pas été une chevauchée fantastique sur des flots indomptés. Et Sahaya est plus agréable à naviguer avec du vent : il en faut bien un minimum pour lancer ses 15 tonnes d’acier dans une certaine dynamique. Me revient une phrase de Bernard Giraudeau dans son roman « Les dames de nage » : « On ne commande au vent qu’en lui obéissant, marmonnait le vieux. Il faut connaître son maître ; le deviner, le flairer, l’écouter, mon petiot, et celui qui le premier reconnaît ce maître sera servi par lui. » Le maître a aussi le droit d’avoir ses baisses de régime !

 

Le vent semble monter un peu dans la soirée, nous arrêtons le moteur vers 20h30, à cette vitesse, notre ETA serait à 7-8 heures locales.

 

Grain ... de beauté !

 

Philippe s'occupe du wahoo ...

 

... jusqu'au bout !

 

Dimanche 20 mars

Cette dernière nuit en mer, nous allons bien en profiter ! Le vent fait des pointes à près de 25 nœuds, et nous oblige à affaler l’artimon, prendre deux ris dans la grand-voile, et des tours dans le génois pour ne pas dépasser les six noeuds et faire une arrivée de nuit. Le comble de devoir maintenant freiner le bateau après tant de jours sans vent à essayer de le faire avancer ! Nous apercevons les côtes de la Martinique aux premières lueurs du jour. En approchant, c’est bientôt un vol de sternes au-dessus d’un banc de poissons, deux souffles de cétacés, de grandes frégates noires et blanches, du vert, des reliefs, l’odeur de la terre qui nous parvient après 3 semaines de mer. C’est l’émotion à l’arrivée de notre première Transat. Le temps de la mer se termine, mais le plaisir de la terre nous rattrape et emporte la mélancolie, curiosité d’un nouveau monde à découvrir, des fourmis dans les jambes déjà d’aller cavaler dans les montagnes. Notre première Transat effectuée en 19 jours et 20 heures, soit une moyenne de 112 miles par jour, soit encore une vitesse moyenne de 4,7 nœuds. Avec tout de même plusieurs journées à 140 miles par jour, mais aussi d’autres à 70 miles … On aurait évidemment pu mieux faire avec un poil plus d’air, et heureusement qu’on avait le spi !

On apprendra plus tard que des copains partis 10 jours avant nous ont mis près de 25 jours, dont plusieurs jours de calme total ! Ne nous plaignons donc pas trop.

 

Des crètes plus grandes que d'autres : la Martinique apparaît sur l'horizon.

 

6 noeuds : c'est bien le moment !

 

L’entrée dans le Cul de Sac du Marin est balisée de bouées, il faut se rappeler qu’on est ici dans le système B, et donc que les balises sont inversées : en entrant, le vert est à bâbord. La baie est large, mais le nombre de bateaux au mouillage nous impressionne vraiment : des centaines de bateaux, répartis de part et d’autre d’un chenal d’accès. On essaye d’abord vers la droite. « Dis Philippe, on n’avance plus là, on est plantés ! ». A force de slalomer entre les bateaux pour trouver une place, on vient de se poser tranquillement sur un banc de sable, pourtant mentionné sur la carte ! Heureusement rien de grave, Philippe relève un peu la dérive, et avec un coup de marche arrière, on se décoince. Allons voir le mouillage de gauche, plus tranquille. Nous finissons par trouver une place pour mouiller l’ancre, et après un petit déjeuner tardif, la chaleur et la fatigue nous tombent dessus comme la misère sur le pauvre monde. A plus tard !

 

L'arrivée au Marin

 

On n'est plus tout seuls !


28/03/2011
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