Noël, houle et alizés

Noël, houle et alizés

 

 

Mardi 21 décembre, un peu plus de 17h, cette fois-ci c’est parti, nous quittons Las Palmas de Gran Canaria, pas loin derrière le jaune Mougika d’Anne et Sébastien, avec qui nous avons sympathisé pendant notre séjour. Ils visent Mindelo, sur l’île de Sao Vicente, et nous l’île de Sal, la plus proche de Gran Canaria à l’extrémité nord-est de l’archipel du Cap Vert. Au début, peu de vent à l’abri sous le vent de l’île, puis ça monte doucement, 20 nœuds d’ouest,. Nous restons en contact avec Mougika sur le canal 72 de la VHF. Ça nous permet d’entendre l’avertissement d’un bateau français qui fait demi-tour car il a cassé une prise de ris en prenant plus de 30 nœuds de vent une fois passée la pointe de Gran Canaria. Prudence donc … Nous dînons tôt pendant que c’est encore tranquille ! Effectivement, dès que nous ne sommes plus sous la protection de l’île, le vent forcit rapidement, accompagné par la houle. 30 nœuds nous annonce l’anémomètre avant de se mettre en carafe (en fait juste un faux contact vite réparé), mais Philippe pense plutôt que ça frise les 40. Réduisons la voilure ! Un ris puis deux dans la grand-voile, un ris dans l’artimon, et quelques tours de vis au génois, voilà qui est mieux. Les conditions empirent dans la nuit, les plus rudes que nous ayons connues avec ce bateau. La mer est forte, le bateau fait des bonds à 8 nœuds sur les vagues, sensations d’envol et moments d’apesanteur, de grands claques d’eau de mer balayent le pont et viennent aussi rincer le cockpit, nous nous calfeutrons à l’intérieur. Merci Eliot ! (Eliot c’est le pilote). Tout ce qui devait tomber est par terre : les bouquins, la bouilloire volent, le bar s’ouvre, un tiroir à couverts sort prendre l’air. La barre antiroulis de la cabine tribord (qui nous sert de « fourre-tout ») tombe, et le flot se déverse : fringues, guitares, banjo, sacs à dos atterrissent dans le couloir. Quel chantier en peu de temps ! Le chantier, ça l’est aussi très vite dans mon estomac de terrienne. Ah misère ! Pourquoi faut-il que les navigations démarrent toujours plein pot ???

 

Mercredi 22 décembre, le vent faiblit un peu dans la matinée, on est encore pas mal secoués, mais un peu moins que la veille. Il ne fait pas bien chaud, les pantalons restent de rigueur. Pendant la nuit, le vent tombe, mais la houle est toujours là. Pour ne pas jouer trop les pruniers, Philippe veut démarrer le moteur, mais le coco nous refait les mêmes symptômes que pendant la traversée d’Ibiza vers l’Espagne : poussif à l’allumage, puis l’alarme de pression d’huile qui sonne : trop faible. Rebelote, de l’eau de mer est entrée dans l’huile, il faut vidanger, et faire, avec la houle, de délicates manœuvres de transvasement de près de 8 litres de mayonnaise grise dans des bouteilles que nous jetterons à la mer ensuite. Mais naaaan ! Alors, si y’a plus moyen de plaisanter … On n’a jeté que l’huile …

Un filtre à huile neuf, et le moteur repart, ouf … Mais il faudra quand même comprendre d’où vient le problème. On a déjà déplacé le waterlock, alors ? Peut-être la pompe à eau de mer qui se retrouve très basse à la gîte sur bâbord? Dans le doute, nous fermons maintenant la vanne dès l’arrêt du moteur.

 

 

Jeudi 23, matinée avec du vent de nord-est, on avance bien, à 6 nœuds de moyenne, sur une houle croisée. L’après-midi, il vire au sud-est, la houle se calme, et la voix chaude de Marcio Faraco investit le cockpit. Philippe l’accompagne à la guitare histoire de se préparer à la bossa. Plus on descend, plus il fait froid ! La nuit est tranquille, au moteur, sous la lune qui décroit doucement. Philippe voit des dauphins pendant son quart, moi deux cargos, chacun son truc !

 

 

Vendredi 24, temps nuageux et toujours pas très chaud. Le vent souffle de l’est, faible. Du nord-est est annoncé, alors on l’attend … Journée au moteur, nous avons parcouru un tiers du trajet. Quelques globicéphales passent nonchalamment. Philippe installe la ligne de traîne avec le poulpe vert et jaune acheté à Las Palmas, LE leurre auquel les daurades ne peuvent pas résister ! Ça ne fait jamais que trois jours que nous sommes en mer, et j’ai déjà presque perdu la notion du temps. Je prends maintenant quelques notes chaque jour, sinon la mémoire se laisse embrumer par ces journées si particulières et si ressemblantes à la fois. J’ai du mal à m’imaginer que c’est la veillée de Noël ce soir, que les neveu et nièces vont tout excités mettre leurs chaussons devant le sapin. Déjà, nous n’étions pas trop dans le coup à Las Palmas, tout surpris devant les décors et les dorures, les sempiternels Pères-Noël « made in China » escaladeurs de balcons, l’effervescence des achats dans les magasins, alors que nous nous promenions en t-shirt et qu’en France la neige bloque les routes ! Bon ce soir quand même, douche chaude, on se fait beau pour le Réveillon ! Les daurades doivent aussi réveillonner quelque part, aucune ne mord au joli piège qu’on a tendu. Pâtes au saumon fumé alors pour ce petit repas à deux sous les étoiles, sous les bons hospices d’Orion. Philippe a commandé du bon vent au Papa Noël, moi un peu de paix intérieure pour faire des choix, ou l’inverse, nous verrons bien si nous sommes exaucés ! Joyeux Noël !

 

Joyeux Noël !

 

Samedi 25 décembre, le vœu de Philippe a été exaucé pendant la nuit : l’alizé de nord-est, le fameux, le presque mythique depuis le temps qu’on nous en parle et qu’on l’a lu dans les livres et qu’on n’a encore jamais vu, se lève, oscillant entre 15 et 20 nœuds. Il ne nous lâchera plus jusqu’à la fin de la traversée. Par contre, y’a eu un cadeau annexe : la houle de Noël ! Les boules !! Qui ne nous lâchera pas non plus, une grosse houle de nord-ouest, certes assez longue, mais qui conjuguée à la courte mer du vent de nord-est, crée une mer fort désorganisée et très pénible. Le bateau passe sans cesse d’un bord sur l’autre, c’est aussi confortable qu’un séjour en lessiveuse. Hélas, ça risque de durer, et on n’a peut-être pas encore tout vu, car les météos marines de Monaco Radio et de RFI annoncent en chœur une mer forte par houle croisée de nord-ouest dans le secteur du Cap Blanc. Ça promet … Pour l’instant, ce n’est pas encore mer forte, mais plutôt du n’importe quoi, encore pire qu’en Méditerranée, c’est dire !

Nous en sommes presque au dessert quand l’élastique qui retient la ligne de traîne se tend. Notre premier poisson ! Notre première daurade coryphène !! Branle-bas de combat ! Une petitoune, parfaite pour le repas de ce soir. Parfaite et de taille pédagogique pour les deux néophytes que nous sommes qui ont tout à apprendre : la sortir de l’eau, la tuer vite et bien, la découper proprement. Quel joli poisson, jaune-vert fluo, elle perd ses vives couleurs et vire presque instantanément au gris quand on la sort de l’eau. Elle semble étonnée de ce qui lui arrive, le poulpe dépassant de la gueule, elle s’est attaquée à gros par rapport à sa taille. Merci daurade de t’être sacrifiée pour nous, cadeau de Noël de la mer dans son habit doré …

Philippe tangonne le génois que la houle chaotique dégonfle régulièrement. Eliot a un peu de mal, se laisse embarquer au lof, et le bateau fait des embardées de 30 degrés. Emilienne (l’éolienne) bosse bien, les frères Norbert (les panneaux solaires) un peu moins avec les nuages. Fin du quatrième jour de mer, et la moitié du chemin est parcourue. Le temps distendu du début a pris une nouvelle dimension adaptée à celle du bateau, où les heures cessent de défiler follement. Ça me rassure de voir que je finis par m’amariner, au bout de quelques jours de mer, la vie est presque « normale », enfin, dans la limite des lois de l’équilibre ! Quand j’essayais de m’imaginer ce que pourraient être les sensations en longue traversée, je me demandais si je n’allais pas me sentir « perdue » voire angoissée d’être sur une coque de noix cernée d’eau de toutes parts, sans ligne d’horizon salvatrice. Et puis finalement non, je ne me sens pas perdue en mer. Le GPS et la cartographie doivent sans doute y être pour quelque chose (et aussi les conditions de mer qui n’ont jamais été dantesques non plus !), mais il y a aussi le mouvement du soleil, le ciel renouvelé chaque nuit avec les étoiles qui servent de repère. Et puis aussi la confiance dans le bateau qui trace sa route sans faiblir.

 

Notre daurade pédagogique

 

Filets mignons

 

La nuit se passe sans problème, comme les suivantes, un cargo au loin, 6 à 7 nœuds de moyenne, il est juste de plus en plus difficile de se lever pour prendre son quart avec la fatigue qui s’accumule. C’est marrant de faire le quart derrière Philippe et de repérer tous les petits « nids » qu’il s’est confectionnés sans trouver apparemment le lieu de repos, pardon, de veille, idéal : la toile derrière la table à carte, le transat dans le cockpit, le coussin sur les bancs.

 

Comme un papillon prenant le vent dans ses ailes

 

Dimanche 26 décembre, la houle de nord-ouest est là et bien là … Houle croisée, creux de 3-4 m, mer forte, ça bouge pas mal. Journée à l’humeur morose, coups de blues, ennui, angoisses. Fatigue ? Pourtant le bateau marche bien, l’alizé nous porte et c’est heureux qu’il ne nous abandonne pas dans cette mer hachée ! Moments où le voyage me paraît une évidence, une aventure à vivre à pleines dents en acceptant la liberté et son pendant, une certaine précarité. Et cinq minutes après, patatra, ce voyage me semble une folie où je ne suis pas sûre de trouver le compte de plaisir et de sérénité, et tous ces « sacrifices » et et et … Allez, rideau pour aujourd’hui.

 

Lundi 27, sixième jour de mer, avec un peu moins de vent, mais toujours cette foutue houle croisée qui fait rouler le bateau sans arrêt. Il commence seulement à faire plus chaud, et nous nous payons un après-midi de bronzette sur le pont, le premier ! Un paille en queue vient survoler le bateau, bel oiseau à ventre blanc, et dos gris clair, au bec orangé. On voit aussi des oiseaux blancs et noirs que je pense être des pétrels glisser élégamment au-dessus des vagues. Et des poissons volants sauter hors de l’eau en escadrilles argentées. Pendant la nuit, on empanne le génois et la grand-voile. Avec la houle, le tangon se décroche et on se dépêche d’aller le récupérer avant qu’il ne casse tout sur le pont. Un petit calamar sauteur est en train d’y sécher, on le remet à l’eau sans présumer de ses chances de survie …

 

Horizon houleux

 

Cuisine sommaire ...

 

Mardi 28 décembre, le vent faiblit toujours, 15 nœuds, mais la mer reste forte avec la houle croisée, les voiles font peine à claquer dans le roulis, dommage sinon ça glisserait tout seul ! On a finalement décidé de viser Mindelo sur l’île de Sao Vicente, car on a un peu peur que les mouillages de Sal soient exposés à la houle de nord-ouest. Ça rallonge la route d’une soixantaine de miles. Dans l’après-midi, je prépare le drapeau de courtoisie capverdien, ça devient presque un rituel ! Les silhouettes des îles du Cap Vert sortent de la ligne d’horizon à la fin de la journée, le GPS ne s’est pas trompé ! On aperçoit Sao Nicolau, Sao Vicente, et Santo Antao, mais nous n’y sommes pas encore. On ne coupera pas à une arrivée de nuit, mais normalement l’entrée dans Mindelo ne doit pas trop poser de problème, surtout avec nos moyens de navigation modernes. Il ne faut d’ailleurs pas trop compter sur les feux, présents sur la carte et qui ne brillent … que par leur absence !

 

Mercredi 29, tout petit matin, Sahaya pointe son nez dans le canal entre les îles, Sao Vicente sur bâbord, et Santo Antao sur tribord. Il est réputé pour son effet « vent tu ris », et comme on ne rigole pas avec ça, on ne garde que le génois et le moteur pour l’approche. On a un peu de mal à repérer le caillou « Ilhéu dos Passaros » qui garde l’entrée de Mindelo, ce cerbère pointu se cachant dans les ombres des reliefs plus lointains. Ça y est, repéré, on le contourne bien large par l’ouest, une petite barque de pêche éclairée est ancrée à l’abri sous son vent. Après, il faut essayer de déchiffrer les ombres et lumières de la ville, éviter les cargos non éclairés au mouillage ou dans un état d’échouage plus ou moins avancé, et finalement repérer les autres voiliers au mouillage une fois qu’on a quasiment l’étrave dessus ! 40 m de chaîne plus tard sur 4 m de fond, nous voilà bien ancrés à Mindelo, au calme, tous les deux en même temps dans un même lit … à plat ! Quel bonheur ! Il est 5 heures du matin ici, extinction des feux (de nav’) ! Avant de tomber rapidement dans les bras accueillants de Morphée, nous réalisons quand même que cette fois, ça y est, nous avons quitté l’Occident. Un cap est franchi …



11/01/2011
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