Sierra Nevada del Cocuy : c'était pas du tout cuit ...

Sierra Nevada del Cocuy : c’était pas du tout cuit …

 

Vendredi 16 septembre 2011, vers 20h30, nous sommes installés dans un bus de la compagnie Copetran, qui doit nous mener jusqu’à Bucaramanga. Bus plutôt confortable, les sièges s’inclinent et permettent d’envisager de se reposer un peu. On nous avait prévenus : couvrez-vous ! Et ce n’était pas des paroles en l’air : la climatisation est tellement poussée qu’il fait carrément froid, et que les vitres ruissellent de condensation. Chaussettes, duvet, on est parés pour affronter le froid polaire des voyages en milieu tropical. Le carburant n’est décidément pas encore assez cher ! Le bus s’ébranle … Cette formule prend rapidement tout son sens car le revêtement de goudron lisse laisse place, dès la sortie de la ville, à une succession de nids de poules, de boue et de graviers, de chicanes, de travaux, etc. C’est pourtant une route principale jusqu’à Bogota, mais on comprend vite pourquoi le bus ne fait pas une grosse moyenne ! Et de fait, on sera bien secoués durant tout le trajet. La circulation est finalement assez dense, et le nombre important de camions sur la route est frappant. A chaque fois que je sors un œil de derrière le dossier, le bus est soit derrière un gros cube, soit en train de le doubler (ce qui me fait parfois effectuer un repli stragique à l'abri du dossier en regrettant d’avoir risqué un œil … Mieux vaut parfois ne pas tout voir !). Ce sont de gros camions, type américains. Tous les échanges de marchandises de Colombie se font par la route, car il n’y a pas de train. On voit assez peu de voitures finalement, les gens voyagent plutôt en bus, et nous sommes a priori les deux seuls touristes étrangers au milieu des Colombiens : des couples, des gens voyageant seuls, des familles avec des enfants endormis dans les bras, …

 

Embarquement pour 10 heures de bus

 

Petit repérage ...

 

Après une nuit chaotique, le bus arrive vers 6h30 à Bucaramanga, et à une demi-heure près nous avons raté le seul bus direct vers Capitanejo. Celui dans lequel nous montons s’arrête à Malaga. Même en s’adressant directement au guichet des compagnies de bus, il est très difficile d’obtenir des informations fiables au-delà du terminus suivant, les correspondances semblent tenir du coup de bol, quand on a la chance que le bus suivant soit encore plus en retard que le précédent ! Après Bucaramanga, la route attaque la montagne, route qui chez nous serait au mieux qualifiée de piste, voire par endroits de chemin de VTT : étroite, non goudronnée, tortueuse, en mauvais état, c’est pourtant la seule voie d’accès, et le bus semble d’une largeur disproportionnée. Philippe qui est assis côté droit me pousse souvent du coude pour me montrer que la route du bus passe à environ 10 cm d’un éboulement qui ouvre directement sur un précipice de plusieurs centaines de mètres. Mais nous sommes placés sous la protection de la Vierge Marie … Un boulot à temps plein vu l’état de la piste : éboulements, glissements de terrain, traversées de torrents impétueux, blocs de plusieurs mètres cubes qui tiennent suspendus par l’opération du Saint-Esprit. Et qu’elle veuille bien avoir quelque indulgence pour les pneus lisses ! Malgré tout, nous ne voyons pas de carcasses de bus écrasées au fond des ravins, et même si la végétation repousse vite, c’est qu’il ne doit y avoir tant d’accidents que cela … D’ailleurs, le chauffeur ne semble pas le moins du monde anxieux, et conduit très cool en toutes circonstances : le portable souvent collé à l’oreille, discutant avec son collègue en moulinant des bras, il négocie les virages en posant de temps à autre les mains sur le volant et le levier de vitesse. Les paysages sont somptueux, les vallées verdoyantes s’enchaînent, et nous arrivons vite au bout des 7 heures de bus qui nous déposent, sains et saufs (Dieu soit loué ??) à Malaga, où nous sautons dans un taxi pour rejoindre Capitanejo. Là, nous apprenons que le bus de 3 heures du matin pour Cocuy ne passera pas demain dimanche, et qu’il faudra attendre celui de 16 heures.

 

 

"Chauffeur, si t'es champion ..."

 

Il prend toute la largeur de la piste

 

La "DDE" locale, armée de simples pelles

 

Dimanche 18 septembre, nous passons la journée de repos dominical à Capitanejo, petite ville qui revendique posséder « le climat le plus sain et le plus agréable de la Colombie ». Les touristes étrangers ne courent pas les rues, nous devons bien être les seuls. C’est jour de marché, et les villageois des alentours ont convergé vers ce petit bourg. En recherchant un adaptateur de prise, nous faisons connaissance avec Angela, qui aide sa mère à tenir un petit bazar, et qui nous offre un « tinto » (qui désigne le café noir en Colombie) dans la grande maison familiale (ils sont 14 enfants !) derrière la boutique. Un de ses 7 frères tient une piscine en plein air, où les habitants de Capitanejo et des villages alentours viennent passer le dimanche avec les enfants, faisant trempette, en sirotant bières et sodas et en grignotant des chips sur la terrasse. Il y a aussi une piste de danse, qui fait office de salle de restaurant. Du coup, nous y mangeons le midi. Angela aime bien discuter, et nous offre bières et café. C’est l’occasion d’en connaître un peu plus sur la Colombie. On parle de la religion, qui est encore très prégnante ici, en effet il y aurait au moins 95% de catholiques dont une bonne proportion de pratiquants, héritage espagnol … Le dimanche dans cette petite ville, il n’y a pas moins de trois offices, et, nous dit Angela, à celui du soir, l’église est pleine à craquer. Le fait que nous soyons venus en Colombie en bateau à voile la surprend et l’impressionne beaucoup. Mais l’heure de partir approche, et après quelques photos souvenirs et échange des adresses mail, nous prenons place dans le petit bus qui doit nous amener à Cocuy. La route est bien scabreuse encore, c’est la seule voie de communication entre Capitanejo et Cocuy, et maisons et fermes d’aspect plus ou moins rustique émaillent tout le trajet. Elles semblent perdues dans ce paysage de montagne, mais les déplacements à moto doivent finalement permettre de rompre cet isolement apparent. Le bus nous dépose vers 19h30 sur la place principale de Cocuy, et la température fraiche nous rappelle que nous sommes ici à 2700 m, et que les polaires vont retrouver droit de cité. Un chauffeur de taxi nous indique un hôtel « muy barato » (très bon marché), la « Casa vieja » (la vieille maison), où nous posons nos sacs à dos pour la nuit.

 

La bonne parole dans l'église de Capitanejo

 

Avec Angela

 

Le dernier bus pour Cocuy

 

Au grand jour, la « Casa vieja » se révèle être une grande maison coloniale, et comme la plupart, organisée en carré autour d’un patio ouvert sur le ciel. Il est bordé de pots de géraniums, et la plupart des pièces ont été transformées en chambres. Je trouve qu’elle a beaucoup de charme, celui d’une ancienne demeure qui a eu sa belle époque et qui essaye de garder une certaine prestance. Les arcades du patio sont repeintes de frais aux trois couleurs classiques : vert bouteille, blanc et rouge cramoisi, et arrivent presque à faire oublier les murs qui se lézardent, les fenêtres de guingois, et les fissures qui zèbrent les plafonds. Il faut dire que le prix de la nuit est très bas (8000 $, soit un peu plus que 3 €), et que le propriétaire du lieu, Roberto, peintre et musicien de son état, me semble plus enclin à la bohème qu’à l’entretien d’une si grande bâtisse. C’est d’ailleurs sa maman, avec laquelle il vit dans une petite pièce attenante à son atelier, qui semble faire tourner la boutique ! Mais Roberto est charmant, et aussi assez charmeur, il nous en fera une démonstration le soir en improvisant un petit concert, chantant des chansons colombiennes traditionnelles (bolero, bambuco, etc.) d’une voix suave de crooner en s’accompagnant avec un « tiple », un genre de guitare à douze cordes, mais avec quatre notes triplées (une corde pour la note, et deux cordes à l’octave). Chansons qui parlent pour la grande majorité d’amour, le plus souvent difficile : « corazon » (le cœur), « amor », « dolor », « sentimiento », « comigo » (avec moi), « contigo » (avec toi), difficile de trouver une chanson qui ne contiennent pas au moins un de ces mots, quand elles ne les reprennent pas tous ! Le long des longues heures de bus où cette musique passe en boucle à en attraper une indigestion de sentiments, c’était devenu un jeu : « Je te parie que dans la prochaine, il y a du « corazon » ». Gagné ! Ce petit concert est bien sympa, sous les arcades de la Casa vieja. Philippe accompagne Roberto à la guitare, puis on fait quelques petites chansons de notre répertoire, piochées dans nos « classiques » car on n’a pas répété depuis bien longtemps (mea culpa …). On est très applaudis, d’autant qu’il y a des spectateurs : des étudiants en pédagogie de l’université de Bogota qui viennent passer quelques jours dans la Sierra Nevada de Cocuy et sont logés ici. On se taille même un franc succès en racontant que nous sommes venus en Colombie en bateau à voile, à deux. « Qué chévéré ! » (expression colombienne pour dire super ! génial ! trop fort ! etc.), on passe quasiment pour des héros ! C’est vrai que vue d’ici, de ce petit village en pleine montagne, à plus de 2700 m et d’une journée de bus de la côte, la mer paraît bien loin … Revenons à ce petit village justement (pas si petit d’ailleurs, car la commune de Cocuy compte environ 5000 habitants), où nous passons notre journée de lundi. Il présente une belle unité, car toutes les maisons sont blanches de façade, avec portes, fenêtres, et bas de murs peints du même vert, et des toits de tuiles. Une grande place carrée, devant une grande église, et dans le jardin sur la place, une reproduction en miniature de la Sierra Nevada del Cocuy, avec ses cols, ses pics, et ses nombreuses « lagunas ». Nous visualisons notre trek, avant d’aller nous inscrire à la maison du parc. Là surprise, un des gardiens nous apprend que le tour classique sur cinq ou six jours que nous envisageons de faire, « la Vuelta de la Sierra », est fermé depuis le mois de mai dernier ! Y porque ? En fait c’est une mesure de précaution, car les élections approchent (fin octobre), et au cas où il y ait des excités, ou des guérilleros qui viendraient du Venezuela, etc. En discutant, le gardien finit par nous dire qu’il n’y a encore jamais eu de problème de cet ordre et qu’il est très peu probable que l’on ait le moindre ennui, encore moins si l’on part avec un guide, mais même sans ça devrait aller quand même. Sur le ticket est indiqué que nous avons été mis en garde, faudra donc pas venir nous plaindre si nous sommes kidnappés ! Inch Allah ! Après quelques compléments de vivres de course, nous faisons à pied un peu de la route que nous prendrons le lendemain matin avec le « lechero ».

 

Le patio de la "Casa vieja"

 

Une des nombreuses peintures de Roberto

 

 

 

Dans les rues de Cocuy : une bonne vieille 4L comme on n'en voit plus !

 

Cocuy vu de dessus

 

Roberto en concert, s'accompagnant avec un "tiple"

 

Mardi 20 septembre, nous embarquons dans le « lechero », le camion du laitier, qui part de Cocuy à 6h30. C’est un camion avec des ridelles en bois blanc, et couvert d’une bâche. Il fait frisquet et nos haleines laissent des panaches blancs dans l’air matinal. On se case comme on peut entre les bidons de lait et les cartons. Nous ne sommes pas les seuls à embarquer, des Colombiens sont déjà installés, ainsi qu’un couple de randonneurs. Le lechero, c’est une institution, un véritable cordon ombilical qui relie les fermes d’altitude de la Sierra del Cocuy. Camion de lait, mais aussi transport de marchandises, et taxi. Les arrêts sont fréquents : des bidons de lait attendent sur le bord de la route, avec ou sans leurs propriétaires. Bidons de toutes contenances et de toutes provenances : de 1,5 à plus de 20 litres, anciens bidons d’huile moteur, d’huile végétale, d’engrais, et quelques « vrais » bidons de lait, en alu cabossé. L’aide du chauffeur les empoigne, et les verse dans les grands bidons du camion. Le lait fume, encore tiède, des brins d’herbe flottant à la surface. Un sifflement, et le camion repart jusqu’à l’arrêt suivant, quelquefois à peine 100 mètres plus loin. Le lechero transporte de tout : sacs de patates, de farine, de sucre, de riz, boîtes d’œufs empilées, caisses de bouteilles de bières pleines ou vides, sacs de viande, briques de couleur caramel que je prends au départ pour de la margarine, mais qui sont en fait de la « panela » (du sucre de canne non raffiné et solidifié), rancheros à chapeau de cow-boy, bottes et poncho, adolescents rivés à leur portable, mamies calées sur des pneus, petits garçons à casquettes brodées « Bill Surf », bonbonnes de gaz, table, tronçonneuse, gros sacs à dos et les randonneurs qui vont avec … Après une bonne heure de trajet, le lechero nous laisse à Alto de la Cueva, à l’embranchement d’un chemin qui nous mène aux premières Cabañas de Herrera, à 3950 m d’altitude. Nous décidons de nous arrêter dormir là pour, le lendemain, faire une balade à la journée jusqu’au pied du Pulpito del Diablo. Deux nuits à près de 4000 m, et cette balade, nous feront office d’acclimatation avant de nous lancer dans le trek proprement dit qui, en 5 ou 6 jours en complète autonomie, fait le tour de la Sierra Nevada del Cocuy avec des franchissements de cols jusqu’à 4700 m. En attendant, nous montons la tente près de la cabane, habitée par Luis Alejandro, sa femme et leur petite fille de 3 ans et demi, Carolina. Pour nous mettre en jambes, un peu « rouillées » par la vie de bateau, nous partons sur le chemin qui passe aux Cabañas Herrera suivantes, tenues par un frère de Luis, et remonte une vallée en suivant un ruisseau d’eau claire qui serpente dans un paysage de landes humides et de tourbières, parsemées d’étangs et de lagunes. C’est le « paramo », une formation végétale d’altitude, avec ces plantes si particulières : les « frailejones », des composées à grandes feuilles duveteuses, avec des fleurs dont la texture rappelle celle des edelweiss, et juchées sur des troncs qui semblent gorgés d’eau. Il y en a de toutes les tailles, certaines peuvent atteindre 3 mètres. Nous poursuivons jusqu’à la Laguna Pintada, puis rentrons. A l’arrivée, nous faisons plus ample connaissance avec Carolina, qui nous serre de près et suit tous nos faits et gestes en nous demandant sans cesse : « Que estas haciendo ? » (Qu’est-ce que tu es en train de faire ?). Essayer de lui répondre est un bon entraînement pour notre espagnol ! Avec le froid et l’altitude, elle a les joues comme deux pommes rouges, et avec ses cheveux noirs et lisses et ses yeux un peu bridés, on dirait presque une petite tibétaine. Luis emploie un ranchero qui propose les services de ses chevaux pour les touristes, et aussi pour ravitailler les cabañas en matériel et nourriture. Il veut savoir combien coûte ma tente technique « en plata colombiana » (en argent colombien). D’après lui, elle coûterait plus cher en Colombie. Elle a 15 ans d’âge, mais il la visite quand même en la trouvant très bien conservée ! Carolina la visite aussi, y joue, puis d’un coup se met à pleurnicher, je la prends dans mes bras pour la consoler, et elle s’y endort dans la minute qui suit ! Sa mère vient la récupérer, et la met au lit directement. Il n’est même pas cinq heures, mais la journée touche déjà à sa fin, et après un « caldo » (une soupe de pommes de terre servie avec un œuf poché), nous filons au lit guère plus tard que Carolina ! Tout le monde est déjà couché, il est vrai qu’il fait froid, et il n’y a pas d’électricité.

 

Ah qu'il est beau le débit de lait ...

 

A l'Alto de la Cueva

 

La vallée du "Rio Lagunillas"

 

La carte de trek

 

Une tente pareille, ça se visite !

 

Les "frailejones" du "paramo"

 

Notre camping aux Cabañas Herrera

 

"Que estas haciendo ?"

 

Carolina en pied

 

Couchés avec le soleil, et levés avec aussi. La journée commence tôt, vers 5 heures 30. La nuit n’a pas été trop froide sous la tente, et un soleil radieux nous accueille, nous dévoilant un paysage majestueux que les nuages avaient gardé pour eux hier : en face de nous, le Pulpito del Diablo découpe sa silhouette cubique sur la neige blanche, à côté du Pan de Azucar, coiffé d’un glacier. Après le petit déjeuner, au soleil, nous préparons tranquillement les sacs pour la journée, en discutant avec Carolina et sa mère. La cabane est très rustique, faite de troncs de frailejones, de bois et de terre séchée. Elle abrite une cuisine au gaz, et un petit foyer à même le sol, sans cheminée. En face, une autre cabane plus longue avec la pièce où dort le ranchero, une autre avec trois lits simples pour les randonneurs de passage, et une troisième où Carolina dort avec ses parents. Des toilettes dans un cabanon, et pour l’eau, c’est celle de la source qu’un tuyau capte et amène jusqu’à une bassine qui sert d’abreuvoir pour les chevaux. Ils ont des chevaux pour se déplacer, des moutons pour la laine, quelques vaches qui vadrouillent en liberté, des lapins, des poules pour les œufs et un coq pour les poules. La simplicité … Philippe demande s’ils sont heureux ici. Elle montre la montagne alentours, et c’est une réponse. Oui ! Le portable semble une des seules « concessions » à la modernité, et il faut qu’elle descende le recharger chez une amie qui habite plus bas. On se dit que dans ces régions de montagne de Colombie, le style de vie n’a pas dû beaucoup changer depuis 50 ans, à part le portable donc, dont tout le monde est pourvu et qui semble passer même au plus profond des vallées. Allez l’heure tourne, en route. Une jolie montée nous conduit jusqu’à une crête à 4700 m qui nous donne une belle vue sur le Pulpito del Diablo … mais vue furtive car le brouillard d’abord, puis la pluie, s’en mêlent, nous font redescendre rapidement. La pluie nous raccompagne jusqu’à la cabane où nous arrivons transis. Le poncho de Philippe est poreux, et toutes ses affaires sont trempées. La tente a un peu pris l’eau aussi, nous la démontons pour la faire sécher sous l’auvent de la cabane, et louons la chambre pour la nuit. 18 heures, extinction des feux, nous sommes dans un autre espace-temps ici. Je peine à me réchauffer, toute habillée dans mon duvet, et sous 5 couvertures. Qu’en sera-t-il en bivouac à plus de 4000 m ???

 

 

Frailejones

 

A gauche le Pulpito del Diablo, à droite le Pan de Azucar, déjà mangé par le brouillard

 

 

Nuit froide dans la cabane ...

 

Le matin du jeudi 22 septembre nous trouve abîmés dans de grandes tergiversations … Faire ou ne pas faire le trek ? La pluie de la veille nous a refroidis, et nous nous rendons compte que nous sommes un peu juste au niveau du matériel : mon duvet surtout, pas assez chaud, la tente qui a pas mal d’heures de vol, le poncho de Philippe, etc. Bref, pas facile de préparer un trek en montagne avec les moyens du bord … Luis Alejandro essaye de nous aider, et nous suggère d’aller au moins jusqu’à la Laguna de la Playa, en passant le Col de Cusiri. La vue en vaut le déplacement apparemment. Ce serait le bivouac « test », et en fonction, soit on se lance dans la suite du trek, soit on rentre. Allez c’est parti. En chemin, nous croisons un groupe de Colombiens qui portent à dos d’hommes une grosse fosse septique (plus de 500 kg) pour la cabane la plus éloignée, et aussi la plus « chic » (et de loin la plus chère !), qui accueille les randonneurs. Hélas, au pied du col, la météo vient engourdir nos ardeurs, avec une barrière de nuages qui coiffe les sommets et semble camper sur le versant est. Ici, les nuages de mauvais temps viennent du sud-est, poussés depuis le grand bassin amazonien, et viennent crever sur les premiers hauts reliefs que leur oppose la Sierra Nevada del Cocuy. Ce n’est vraiment pas engageant, et la pluie enfonce le clou. Alors tant pis, à regrets, nous prenons le chemin du retour, les sacs semblant peser encore plus lourd dans ce sens-là, pour passer une troisième et dernière nuit à la cabane …

 

Y aller ou pas ?

 

Sur le chemin derrière les porteurs de fosse

 

 

Le temps s'est vite gâté ...

 

Qu'est qu'on s'amuse avec une petite pomme de terre et un grand couteau !

 

Grande cuisine ...

 

De retour de la journée "en ville"

 

Evidemment, le lendemain matin, le soleil vient nous narguer … Et si, finalement ?... Mais à force d’attendre, on va être juste en vivres. Et en plus, on s’est rendus compte le réchaud avait laissé filer sa réserve de gaz dans le sac. Heureusement, on a une bouteille de rab’. Bon alors ?… Si ça se trouve, c’est parti pour du beau temps pour une semaine ?... Mais non, il faut être raisonnable, avec notre matériel, à plus de 4000 m, et à plus de 3 jours de marche de toute habitation, il suffirait de peu de choses pour que la belle aventure se transforme en vraie galère. Alors on renonce, quelque regret dans les yeux, espérant presque qu’il va tomber des trombes d’eau pour entériner le bien fondé de notre choix … C’est la montagne, c’est la vie … « Una otra vez », philosophe Luis Alejandro. Quizas ? « Un abrazo » à Carolina, et nous revenons vers Alto de la Cueva attendre le passage du « lechero blanco » qui fait une grande boucle depuis Guican. Il arrive, brinquebalant sur le chemin. Une grande cuve en plastique de 1 m3 est ficelée aux ridelles du camion, et commence tout juste à se remplir de lait après notre montée. Les arrêts sont encore plus fréquents dans cette partie que depuis Cocuy, et le camion fait de nombreux allers-retours pour aller desservir des haciendas isolées. A l’une d’elle, il chargera au moins une cinquantaine de grandes planches. L’aide est homme à tout faire : verser le lait, tenir un carnet de comptes, payer les fermiers en direct certaines fois, charger et décharger les marchandises, etc. A ce petit train-là, il nous faut trois bonnes heures pour arriver à l’embranchement qui monte aux Cabañas Kanwara, un autre départ de randonnées dans la Sierra Nevada del Cocuy, un peu plus au nord. C’est là que nous aurions dû faire notre retour à la « civilisation » si nous avions fait le trek, « la Vuelta de la Sierra ». Le paysage change, plus vert, plus campagnard qu’aux Cabañas Herrera dont nous venons. Les Cabañas Kanwara nous surprennent : ce sont en fait de petits chalets équipés tout confort, disséminés dans un pré, qui doivent se louer. Il doit aussi normalement y avoir moyen de camper. Mais pour l’heure, tout est fermé, et il n’y a pas un chat. Par contre, il y a des chiens, qui nous déboulent dessus dès que nous faisons mine d’aller vers une des fermes en contrebas pour chercher des renseignements. N’étant pas sûrs de leurs intentions, nous n’insistons pas, mais finalement, après quelques aboiements d’usage, ce sont eux qui viennent nous voir et nous emboîtent même le pas quand on part se balader au-dessus des cabanes. En fin d’après-midi, les gens de la ferme viennent nous voir, et nous ouvrent les toilettes extérieures du camping. Drôle d’atmosphère ici, on pensait croiser d’autres randonneurs mais notre tente est bien seulette dans le parc à moutons ! La nuit est étoilée, et fraîche, et je dors habillée dans le duvet avec les habits de Philippe étalés dessus.

 

Le cheval est le moyen de transport le plus utilisé

 

Seuls aux Cabañas Kanwara

 

Samedi 24 septembre, le soleil est au rendez-vous, et nous partons pour la montée au Rita Uwa Blanco qui culmine à 5300 m, ou plus exactement jusqu’à la limite de la neige, car nous n’avons pas emporté l’équipement de progression sur glacier, piolet et crampons. C’est le plus haut sommet de la Sierra Nevada del Cocuy, et nous en avons une belle vue, avec son petit frère rocheux Rita Uwa Negro, quand nous arrivons en haut de la crête, qui frise les 5000 m. Ce sera notre consolation de ne pas avoir fait le trek, nous sommes montés assez vite et sans souffler comme des asthmatiques, la forme commençait à revenir … Le soir, nous mangeons à la ferme, dans la cuisine, la dame nous a préparé un dîner « corriente » (courant) : une bonne soupe de légumes, un œuf au plat servi avec du riz et des « patatas francezas » (des frites donc !), et un verre de jus de fruit frais. Cette ferme-là est un peu moins rustique que celle de Luis Alejandro Herrera, l’électricité arrive fébrilement jusqu’ici (et la télé aussi apparemment, même s’il n’est pas certain qu’on puisse considérer cet élément comme un progrès vus les programmes !), et il y a une cheminée au-dessus du poêle à bois. Par contre les gens sont plutôt moins enclins à la conversation, et le manque de fluidité de notre espagnol ne semble pas en être la seule raison. Réserve, ou manque de curiosité, ou autre chose encore ? Je me demande ce qu’ils peuvent bien penser de nous ?

 

 

Dans la montée au milieu des frailejones

 

En suivant les cairns vers le Rita Uwa Blanco

 

Mont-Blanc dépassé ! On continue

 

 

 

 

Sur le retour

 

Vers le vert des Cabañas Kanwara

 

Le lendemain, nous disons au revoir aux hautes montagnes avec un petit pincement au cœur, en redescendant attendre le « lechero blanco », qui finit sa boucle journalière en retournant au village de Guican. Des bidons de lait attendent déjà à l’embranchement, puis une adolescente qui consulte son portable assise dans l’herbe, et enfin deux hommes arrivent, en tenue traditionnelle : pantalon dans les bottes, poncho de laine sombre, chapeau. Ils délestent leur cheval d’un gros sac de patates, à charger dans le lechero. Un jeune cavalier passe. Les chevaux colombiens sont petits et fins, et montés à un rythme nerveux, un genre de « pas trotté » rapide. « Le camion est plein de lait, les randonneurs pleins de regrets, il est onze heures … ». C’est vrai qu’il est plein de lait, la cuve de 1 m3 est pleine, à croire que les vaches mettent les tétées doubles le dimanche. A Guican, on retrouve des constantes des villes de ce département du Boyaca : une grande place carrée, une grande église devant. Le bus pour Cocuy ne part qu’en fin d’après-midi, nous allons manger dans ce qui paraît être le seul restaurant « gastronomique » de Guican, où l’on nous sert un « almuerzo corriente » : soupe, viande avec riz et pommes de terre, verre de jus de fruit. C’est classique, mais ça semble quand même être la sortie du dimanche, car nous voyons défiler des familles avec des enfants, des jeunes qui sortent « entre filles ». Le repas est expédié, ils arrivent après et repartent avant nous ! Décidemment, la « bouffe », et surtout la bonne, c’est quand même bien une chose de grande importance pour les franchouilles que nous sommes ! Ici, ça semble être plus anodin. Après le « tinto », nous allons passer le temps qui nous sépare du bus en nous posant sur un banc sur la place, spectateurs d’un dimanche après-midi à Guican. Une mère joue au ballon avec son fils sur la place, une brochette de papis à ponchos et chapeaux discute sur les marches près du restaurant, et les têtes pivotent comme un seul homme quand passent des jeunes filles endimanchées. J’imagine ce qui se passerait si les rôles s’inversent, si l’un de ces papis venait se poster à l’ombre d’un platane dans un village du sud : il verrait les parties de pétanque, les mamies qui discutent sur les pas de portes, et les têtes qui se tournent sur les bancs quand passent les jolies filles ! Un « buenas tardes » me sort de la rêverie : c’est Roberto, le peintre-musicien de Cocuy, qui est sur Guican. Il nous donne rendez-vous le soir pour un autre petit concert chez lui, à la Casa Vieja, où nous devons passer la nuit. Nous sommes de retour à Cocuy en fin d’après-midi, mais malheureusement, nous n’aurons pas l’occasion de revoir Roberto le bohème, car il a dû finalement rentrer tard, et nous nous sommes levés tôt, très tôt, pour prendre un bus à 4 heures vers d’autres aventures en Colombie …

 

En attendant le "lechero blanco"

 

Le voilà !

 

Et voilà ce qu'ils font du lait !

 

Guican, sa place carrée et sa grande église

 

La Vierge de la Candelaria, protectrice

 

A quel Saint se vouer ?...

 

R9 et R19 ... les vieilles Renault courent encore les rues

 

 

Guican en dimanche

 

Soyons tranquilles !

 



18/10/2011
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