Bogota-Nouméa, ida y vuelta

Bogota-Nouméa, ida y vuelta

 

« Les séances d’au-revoir reviennent un peu trop souvent quand on est en voyage. Il ne faudrait faire que des arrivées … »

C’est ce que je me disais ce 23 novembre 2011, le cœur un peu serré, quand Pierre et Fernando nous disaient au revoir depuis le hall des départs internationaux de l’aéroport de Bogota. Philippe et moi rentrions en France, Sahaya laissé au sec à Carthagène, pour aller commencer une autre aventure en Nouvelle-Calédonie, le Caillou au bout du monde.

Et cinq mois plus tard, le 18 avril 2012, mes vœux semblent comblés … Les mêmes, qui reviennent ! Pierre et Fernando qui nous accueillent au hall des arrivées de l’aéroport de Bogota. Bizarre de retrouver la Colombie, ce n’était pas prévu au programme, en tous cas pas au mien. Quelle histoire ! Je résume ?

 

On n’aura jamais tant fait d’avion que depuis que l’on est parti en voyage en bateau. Pour des qui se targuaient d’une empreinte carbone allégée, ça la fout mal … Là ce serait plutôt du genre gros sabots, avec deux allers-retours Colombie-France, entrecoupés de deux allers-retours France-Nouvelle-Calédonie. Le Caillou, après l’avoir eu sur la route, on l’a pris sur la tête. Pourtant, ça aurait pu bien se goupiller : j’avais trouvé un boulot d’hydrogéologue à Nouméa, Philippe aurait convoyé le bateau là-bas, il avait trouvé un équipier qui avait l’air très sympa, je les aurais rejoints pour une partie du voyage, on aurait vécu sur le bateau, à profiter « du plus grand lagon du monde » et connaître le pays, avant de continuer le voyage. Programme idéal pour quelques années non ? Mais la réalité a finalement plus tenu de « Tristes Tropiques » que de « mon rêve bleu ». Quelle claque à l’arrivée ! Vie (artificiellement) très chère, pas de place pour le bateau à Nouméa (marinas saturées avec des listes d’attente de plusieurs années, plus de vie à bord possible, mouillages saturés aussi et difficultés pour faire de l’eau et accéder en annexe), et surtout, un bureau d’étude qui s’est vite révélé être un très mauvais plan, avec des méthodes de voyous, et pour un salaire permettant d’assurer le quotidien et guère plus. Il m’aura fallu trois mois pour digérer la déception, essayer de négocier des choses, sonder le degré de cynisme, de mépris et de mesquinerie de certains des dirigeants de la boîte envers leurs salariés, avant de jeter l’éponge, un jour avant la fin de la période d’essai. Philippe m’exhortait à partir depuis longtemps, mais je m’entêtais et voulais finir une partie du boulot (une faiblesse …). Tout ce temps « donné », c’était du temps en moins pour nous et pour le voyage, le jeu n’en valait vraiment plus la chandelle, la vie était ailleurs, etc. Il avait raison … Le jeudi 5 avril 2012, je prends l’avion pour Paris le soir même, et encore je trouve le moyen de faire la fermeture de la boîte, à 19 heures, encore rivée à l’ordi pour boucler un rapport. Le « directeur des opérations » fermera la porte du bureau derrière moi sur un laconique « bonne soirée », quelle classe !... Sylvie, une jeune collègue avec qui j’ai bien sympathisé m’emmène à l’aéroport après un dernier dîner au « Bar du bout du monde », à Port Moselle, devant la marina que Sahaya ne connaîtra finalement pas. Fin de l’aventure calédonienne …

 

Après un séjour court et intense en France, à voir la famille, préparer nos sacs et essayer de nous remettre tant bien que mal dans le bain du voyage en bateau, nous reprenons l’avion pour la Colombie le mercredi 18 avril 2012. Pierre et Fernando viennent nous prendre à l’aéroport de Bogota. On s’entasse à l’arrière avec nos gros sacs dans la R9.

 

 

4x4 et 4 pattes

 

La même scène s’était produite cinq mois plus tôt très exactement, le vendredi 18 novembre 2011. Cette fois-ci, ayant laissé Sahaya au sec dans son chantier, nous arrivions d’un vol intérieur Carthagène-Bogota, pour faire escale quelques jours dans la capitale de la Colombie, et surtout rendre visite à nos amis Pierre et Stellita, que nous avions rencontrés à Villa-de-Leyva (voir l’article « Villa de Leyva : une villégiature colombienne »). Pierre est venu nous chercher à l’aéroport avec son ami Fernando, architecte Colombien, qui parle très bien le français, et qui a le permis, et peut donc conduire la vieille R9 de Stellita, héritage familial. C’est une conduite « spécial Bogota », très louvoyante ! Nous sommes accueillis chaleureusement dans la maison familiale de Stellita, par sa maman, Doña Anita, sa sœur Blanca, Amanda, une amie de la famille. Nous sommes reçus comme des princes, avec la « sopa de cazuela santafereña », une recette familiale typique de Bogota qui remonte au moins au début du XXe, servie dans des « casuelas » (de petits bols à soupe en terre posés sur des paniers en osier, typiques de Colombie) et des vins chiliens. Pendant notre séjour, Blanca nous prête son appartement, dans le quartier Pablo VI, que nous partageons avec deux universitaires linguistes chiliennes, des collègues de Blanca venues à Bogota pour un congrès.

 

La maison familiale de Stellita

 

Bogota … une très grande ville, difficile à résumer. Capitale de la Colombie, et de la province du Cundinamarca, elle est située sur un plateau de la cordillère des Andes, à environ 2600 m d’altitude. L’architecture emprunte à tous les styles, colonial, républicain, cottages anglais en vogue dans les années 1940, et maintenant de grands buildings vitrés, et aussi pas mal de bâtiments de bric et de broc, plus ou moins délabrés. Avec 8 millions d’habitants, c’est une vraie métropole, étendue, et toujours en expansion, et les « déplacés », des paysans chassés de leurs terres, viennent grossir le flot nombreux des nouveaux arrivants. Beaucoup s’entassent dans les quartiers dits « d’invasion », qui s’étendent à flanc de montagne au-dessus de la ville. Certains à l’image des « favellas » du Brésil, quartiers plus que pauvres, zones de non-droit, de trafic de drogue, de violence, de survie, où les narcotrafiquants trouvent une main d’œuvre facile. Le soir, certains en descendent pour aller fouiller les poubelles en ville, ramasser les cartons, les canettes. Ombres furtives s’affairant sur les trottoirs devant les devantures éteintes des magasins. Petits métiers et grande misère, la pauvreté et les inégalités sociales sont encore plus visibles à la nuit tombée.

 

Pendant quelques jours, nous allons visiter Bogota et ses environs, sous la houlette de Pierre. Depuis deux ans qu’il habite ici et qu’il en arpente les rues, Pierre connaît Bogota comme sa poche, et son histoire mieux que beaucoup de Santaféréniens eux-mêmes. Nous irons voir la « Quinta Bolivar », la maison du ô combien célèbre Simon Bolivar, El Libertador, héros national ; la Candelaria, un des tout premiers quartiers de Bogota, avec ses maisons multicolores, et qui attire artistes et bohèmes ; le musée de l’or, qui vaut vraiment la peine (pour emprunter une expression qui revient souvent en Colombie : « vale la pena »). Côté musées de l’or, nous y sommes allés crescendo, après celui de Santa-Marta et de Cartagena, celui de Bogota vaut bien plusieurs heures de visite. On y retrouve les Indiens Zinu et leurs ingénieux systèmes de canaux d’irrigation, dont Fernando essaye de promouvoir la restauration, ou tout au moins la connaissance. Il a d’ailleurs écrit un article à ce sujet : « La Mojana, territoire de l’eau », pour un congrès en France.

(http://www.lasillavacia.com/historia-invitado/21007/fernandomichaels/la-mojana-territorio-del-agua).

 

 

 

Dans la Candelaria

 

Le sanctuaire du Monserrate domine Bogota de ses 3152 m, et nous y montons un beau matin (ce qui n’est pas si courant à Bogota !) avec Pierre. On peut y aller en téléphérique, en funiculaire, ou à pied. Le chemin avait été fermé plusieurs années pour travaux, et il a justement réouvert quelques jours avant. Nous le prenons, et montons tranquillement, au milieu des familles, des marcheurs jeunes et vieux, des coureurs en basket. Certains montent ou descendent à reculons, et cela nous intrigue. Est-ce que c’est pour des raisons sportives ? Pour des étirements musculaires ? Pierre nous éclaire. Monter au sanctuaire s’assimile pour certains à un acte de foi et de dévotion, ou à un acte de pénitence. On peut aussi y monter pour demander une grâce. En fonction de la gravité de la faute, de la grosseur du souhait (et du degré d’entrainement !...), les fidèles montent donc à l’endroit, à l’envers, sur les genoux, et plus ou moins haut. En tous cas, à l’envers ou pas, la récompense est au sommet, avec une belle vue sur Bogota dont on envisage alors mieux l’étendue, et sur les montagnes qui l’encadrent. Pierre redescend en téléphérique, et nous repartons au petit trot parfaire notre acte de foi en descente. A l’arrivée en bas, Pierre nous apprendra que notre montée à pied a déclenché un véritable mouvement de panique dans la famille de Stellita, qui avait commencé à brûler des cierges pour notre salut. Ils pensaient que nous allions à coup sûr nous faire détrousser avec nos têtes de touristes ! Le chemin avait apparemment une triste réputation avant sa fermeture, mais depuis sa réouverture, l’insécurité ne semble plus de mise, en tous cas en pleine journée, avec tout le monde qui circule, et un policier posté tous les 200 mètres. Pierre les rassure, nous sommes redescendus entiers et purifiés (au moins de quelques toxines !), et Stellita nous rejoint après son cours de violon, pour que nous goûtions un « chocolate con tamale » (un genre de pâté de viande et de maïs servi dans une feuille de maïs) à la Puerta Falsa, une adresse incontournable de Bogota. Tous les révolutionnaires de Colombie, et même le Libertador, sont venus refaire le monde sur ses bancs.

 

 

En haut du Monserrate

 

Chocolate con tamale

 

Avec Stellita devant la Puerta Falsa

 

La Puerta Falsa est dans une petite rue qui donne sur la place Bolivar. Grande place carrée, devant la cathédrale, et pleine de vie. Des marchands, des pigeons gavés de maïs, des loueurs de lamas, des bonimenteurs en tous genres, des déplacés qui protestent. C’est un des endroits de Bogota où Pierre vient croquer ses portraits, avec un petit appareil photos toujours en poche, qu’il sort discrètement pour mettre en boîte les « bouilles », de vrais personnages dont Bogota regorge : le Président de la paix, en costume sombre, qui harangue la foule près de la statue de Bolivar, les cireurs de chaussures, les « barbiers du salut », qui rasent gratis les laissez pour compte dans les rues. Pierre traque aussi les vielles autos et les vieux camions, encore nombreux dans les rues. Pas mal pour quelqu’un qui n’a pas le permis !

 

Le Président de la Paix en campagne

 

 

 

Pour la sortie dominicale, Fernando et la vieille R9 nous emmènent dans la campagne en dehors de Bogota. Ça monte raide, et nous doublons de nombreux cyclistes qui font la montée du col, un bol d’air au dessus de la pollution citadine. La R9 aura un petit coup de chaud aussi ! Nous allons jusqu’à la Laguna de la Guavita au nord-est de Bogota. Ce lac est historique, puisque la légende dit que l’« El Dorado », s’y baignait, un Cacique recouvert d’or, tandis que des offrandes chargées sur une barge étaient jetées au fond du lac. L’El Dorado était donc un homme avant d’être un lieu, que les Conquistadors avides situaient au Pérou. Cette légende a évidemment éveillé bien des convoitises, et des Anglais sont allés jusqu’à faire sauter à la dynamite une partie de la barrière rocheuse qui enchâsse la lagune pour la vider et pouvoir récupérer les bijoux en or dont elle est censée regorger. Mais peine perdue … Après un restaurant très populaire en ce dimanche midi, nous rentrons sur Bogota en visitant la maison familiale de Fernando, maison endormie qui reprend vie quand vient la famille en week-end ou pour les vacances. Il nous montre la grande salle qu’il a conçue et qui reçoit banquets et mariages.

 

Le radeau de l'El Dorado au musée de l'or

 

 

Encore une dernière journée de shopping (au grand dam de Philippe) pour dénicher « chivas » (les camions bariolés, qui servaient de transport et qui sont maintenant reconvertis en bus pour touristes), « casuelas » (les bols à soupe), et « molas » (les pièces de tissus faites par les Indiens Kunas, qui vivent au nord de la Colombie, et à Panama dans les San Blas),) une tournée des magasins de musique pour essayer guitares et cuatros (mais monsieur n’est pas décidé), et nous rentrons sous l’orage et de grosses pluies, les rues comme des rivières, mais les gens semblent habitués à marcher mouillés, et beaucoup, prévoyants, ont des bottes. Je comprends mieux le nombre important de petits marchands de « paraguas » dans les rues.

 

 

A la recherche des casuelas dans le dédale du marché

 

Chivas à touristes

 

Salsa colombienne avec Fernando !

 

Mercredi 23 novembre 2011 : jour du départ pour Paris.

Mercredi 18 avril 2012 : jour du retour de Paris.

La seule bonne chose dans le fiasco calédonien est que nous revenons en Colombie ensemble avec Philippe, et que nous allons revoir Pierre et Stellita ! Leur accueil est toujours aussi chaleureux, et cette fois-ci, ils nous laissent carrément leur maison et s’en vont dormir dans celle de la maman de Stellita, heureusement à deux pas.

Nous pensions parfaire notre visite de la ville, mais Bogota nous fera cette fois moins de cadeaux côté météo, et, surtout, Philippe, à la suite de Stellita, se retrouvera cloué au lit par une grosse crève. Il aura juste le temps d’une visite au jardin botanique avant de s’effondrer. Je profiterai lâchement de son état pour aller faire du shopping avec Pierre, et rapporter encore quelques « molas » puisque nous n’aurons pas l’occasion d’aller aux îles des Samblas et les acheter directement aux Indiens Kunas. Au retour, nous nous arrêtons prendre un café à une pasteleria francesa (la troisième de notre collection en Colombie) où le seul point noir est que passe un CD de Carla Bruni, passons par la Candelaria sous un soleil qui daigne enfin se montrer et mettre de la couleuyr aux façades, et traversons la Place Bolivar. Cette fois-ci, un attroupement s’est formé autour d’un comique qui fait un sketch très visuel sur les techniques de drague, en faisant intervenir des gens du public. Je ne comprends pas tout, mais les gens rigolent pas mal, et Pierre s’éclipse pour tirer quelques portraits sur le vif. Sous une tente, au pied de la statue du Libertador, quelqu’un est en grève de la faim, se disant indigné et exigeant un dialogue de paix.

Dommage, Philippe et Stellita, encore faibles, rateront un concert de guitare donné par un quatuor : quatre prof de l’école de musique de Blanca, et anciens élèves du compositeur colombien Gentil Montana, qui reprennent ses morceaux. Ils rateront aussi un dernier dîner avec Fernando, au restaurant « La Tartine », tenu par Pascal, un Français sympathique.

 

 

 

 

Dimanche 22 avril 2012, c’est reparti pour les séances d’au-revoir. Une bise à Stellita qui a les larmes aux yeux, et on se cale dans la R9. A l’aéroport, Fernando enguirlande un policier à moto qui lui est passé devant. « Ils sont cool les flics en Colombie, remarque Philippe, tu fais ça en France et le gars te met une prune direct ! ». On part enregistrer nos bagages pendant que Fernando va garer la voiture … et on ne le reverra pas ! Manque de bol, il a crevé une roue sur le parking, et pendant qu’il réparait, les flics lui sont tombés dessus. Contrôle de la voiture, et pif paf, une amende bien salée ! Rancuniers aussi les flics colombiens finalement ! Une bise à Pierre, tchao Fernando, merci encore pour tout, et nous quittons Bogota pour Carthagène, retrouver Sahaya. Dans quel état ?..

 



05/07/2012
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