Iles du Venezuela


Islas las Aves : îles aux oiseaux

Islas las Aves : îles aux oiseaux

 

Jeudi 4 août 2011, en début de matinée, nous quittons Los Roques pour les dernières îles du Venezuela, distantes d’environ 35 miles à l’ouest-nord-ouest : Las Aves, les îles aux oiseaux. La navigation se passe sans histoires, dans un petit air, voiles en ciseaux (ah … si l’on avait un spi …). En début d’après-midi, le premier groupe d’îles, le plus oriental, Las Aves de Barlovento (« au vent »), se profile. Nous traînons la ligne sans succès depuis le départ des Roques, et, à l’approche des îles, un groupe de fous se met en tête de vouloir pêcher notre petit poulpe. Ils plongent dessus, tendant la ligne parfois. Et il y a de plus de plus d’oiseaux, qui s’émulent et piaillent autour du leurre. Nous sommes en pleine manœuvre d’approche avec une passe délicate à négocier, et nous faisons l’erreur de ne pas remonter la ligne à temps. Ce qui devait arriver arrivât : un oiseau finit par s’accrocher à l’hameçon, et nous le traînons derrière le bateau, lui se débattant, et ses congénères, au moins une vingtaine, paillant de plus belle autour de lui. Une fois la passe négociée, je remonte la ligne pour le dégager, mais il est déjà trop tard, il est mort, sans doute de noyade. En plus, il s’était méchamment embroché avec l’hameçon. Désolés oiseau un peu « fou » … Philippe laisse partir le petit cadavre, si léger, à la mer … Tu parles d’un hommage aux îles aux oiseaux … 

 

 

V'là Harpo qui déboule

 

Mauvaise pêche ...

 

 

Juste après l’entrée, la navigation tient du gymkhana entre les patates de corail, qui préviennent heureusement de leur présence par la couleur bleu turquoise plus claire qui tranche avec le reste du lagon. Nous mouillons à l’abri de la mangrove. Sortons l’annexe pour une première visite à terre de notre nouveau domaine. L’accès se fait par une petite trouée dans la mangrove, gardée par une armée de Bernard-l’hermite. Derrière la bande d’arbres, c’est une sorte de lande verdoyante qui conduit aux gros galets roulés par la mer des Caraïbes. Un monument a été improvisé tout près de la mer, appelé pompeusement « monument aux bateaux ». Il réunit les souvenirs du passage des voiliers : nom du bateau, prénoms des navigateurs, année (voire années pour les récidivistes) de passage, sont gravés dans des morceaux de bois, peints sur des pierres, écrits avec des coquillages. On retrouve des noms de bateaux que nous connaissons via Internet et leurs blogs de voyage : Etoile de Lune, Cercamon. Il faudra y laisser notre trace ! Le soir, nous fêtons l’anniversaire de Caroline et les un an de notre départ en voyage … Hé oui, déjà un an que nous vivons cette vie de bohème, sur les mers, à bord de Sahaya !! Que de chemin parcouru, pourtant ça me semble encore très proche.

 

Le porche d'entrée dans la mangrove

 

Sur la lande

 

Philippe devant le "monument aux bateaux"

 

De retour de la première exploration

 

Comme leur nom l’indique, las Aves sont dites îles aux oiseaux. Le ciel est zébré de leurs vols, et ils font des tâches de couleurs dans les arbres de la mangrove qui résonne de leurs cris. Il y a surtout différents types de fous. Ce nom leur vient des marins, car, peu farouches, ils se posaient sur les bateaux et se laissaient facilement attraper. Les fous comptent 9 espèces, ils habitent les îles tropicales et subtropicales, sauf le fou de Bassan, qui est la seule espèce des pays tempérés. Sans être familiers des fous, on en repère néanmoins plusieurs sortes : les bruns, les bruns à queue blanche, les blancs aux ailes noires, les à bec bleu, les a pattes rouges. Curieux, ils survolent l’annexe à coups d’ailes paresseux en prenant le temps de nous détailler attentivement. Il y a aussi les grandes frégates, qui tournent en ronde inlassable au-dessus des arbres de la mangrove où sont perchés les fous. Elles sont du genre parasite, et détroussent les autres oiseaux qui se donnent la peine de pêcher, les harcelant les faire lâcher leurs poissons ou voire même régurgiter. A la saison des amours, les mâles gonflent leur poche située sous leur bec, qui devient rouge sang ou orange vif, pour pavaner devant les femelles. Mais les phéromones doivent être au repos, et nous ne leur voyons pas de goitre avantageux ... Des pélicans noirs à tête blanche rasent les flots de leur vol planant, la tête rentrée dans les « épaules ». En nous baladant à l’extrémité est de l’île, nous nous faisons copieusement enguirlander par les mouettes et les sternes. On empiète visiblement sur leur territoire de nidification. Une sterne fait même des manœuvres d’intimidation en déboulant sur nous plein pot vent arrière, pour remonter ensuite en arrivant à notre hauteur. Le chemin qui traverse la lande est égayé de sculptures réalisées avec des morceaux de corail dont les formes biscornues en ont inspirés plus d’un.

 

Jolie vue du balcon

 

Drôle de bête ?

 

Samedi 6 août, Philippe profite d’un bon 20 nœuds de vent pour faire quelques bords de planche dans le lagon. Dans la soirée, le vent se renforce, alors que le passage d’une onde tropicale est prévu entre le lendemain et le surlendemain.

 

Un jibe bien troussé

 

 

 

Fun la glisse !

 

Dimanche 7 août, nous changeons de mouillage, quelques centaines de mètres de zigzags entre les cayes pour nous rapprocher de la barrière de corail. Impression de mouiller dans une piscine, tellement le bleu est … bleu ! Nous peignons une pierre, en forme de poisson, au nom de Sahaya pour marquer notre passage sur l’île. C’est soirée dégustation de vins sur Sahaya : nous ouvrons deux bouteilles de vin rouge bio de nos amis audois Christian et Bénédicte (Las Ribos de Saint-Sernin), et un Costières de Nîmes (Terre des Chardons) biodynamique. A votre santé ! Il est bien possible que les vins de notre Languedoc-Roussillon aient gagné quelques galons auprès des inconditionnels du Bordeaux … Un des verres à dégustation restera sur place comme témoignage, il n’a pas résisté à ma vaisselle matinale (pardon Virginie et Matthieu !).

 

Un poisson-pierre pour Sahaya

 

Soirée dégustation de vins sur Sahaya

 

La prochaine photo de promotion du Las Ribos ??

 

Et le temps passe ainsi, entre mer et soleil, sans brusquerie. Une « journée type » aux Aves commence par le petit-déjeuner pendant lequel Philippe nous passe des émissions de France-Inter podcastées : La tête au carré, Sur les épaules de Darwin, et aussi un cycle de 5 émissions consacrées à Georges Brassens, une de mes idoles. Puis les quatre hommes partent à la chasse, les deux annexes sont à l’ancre, Fanou et moi palmons tranquillement alentours, pour admirer les fonds. Ils ne sont pas tout-à-fait les mêmes qu’à la Blanquilla, ni qu’aux Roques. Fixées au corail, des anémones de forme conique, comme de petits sapins de Noël idéaux, déploient toute la palette des couleurs pastel : rose, orange, jaune, mauve. Des éponges tubulaires dardent vers la surface leurs tubes orangés, des gorgones éventail et arborescentes suivent les mouvements de l’eau. Côté poissons, les chasseurs remontent gorettes, pagres dents de chien, cardinal (« gros yeux »), mérous, sardes, carangues. Et pour le plaisir des yeux, les couleurs des poissons perroquet, des girelles, des anges, qui éclairent les cayes et les tombants. Les poissons développent diverses techniques de défense. Il y a ceux qui leurrent, comme les papillons Kat-Zié, qui ont deux taches noires et rondes de part et d’autre de la queue qui ressemblent à des yeux. Le prédateur s’y dirige, ce qui laisse le temps au poisson de déguerpir … dans l’autre sens. Il y a aussi les embusqués, qui tablent sur leur mimétisme. Ils ne sont pas agressifs, mais gare si on les touche : les poissons-lions, genre de rascasses dont la piqure peut-être mortelle, et les gros diodons planqués dans des trous, de bonnes bouilles avec leurs gros yeux ronds, et presque un sourire gentil (ça y est, me voilà en plein anthropocentrisme …). Il ne vaut mieux pas le titiller : quand il a peur, il se gonfle d’eau (pour ceux qui ont vu « Némo ») et devient une boule hérissée d’épines, chargées de poison violent.

 

Phil, his name is Phil

 

De retour de la chasse matinale

 

D’après Gérard, Las Aves sont, comme la Blanquilla, beaucoup moins poissonneuses qu’à son dernier passage, il y a une dizaine d’années. Et beaucoup moins de langoustes aussi. Les pêcheurs, qui viennent en peñeros, nous apprennent peut-être une des raisons (la principale ?) de la raréfaction des langoustes. Elles sont noctambules, et, pour les piéger, les pêcheurs tendent des filets au sol la nuit. Cette méthode peu sélective doit dévaster les populations … Les plus grosses sont sans doute vendues, les plus petites mangées directement. Mais est-ce à nous de juger ? Ils font cela pour vivre, même si comme dans beaucoup de pays (dont la France qui ne donne pas franchement l’exemple en la matière), ils scient la branche sur laquelle ils sont assis en asséchant les fonds sans laisser à la nature le temps ni les moyens de se régénérer.

Dans l’île, de nombreux cimetières de lambis attestent de la probable surexploitation des fonds. Les coquilles ont été fendues en haut pour supprimer l’effet ventouse et pouvoir alors sortir le mollusque. Des montagnes de coquilles vides parsèment la lande. Les lambis sont vendus dans les Antilles, qui en sont friandes au point d’avoir liquidé leurs propres ressources.

 

Lors d’une matinée comme une autre aux Aves : Fanou et moi sommes de retour aux annexes à papoter, Jean-Luc arrive et tire sur le fil relié au flotteur auquel est suspendu le fruit de sa pêche. « Ça y est, j’ai rempli mon contrat, un beau poisson pour le repas de midi ! », nous annonce-t-il en brandissant son trophée. Ah oui. Ah oui effectivement, c’était un beau poisson vue la taille de la tête. Pour le corps en revanche, on est réduits à des conjectures car il n’en reste rien. Un barracuda s’est servi sur la bête ! « Ah le salaud ! » tonne Jean-Luc en découvrant le forfait en même temps que nous ! C’est du beau travail, la gorette est tranchée net juste au ras de la tête, et Jean-Luc n’a rien vu ni senti ! Il remporte quand même la tête tranchée sur Khaya, comme preuve de sa bonne foi devant Caroline !

 

 

Photos Khaya

 

Voilà plus de 3 semaines maintenant que nous sommes en autonomie, plus que pendant notre traversée de l’Atlantique finalement. Avec le soleil et le vent pour l’énergie. Et le régime « poissons frais et riz » pour le midi. On ne manque de rien. Si, peut-être d’un peu de fruits et légumes frais … Ceux que nous avions achetés à Grenade au marché de Saint-Georges n’ont pas tenu très longtemps avec la chaleur. Une petite salade croquante, une mangue fondante ne seraient ma foi pas de refus … Mais on apprend à profiter de cette vie simple : pêche le matin, profiter du paysage, bouquiner, écrire, faire du pain, admirer un coucher de soleil, une douche le soir sur la jupe, des repas/apéros/moments partagés avec nos amis voyageurs, vivre dehors, en liberté. Ça n’a pas de prix ? Pour l’eau des réservoirs, nous sommes en mode économie : vaisselle à l’eau de mer, une douche rapide par jour. Pour l’eau de boisson, on a vu un peu juste, alors Khaya nous fournit gracieusement quelques bidons d’eau potable issue de son dessalinisateur (on choisit bien nos amis !).

 

La boulangerie-pâtisserie de Sahaya a réouvert ses portes

 

Les voisins de piscine vus du haut du mât

 

Mercredi 10 août, un petit footing matinal nous conduit au monument des bateaux, pour aller poser notre poisson-pierre près de celui de Khaya et de Cercamon et de Khaya. Après la chasse du matin pour le poisson du midi, où Philippe a pêché une sorte de rouget, et un poisson gris non identifié mais très bon, nous nous préparons à appareiller pour changer de mouillage. Une grande ombre grise passe sous l’annexe, et je remets vite le masque pour voir passer un énorme barracuda (1,50 m au moins) : énorme et nonchalant, respect, on n’irait pas lui chercher noise …

 

Notre (gentil) poisson-pierre "Sahaya" déposé en souvenir

 

Allez, changeons de crèmerie

 

Nous arrivons au mouillage de l’Isla del Oeste en début d’après-midi. Une balade nous mène vers le campement de pêcheurs, venus de Margarita. Voilà 3 mois qu’ils sont en campagne de pêche, et leur abri est de fortune. Un puits creusé à même le sable leur fournit l’eau pour la toilette et la boisson. J’ai du mal à comprendre comment cette eau pourrait être autrement que très saumâtre ? Quelques « boobies », des bébés fous, boules de duvet blanc avec un début de rémiges, sont au nid, seulement marqué par un vague creux dans les plantes grasses qui bordent la plage. La nuit est agitée, avec un vent à 27 nœuds établis.

 

Un "boobie", jolie boule de duvet blanc

 

Traces de tortue venue pondre

 

Jeudi 11 août : nous partons le matin pour le groupe d’îles le plus occidental, las Aves de Sotavento (« sous le vent »). Nous naviguons en ciseaux sur une houle croisée (y’avait longtemps !). Peu avant l’arrivée, un thon albacore mord à la ligne. C’est le premier de ce genre de pélagiques que nous remontons sur Sahaya, et c’est plus agréable que de pêcher un fou … On teste depuis peu la méthode du « coup de rhum dans les ouïes » pour donner le coup de grâce aux poissons montés à bord, moins barbare que les coups de masse. J’espère qu’ils finissent plus agréablement, avec un coma éthylique ? En tous cas, ça paraît efficace car ils ne se débattent pas longtemps après le verre du condamné. La chair est fondante. On la fera goûter le soir pour le repas pris en commun avec les amis, en complément du barracuda pêché par Harpo. Isla Longa n’est qu’une étroite bande de sable, mais elle nous abrite de la houle. Un campement de pêcheurs y est installé, qui paraît un peu moins rustique que celui d’Isla del Oeste. Nous avons droit à la visite à bord de la Guardia Costera, qui procède à un long questionnaire sur notre matériel de sécurité, et nous octroie officiellement trois jours de mouillage. Nous discutons avec les pêcheurs, fiers de nous montrer qu’ils ont un bébé requin à bord comme « mascota », gardé dans un vivier à poissons. Ils le relâcheront quand il grandira, nous disent-ils. La nuit est venteuse, avec des pointes à 30 nœuds, que nous envoie une dépression centrée sur la Colombie. Deux ondes tropicales se baladent en Atlantique, qui pourraient devenir des cyclones, et dont on suit la trajectoire, même si nous avons peu de chances d’être menacés.

 

Les parties de chasses matinales continuent, Philippe a fait quelques progrès et avec l’aide de Gérard, ramène une langouste de belle taille, à laquelle nous ferons honneur.

 

Bonne pêche ! Un thon albacore

 

35-45

 

Le campement de pêcheurs de l'Isla Longa

 


 

Et que je teste un autre lagon !

 


 

Une belle langouste

 

Une gorette

 

Nous retrouvons un kayakiste vénézuélien, que nous avions rencontré à la Blanquilla. Parti du golfe de Paria, et avec l’intention d’aller jusqu’à Curaçao. C’est un projet un peu fou, seul dans un kayak de mer, avec une petite voile pour appuyer les rames !

 

Quelques jours passent encore, à profiter des Aves, à vivre cette vie si particulière, à notre rythme à nous, en dehors du temps, à ne rien (vouloir) savoir de la grossesse de Carla, des guerres et de la marche du monde, technique de l’autruche à la mode tropicale : la tête dans le lagon. Ici le temps semble immuable, oiseaux dans le ciel, poissons dans l’eau, occupés à perpétuer le cycle de la vie, nichant, pêchant, chasseurs, chassés. C’était bien de fondre un temps dans l’ordre de ce monde, espérant ne pas avoir trop contribué à son désordre …

 

Mardi 16 août : salut les Aves, vous nous resterez comme de charmants souvenirs. Nous partons retrouver la civilisation, direction les îles ABC …

 

Joli grain, aussi inattendu que passager

 

 

 

 

 

 

 

Photos Khaya

 

 

Difficile de partir ...


12/09/2011
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Isla Los Roques : de roc et (surtout) d’eau

Isla Los Roques : de roc et (surtout) d’eau

 

 

Mercredi 27 juillet 2011, nous quittons La Blanquilla en fin de matinée, derrière Khaya et devant Harpo, « comme d’habitude ». C’est ma fête. Et mon anniversaire. 42 ans, ouaffffff ……. Premier jour du reste de ma vie.

Peu de temps après le départ, le spi éclate sur une mauvaise manœuvre de ma part., ne l’ayant pas retenu lors de son envoi, il est passé sous la bateau et son chalutage lui a été fatal. Première connerie du reste de ma vie, une belle, ce ne sera sans doute pas la dernière.

Ça nous plombe le moral, surtout le mien. Notre Obélix, c’est le grand « plus » qui rend la navigation agréable dans les petits airs où sans lui, nous nous traînons. Il devrait être réparable, mais il va falloir sortir la grosse machine à coudre et y passer quelques heures, je verrai ça à Curaçao …

Un barracuda vient se prendre à la traîne peu après l’épisode du spi, une petite consolation pour un repas de midi tristounet.

Avec le vent de ¾ arrière, sans spi, c’est reparti pour une traversée voiles en ciseaux. 115 miles presque plein ouest pour rejoindre las Islas Los Roques, situées à près de 70 miles au nord du continent vénézuélien, presque à l’aplomb de Caracas. Sur la carte, les îles paraissent occuper une grande surface, près de 14 miles du nord au sud, sur 23 miles d’est en ouest, mais les terres proprement dites n’en représentent qu’une petite partie. Los Roques sont de roc mais surtout d’eau. Une longue barrière de corail de 14 miles, en forme d’arc bandé vers l’est, barre le chemin de la houle de la mer des Caraïbes, poussée par les alizés de nord-est. A l’abri de ce rempart, un vaste lagon se développe, parsemé d’ilots et de bouquets de mangrove. Mais ça, c’est ce que l’on imagine d’après la carte, une nuit de navigation nous en sépare encore. Une nuit sans lune, sous les étoiles exactement, à ouvrir un éphémère et scintillant vert fluorescent dans les eaux calmes des Caraïbes.

 

Une petite consolation pour l'Obélix éventré

 

Au petit matin, nous passons à 2 miles au sud de la Orchila, l’île réservée au Président Vénézuélien, le fort Brégançon local quoi, sur laquelle il est interdit de s’arrêter. A l’arrivée à proximité des Roques, Harpo qui est déjà venu ici, passe devant, et nous le suivons dans la « Boca de Sebastopol », une trouée dans la barrière de corail, marquée par un phare rayé de blanc et rouge. C’est un peu impressionnant, car ce n’est pas évident de se repérer dans ce paysage déroutant : juste après l’entrée dans la bouche, il faut remonter la barrière de corail en la laissant sur tribord, et surveiller aussi son bâbord en longeant une ligne de hauts fonds. C’est nouveau pour nous, cette navigation à vue entre les cayes, qui apparaissent plus claires quand le soleil est haut dans le ciel. Pour ici les cartes marines numériques nous embrouillent plutôt les choses car d’après elles, et selon toutes apparences, nous serions en train de labourer la barrière de corail. Elles sont en fait complètement décalées géodésiquement, ce sera le cas pour toutes les îles du Venezuela. Philippe trouvera plus tard le moyen de les « corriger » avec le logiciel de navigation OpenCPN. Le mouillage de Buchiyaco est peu après l’entrée, nous mouillons derrière la barrière de corail, et sous l’abri d’une touffe de mangrove qui nous protège du vent d’est. L’atmosphère est étrange, peu d’éléments dépassent hormis les arbres de la mangrove derrière une plage de sable à l’ouest, et les brisants sur la barrière de corail à l’est, si bien qu’on a l’impression d’être arrêtés en plein milieu de l’océan. Vers le nord, une épave de bateau gît, cassée en deux, contre la barrière. Vue de loin, la partie restante ressemble presque à une jonque. Nous partons pour une petite balade à pied sur la barrière de corail, mais ce n’est pas commode de se déplacer sur ces gros blocs plus ou moins branlants. Des bestioles grises et caparaçonnées sont comme enkystées dans les blocs balayés par les vagues, elles ressemblent un peu à des fossiles des trilobites. On fête mon anniversaire le soir sur Harpo, tentons d’oublier le spi …

 

 

La dure loi du corail ...

 

Si quelqu'un sait ce que ça peut être ??

 

42 ans et un spi : boire pour oublier !

 

Vendredi 29, déjà presque la fin du mois de juillet, comme le temps défile … Le ciel est un peu voilé, aussi l’on décide de rester à Buchiyaco plutôt que de tenter un autre mouillage plus au nord, où le slalom entre les patates de corail risque d’être « chaud » sans une bonne visibilité. En plus, une onde tropicale se rapproche des Antilles, dont la probabilité qu’elle s’organise et se transforme en cyclone augmente d’heure en heure. Autant être dans un coin que l’on pourrait quitter facilement, en cas d’urgence. L’après-midi, nous partons en exploration avec les annexes, et traversons le lagon jusqu’à sa rive est. Une grande plage, ouverte au vent dominant, est le réceptacle de déchets de plastique de toutes sortes, bouteilles, caisses, souillant le sable blanc, accrochés à la végétation. C’est la face sombre des paradis, comme on avait pu l’expérimenter aussi au Cap Vert. Ça veut surtout dire que la pollution par le plastique est terrible, présente partout. Les plus gros éléments sont inesthétiques, mais ce ne sont pas vraiment les pires. Les petits éléments sont encore plus dangereux, qui se retrouvent dans les estomacs des animaux et jusqu’au cœur même du plancton. On pousse jusqu’au phare, construit en éléments rouges et blancs emboîtés, faits de stratifié de fibre de verre. C’est apparemment une technique de construction commune pour les phares vénézuéliens. Puis c’est le retour sur la barrière, après avoir franchi la « Boca de Sebastopol » dans la largeur, éclaboussés par la houle du large qui s’y engouffre et malmène l’annexe. Des échassiers aux becs et pattes rouges, ressemblant à des huitriers pie, débusquent de petits crustacés sur le platier de corail.

 

L'arrivée sur la côte ouest de la Boca de Sebastopol

 

Reliques ...

 

Un modèle typique de phare vénézuélien

 

Huitrier pie ? Qu'en dis-tu Pierrette ??

 

Samedi 30 juillet, nous reprenons notre route vers le nord pour monter jusqu’à Gran Roque, en longeant la caye qui court sur notre bâbord, formant une bande turquoise lumineuse sous le soleil au zénith. Un passage plus étroit est à négocier, encadré par des cayes à bâbord et tribord. Le paysage est fabuleux. Des pêcheurs à la mouche lancent leurs cannes d’un geste sûr et élégant. « Et au milieu est un lagon », délimité à l’est par quelques touffes de mangrove, et que nous longeons sur bâbord. Ce serait chouette de s’y aventurer en kayak de mer, ce doit être le paradis des oiseaux. Gran Roque est la seule île habitée des Roques, et nous mouillons devant le village aux façades colorées. C’est un petit Saint Trop’ local, avec de nombreux bateaux au mouillage : de gros bateaux à moteur et de pêche au gros équipés en artillerie lourde avec des séries de cannes de fort calibre alignées comme des batteries de canons. Ils contrastent fortement avec les lanchas beaucoup plus modestes des pêcheurs, mouillées là elles aussi. Image symbolique du Venezuela d’aujourd’hui, avec ses pauvres, et ses très riches. Des avions privés atterrissent et décollent sur le petit aérodrome de l’île : BeachKraft, Cesna, etc. tournent en ballet serré, et repartent pour la plupart vers le continent avant la nuit. Depuis le village, un sentier est aménagé qui monte à une ancienne tour, et une petite chapelle. On y a une belle vue panoramique sur les différents ilots, touches de vert et de blanc, comme posées sur un écrin bleu. Chaque ilot a sa propre collection de bateaux au mouillage devant sa plage. Nous achetons du pain à un couple de boulangers sympas qui nous font du change en Bolivars sur quelques dollars US, et un peu de fruits et légumes frais dans une petite épicerie. On profite de la Wifi qui arrose le mouillage pour envoyer quelques mails et passer des appels par Skype, mais rapidement car nous sommes ici incognito, car illégaux ! En effet, on n’a pas fait d’entrée officielle au Venezuela (il aurait fallu aller sur le continent ou sur l’île de Margarita, ce qu’on voulait justement éviter avec les risques de piraterie), et normalement, l’accès aux Roques, réserve naturelle, est payant, et même très payant : de l’ordre de 300 US$ pour une autorisation de séjour de 15 jours. Il y a une tolérance de passage de 24 heures, donc si jamais on est contrôlé par les gardes, on dira que l’on vient d’arriver et on partira vers les Aves. On ne s’attarde pas à Gran Roque, où crèchent gardes et douaniers, et on décolle le lendemain pour un mouillage plus tranquille : Sarqui, une dizaine de miles plus à l’ouest. Finalement, nous ne nous ferons jamais contrôler, et on apprendra plus tard qu’on a eu de la chance ! D’après plusieurs bateaux rencontrés, l’argent va plus à la sauvegarde de l’intérêt particulier des gardes qu’à celle de la faune et de la flore de la réserve. Mais d’un autre côté, nous avons aussi appris que les gardes ne sont pas forcément bien payés ni bien traités par leur administration : gros retards dans la relève, peu de moyens de communication avec le continent, etc. Ceci explique peut-être en partie cela …

 

Cyclone tropical en cours de formation dans sa route vers l'ouest

 

Navigation à vue entre deux lignes bleues à ne pas dépasser !

 

Dans les rues colorées de Gran Roque

 

L'aérodrôme local

 

Depuis l'ancien phare

 

Presque toute l'équipe, sauf Joshua qui prend la photo (et Touline restée sur Harpo)

 

Dimanche 31 juillet et lundi 1er août : nous passons ces deux jours à Sarqui, mouillés derrière la plage en forme de demi-lune qui s’adosse à la barrière de corail. Les fusils-harpons sont au repos car il est interdit de chasser dans la réserve. Ça n’empêche d’aller plonger sur le tombant, après avoir traversé le platier qui le précède, en zigzagant entre les patates de corail, en faisant attention de ne pas toucher au corail de feu, qui provoque des brûlures, parfois dans moins de 30 cm d’eau. C’est d’ailleurs assez rigolo de se sentir presque perdu dans un labyrinthe, alors que l’on à peine de l’eau au genou, il suffit de se lever pour se sentir assez ridicule avec ses palmes ! Sur le tombant se promènent des troupeaux compacts de chirurgiens, et de gros spécimens de perroquets, ainsi que des barracudas qu’on n’a pas envie d’aller chatouiller sous le menton, même s’ils l’ont proéminant. Les amis rencontrent même un requin. Le corail ne semble cependant pas en grande forme, avec de nombreuses parties mortes et brisées. D’après le guide du Venezuela, une étude serait en cours pour déterminer les causes de mortalité du corail aux Roques.

 

Troupeau de chirurgiens

 

Corail "Cornes d'élan" (photos Khaya)

 

Ce séjour à Sarqui est l’occasion d’observer les pélicans, qui ne sont pas farouches et viennent se percher sur le balcon avant, et sur l’annexe. Ce sont de grands oiseaux (ils peuvent atteindre 15 kg et 3 m d’envergure, mais ceux que l’on voit semblent plus petits), bruns, aux pattes palmées. Leur bec est plat et large, et la mandibule supérieure se termine par un crochet qui recouvre l'extrémité de la mandibule inférieure, au-dessous de laquelle pend une grande poche de peau sans plumes. Ils plongent en léger piqué pour pêcher, remontent les poissons dans leur bec, et les font semble-t-il glisser vers leur gosier en levant le cou, comme pour un gargarisme. Les mouettes les suivent de très près, ramasse-miettes ou harceleuses pour qu’ils recrachent les poissons qu’ils ont pêchés. On assiste parfois de belles plumées sur l’eau.

 

 

Spectacle animalier en direct depuis l'annexe pendant le petit déjeuner !

 

Mardi 2 août : nous voici à Cayo de Agua, le mouillage le plus occidental des Roques, après une navigation d’une dizaine de miles au moteur car il n’y a pas de vent, une des conséquences d’Émilie, l’onde devenue tempête tropicale, qui est passée sur la Guadeloupe, et nous bloque les alizés. En suivant Harpo, nous nous posons sur le sable, alors nous reprenons un autre chenal pour mouiller un peu plus loin et plus confortablement dans 2 m d’eau. Nous sommes dans un lagon aux eaux claires, fermé sur trois côtés par des lignes de récifs coralliens frangés de plages de sable blanc, plantés de mangrove ou de palmiers. Cayo de Agua … il y aurait donc de l’eau. Les Amérindiens qui avaient élu domicile sur les deux ilots voisins de Dos Mosquises, venaient s’y approvisionner. Mais on ne la trouvera pas, même en allant fouiner près d’un bouquet de cocotiers qui forment comme une oasis. Les eaux du lagon offrent un camaïeu de bleus qui ferait le bonheur d’un aquarelliste. Une bande de sable permet de prolonger la balade vers l’ouest, jusqu’au phare. La mer extérieure, faisant le tour, vient rejoindre celle de l’intérieur du lagon, et elles s’épousent en grandes gerbes d’écume sur le sable. Comme un jeu de dames en longueur, chaque vague avance son galet que la vague en face lui rapporte dans l’élan suivant. De gros perroquets viennent fricoter près du rivage, tellement près que leur nageoire caudale et même le haut de leur dos dépassent, dans des mouvements souples et langoureux. Que viennent-ils faire là où ils ont nageoire ? Brouter le corail ? Frayer ? Mystère … Nous faisons une plongée rapide sur le tombant sud, profitant de la mer calme par pétole. Le corail ne semble pas en grande forme non plus ici. Le soleil se couche, dans une féérie d’orangés, et dans une grande sérénité.

 

Le mouillage de Cayo de Agua vu depuis la dune

 

Un beau spécimen de Bernard-L'Hermite, pas content !

 

A la rencontre "des deux mers" sur la bande de sable

 

Lendemain, le vent est revenu, un alizé musclé montant jusqu’à presque 30 nœuds. Philippe sort la planche à voile, pour surfer les eaux transparentes de ce lagon aux couleurs de rêve, en compagnie de deux kiters. Pour fatiguer la bête : après la planche, le footing ! Nous suivons la plage, jusqu’au phare. Creusant le sable, des traces de tortues venues pondre pendant la nuit : un sillon central entouré de baquets, jusqu’à une dépression dans le sable, et les mêmes traces qui en repartent, retrouvant la mer. Quel effort pour ces milliers d’œufs ! Combien échapperont aux oiseaux, aux crabes, arriveront à la mer ? Et combien encore éviteront les nombreux requins de tous poils qui les attendent dans l’eau ?

 

En préparation ...

 

 

Ca vaut bien l'étang de Thau !

 

A quoi reconnaît-on le véliplanchiste heureux ?

 

 

Le bébé tortue secouru par Gérard : au moins un de sauvé !

 

Profitons de cette dernière soirée aux Roques, même si l’on n’a pas vu l’ombre d’un garde, le temps file, et il nous reste encore à découvrir les îles suivantes : Las Aves …


29/08/2011
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Isla Blanquilla : petit paradis blanc

Isla Blanquilla : petit paradis blanc

 

 

Mardi 19 juillet 2011, nous quittons Saint-Georges en fin de matinée, environ deux heures après Khaya, et quatre heures avant Harpo, anticipant les écarts de vitesses présumés de nos fiers vaisseaux. Grenade rapetisse dans le sillage, silhouette montagneuse estompée par des grains. En la quittant, nous disons aussi au-revoir aux Antilles. Cap à l’ouest, une navigation de 160 miles nous attend jusqu’à La Blanquilla. Le vent passe rapidement sur l’arrière, et nous reprenons la configuration habituelle en pareil cas : grand’ voile et génois en ciseaux. Le vent mollissant un peu dans l’après-midi, on envoie le spi, et c’est tiré par un Obélix gonflé que nous doublons Khaya, qui navigue génois et gennaker en ciseaux. On se photographie mutuellement, c’est l’occasion de voir l’allure de son bateau en navigation ! Nous évitons quelques grains qui nous épargnent en glissant sur tribord, sauf le dernier qui nous frôle d’un peu plus près et nous fait affaler le spi juste à temps. Nous faisons un point VHF avec Harpo qui a rattrapé la troupe dans l’après-midi, et talonne Khaya. En début de nuit, une ligne d’orages jette des lueurs fauves au sud, éclairs qui illuminent des contours de nuages menaçants. Heureusement pour nous, ils restent cantonnés sur le continent vénézuélien et ne s’aventurent pas en mer. La nuit est donc tranquille, divisée en quatre quarts de deux heures.

 

Un grain sur Grenade

 

Khaya à onze heures !

 

Khaya presque toutes voiles dehors

 

Sahaya sous spi Obélix

 

Mercredi 20 juillet, Harpo a pris l’avantage pendant la nuit. Vers midi, nous voyons se profiler les plus hautes des îles égrenées en chapelet au sud-est de La Blanquilla : Islas Los Hermanos, Los Morochos, Isla Del Pico, Isla Fondeadero, etc. La Blanquilla n’apparaîtra qu’au dernier moment, nous présentant sa côte est plate et bordée de sable blanc. Au nord, la Punta Manglecito avance en mer un platier de corail, que nous arrondissons largement, d’autant que la carte n’est pas fiable. Le mouillage où nous attendent Harpo et Pollen est quelque quatre miles plus loin, sous le vent de l’île où la houle s’estompe, juste au sud de la Punta de la Aguada qui forme une anse protectrice. Et à l’arrivée, mauvaise surprise : quand je reprends la barre pour la manœuvre de mouillage, elle ne répond presque plus ! Philippe file à l’arrière du bateau, constate qu’il n’y a presque plus d’huile hydraulique, en remet. Consternation, quand nous constatons que le liquide hydraulique est parti dans les fonds. Philippe, avec son optimisme habituel, craint que ce ne soit la pompe qui ait un problème, auquel cas, plus de pilote et plus de barre à roue ! Il ne resterait plus alors que la barre franche de secours, mais elle n’est guère confortable pour barrer longtemps … En fait, il y aura plus de peur que de mal, car l’examen du lendemain révélera que la fuite intempestive n’était due qu’à un connecteur mal revissé après le remontage de la pompe suite au changement des charbons. Ouf !

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à notre petit barracuda, pêché à la traîne juste avant d’arriver à La Blanquilla. Il apportera sa contribution au dîner organisé le soir de notre arrivée sur Pollen, rivalisant avec celui pêché et cuisiné par Harpo. Khaya fera son arrivée en début de soirée. Voilà les quatre bateaux réunis. La carte se révèle fausse, ou alors, contre toutes apparences, nous serions mouillés sur la terre. Ça devrait tenir donc, et notre première nuit à La Blanquilla est sereine et réparatrice.

 

 

Un barracuda juste avant d'arriver

 

Arrivée au mouillage

 

Sereine … pas tant que cela néanmoins, car la crainte d’attaques de pirates est quand même latente dans nos esprits, comme une bestiole tapie, et qui, si on la laisse faire, fait dresser l’oreille sur des clapotis, interpréter des bruits et des lumières, suivre les mouvements des barques de pêche d’un œil suspicieux, bref, nous rend un peu paranoïaques … Il faut dire que l’on a entendu (via « Radio Pontons »), et lu (sur Internet) beaucoup de choses à propos d’attaques de bateaux, qui seraient en recrudescence sur les côtes du Venezuela. Les bateaux sont pillés, et les attaques parfois violentes, avec coups et blessures, voire plus encore. Mais les histoires sont parfois redondantes, souvent incomplètes : on ne sait pas dans quelles circonstances exactes les attaques ont eu lieu, ni quels types de bateaux étaient visés, s’il n’y a pas des soupçons de trafic de drogue derrière, etc. Bref, c’est donc difficile de se faire une idée des risques « réels », et de trouver un équilibre entre «Ne plus sortir de chez soi » et « On y va comme si de rien n’était ». N’empêche que si on est attaqués, on a gagné le gros lot … Les Vénézuéliens sont les premiers à souffrir de cette mauvaise réputation et de la désertion des plaisanciers. Les pirates ne s’en prennent d’ailleurs pas seulement aux bateaux de plaisance mais aussi aux bateaux de pêche locaux, pillant des cargaisons de poissons fruits de plusieurs jours voire semaines de campagne de pêche. C’est tellement plus rapide et facile que de suer à la tâche ! Le choix de l’escale à La Blanquilla est un compromis entre prudence et envie de découvrir les îles du Venezuela. Sur la route mais plus proches du continent, et entachées d’une mauvaise réputation d’autant plus triste qu’elles sont paraît-il magnifiques, les îles des Testigos ont subi un veto à la majorité. La Blanquilla est située à environ 90 miles du continent, et à 50 miles de l’île de Margarita, où des attaques ont eu lieu. Et puis une garnison y a une base. Et puis on est à plusieurs bateaux. La probabilité d’une attaque doit donc être limitée ? N’empêche que nous prenons des précautions, surtout la nuit : pour limiter les risques d’intrusion nocturne, nous fermons la porte et le grand hublot avant, facile d’accès. Ce qui a pour effet collatéral immédiat d’empêcher les intrusions d’air frais, et de nous faire dormir à l’étuvée ... Au fur et à mesure du séjour, ces précautions iront se relâchant, et on finira généralement par aller rouvrir la porte pour retrouver l’air libre, la chaleur faisant fondre nos dernières craintes …

 

Sahaya dans le bleu

 

Les voisins : Khaya (gauche) et Harpo (droite)

 

Un matin radieux se lève après notre première nuit sans pirates … Vue depuis le bateau à l’ancre, La Blanquilla se présente comme un petit paradis blanc, au décor de carte postale qui viendrait égayer un mur gris : une longue plage de sable blanc, un bouquet de cocotiers, une mer bleu lagon. Et le bateau serait le seul moyen « terrestre » d’accéder à ce paradis. Encore que, pas tout à fait … Il y a longtemps, un Américain fortuné a fait construire une piste d’atterrissage et une maison, un peu plus au nord du mouillage, pour jouir d’une solitude à prix fort. Nous irons voir ce qu’il en reste une autre fois, car en ce jeudi, nous partons en expédition, à pied, jusqu’à la garnison, pour signaler notre arrivée aux militaires. Seul Eric est resté sur Pollen, laissant Anne-Marie se joindre à la troupe : Caroline et Jean-Luc (Khaya), Fénou, Gérard, Joshua et Touline la chienne Terre-Neuve (Harpo), et enfin Philippe et moi. Pendant la première heure, le sentier est assez bien tracé, puis ça se gâte, quand les itinéraires se ramifient, se divisent, se recoupent, suivant les habitudes et les humeurs de leurs créateurs : les ânes. On les voit et les entend, cavalant en petits troupeaux, montant et descendant les ravines, nous observant du haut des collines. Dire qu’on les imite ne serait pas totalement faux … Sauf que nous ne connaissons pas les chemins, et qu’on n’a finalement qu’une assez vague idée de la direction à suivre pour trouver la garnison. La progression est rendue d’autant plus ardue que les sentiers sont étroits et bordés d’une végétation très piquante : herbes teigneuses, arbustes hérissés d’épines, et surtout surtout, des cactus qui semblent littéralement se jeter sur vos jambes. On les croirait presque vivants ! Ils sont formés de tiges qui ressemblent à un assemblage de raquettes reliées entre elles par un petit pédoncule. Que la raquette de l’extrémité vienne à vous frôler de ses épines, le pédoncule casse, et vous voilà avec un cuisant bagage solidement arrimé dans votre peau ! Sans doute un moyen de reproduction via la gente poilue qui a la mauvaise idée de passer à proximité … Evidemment, en se débattant, on en frôle d’autres et en général, on en attrape au moins quatre ou cinq d’un coup. Heureusement que les épines ne cassent pas quand on arrache l’intrus. Au bout de près de trois heures de marche, on fait une pause bienvenue à une petite plage où deux pêcheurs de Margarita, à l’ombre d’un palmier-dattier, nous traitent de « locos ». Et nous mettent sur le bon chemin en nous indiquant la direction de la garnison, «  a una horita » de marche un peu plus au sud, me dit l’un des deux pêcheurs avec un œil malicieux. A notre arrivée, dégoulinants et assoiffés, les militaires nous traitent aussi de « locos », et nous offrent plusieurs carafes d’eau fraîche, bien appréciées. Touline est transformée en serpillère sous la table où nous remplissons les formalités d’arrivée. La photo aérienne montre qu’il y a bien un sentier plus direct et surtout mieux tracé entre le mouillage et la garnison, mais les militaires nous disent qu’il est « serrado », abandonné car ils ne l’utilisent plus, n’ayant plus de jeep. Mais Philippe ne se laisse pas convaincre si facilement, et nous repartons tout deux, plus locos que la moyenne, pour faire le retour à pied, tandis qu’Eric appelé à la VHF vient récupérer le reste fatigué de la troupe avec Pollen pour un retour par la mer. Le sentier officiel était bien tracé pour les jeeps, avec deux passages de roues qui aujourd’hui disparaissent par endroits complètement dans les broussailles et les champs de cactus. J’entends régulièrement des « Arrrrgh ! » d’horreur devant : c’est Philippe qui se retrouve avec des dizaines de têtes de cactus plantées dans les bras et les jambes. Un moment, dans un passage du sentier de plus en plus fermé et assez loin de la mer, on n’en mènera quand même pas large, avec notre petit litre d’eau de réserve et l’après-midi avançant … Heureusement, on finira par retrouver la plage. Locos …

 

C'est parti pour l'aventure ...

 

Les faiseurs de sentiers ...

 

 

 

Rencontre avec les pêcheurs venus de Margarita

 

La baignade bienvenue !

 

La garnison de la Blanquilla

 

Au retour : LE panneau de l'île, à ne pas louper !

 

Arrgh !

 

Bien contents de retrouver la plage ...

 

La géologie de La Blanquilla nous change du basalte qui était notre quotidien depuis Madère. Ici, l’océan vient lécher des blocs de granite, qui mêle alors la nacre de son sable d’arène au blanc du sable corallien. Et au-dessus du granite, on trouve du calcaire récifal, avec de gros morceaux de coraux fossilisés dans la pierre grise. Il forme des dalles sillonnées de lapiaz qui nous rappellent les paysages karstiques de nos Causses, et le massif de la Séranne, près de Montpellier, ancienne barrière corallienne sur laquelle nous avons l’habitude de grimper.

 

Pendant une semaine, nous allons vivre hors du temps à la Blanquilla, expérimentant la vie de bateau en quasi-autonomie. Chaque matin, les « mâles » partent à la chasse pour rapporter le poisson frais qui agrémente le repas du midi. Philippe pratique l’apnée depuis qu’il a vécu à la Réunion, mais il débute la chasse au fusil-harpon :

-                 « Nathalie, tu viens avec moi chasser le mérou ?

-                 Oui d’accord, mais alors je passe devant … ; Psitt, psitt ! Sauvez-vous les mérous !! ».

 

Première chasse avec Eric

 

Consommée de suite sur Pollen avec Anne-Marie et Eric

 

Non, ce n’est pas pour moi, je suis assez piètre apnéiste et surtout pas tentée par la chasse sous-marine … Même si j’ai du respect pour ce type de chasse qui peut être (presque) équitable, puisque qu’elle se pratique en apnée. Le poisson a sa chance, à moins de tirer à bout portant ceux qui ne sont pas assez méfiants ou que leur curiosité pousse à venir regarder le plongeur quasiment sous le nez. A moins d’être logique jusqu’au bout et de devenir strictement végétarien, tuer soi-même l’animal que l’on mange remet les choses à leur juste valeur, placés que nous sommes devant la mort que nous donnons. C’est moins facile et plus salissant que d’ouvrir une boîte de thon ou de découper une cuisse de poulet de batterie ! En attendant, je passerai bien des heures dans l’eau, à chasser les images du monde sous-marin. J’aime bien ce contraste : en surface, le monde connu, avec le vol des oiseaux, le bruit du vent, le claquement des vagues, et 10 cm plus tard, un tout autre univers, calme, presque silencieux exceptés quelques froufrous et craquements. Les rayons du soleil qui pénètrent mettent en lumière la danse élégante des gorgones au gré des courants, et le corail sous toutes ses formes : cerveau, tôle ondulée, cornes d’élan en formes de corbeille. Oui, je resterai bien des heures à simplement regarder, en souhaitant devenir transparentes et ne pas respirer pour être au cœur de cette vie aquatique, colorée et silencieuse, sans la perturber. N’ayant à mon actif qu’une ou deux apnées à la Réunion, la vie aquatique me semble riche : demoiselles, sergent-major, chirurgiens, perroquets, papillons Kat-Zié, murènes, tortues, raies pastenagues, serpents annelés, barracudas, balistes, diodons, poissons-trompettes, poissons-coffres, carangues, anges de mer, calamars translucides, fééries de jaune pétard, de bleu électrique, de rouge flamboyant, de vert printemps, à pois, à rayures, mouchetés, … Eric me met même une tortue entre les mains, « pour que je ressente sa force ». Ça oui, je la sens bien, même si elle n’est pas très grande, elle me fait bien comprendre qu’elle n’aime guère être ceinturée de la sorte, et je la laisse prestement repartir à ses occupations !

 

 

Merci à Jean-Luc de Khaya pour ses photos de tortue et poisson-coffre libres de droit !

 

Pourtant, ceux qui connaissent les lieux (Harpo, venu il y a dix ans, et Pollen en 1994), constatent que les fonds ont perdu de leur richesse : globalement moins de poissons, et surtout plus de langoustes alors que le coin était réputé pour. La grosse houle générée par les cyclones peut avoir endommagé les fonds, cassé les coraux. Mais les cyclones ont bon dos. Les plaisanciers que nous sommes doivent bien avoir aussi leur part de responsabilité, certes modeste, mais si l’on calcule, en moyenne quatre ou cinq bateaux sur les lieux et trois ou quatre poissons par bateau, et ce tout au long de l’année ? Et bien sûr, il y a aussi la surpêche, comme partout. Eric de Pollen raconte que lors de leur venue en 1994, il prêtait la main aux pêcheurs pour chasser ces poissons de récif qui étaient ensuite embrochés comme appâts sur les hameçons de lignes de plusieurs kilomètres de long. Pour appâter les requins vendus ensuite pour leurs ailerons. Quel gâchis …

 

Les pêcheurs, nous les voyons travailler et partageons un peu de leur quotidien. Ils viennent mouiller près de nous le soir, et repartent au matin. Près d’une petite lagune, ils entretiennent un puits maçonné creusé dans le sable où ils viennent faire le plein d’une eau saumâtre pour la toilette et la lessive. Lors d’une balade jusqu’à la maison de l’Américain, dont ne subsistent que les murs de béton ajourés et des vestiges de terrasse (il avait bien choisi son coin : vue sur la mer, petite cala formant à la fois port et piscine), nous voyons un  rassemblement de bateaux de pêche : les « peñeros » (petites barques avec ou sans moteur HB), et les « lanchas », bateaux plus gros, voire de petits chalutiers ou ex-thoniers. Les lanchas viennent acheter des petits poissons, gardés vivants dans une grande nasse amarrée à la rive, pour servir d’appâts. Les peñeros font le transfert de pleines cagettes de poissons frétillants, sous la surveillance intéressée des fous, des mouettes et des pélicans. Les pêcheurs viennent pour la plupart de Margarita, pour des campagnes de pêche d’une à deux semaines, jusqu’à rapporter 6 ou 7 tonnes de poissons, conservés congelés, entiers ou évidés selon la taille et l’espèce, dans les cales des bateaux. Avant l’invention de la glace, les pêcheurs salaient les poissons et les faisaient sécher au soleil, étalés près de la plage à la Blanquilla.

 

Vers "la maison de l'Américain"

 

Piscine et port privés, il avait bien choisi son endroit

 

"La maison de l'Américain", ou plutôt ce qu'il en reste

 

 

Fou à bec bleu

 

Vente de poissons

 

Lancha vénézuélienne

 

Mardi 28 juillet, nous disons au-revoir à Pollen, qui part pour Puerto-la-Cruz, sur le continent vénézuélien. Ils y laisseront leur bateau au sec pour plusieurs mois, le temps d’une balade itinérante en Amérique-du-Sud. C’est un peu émouvant de les voir partir, on a passé de très bons moments ensemble, balades, barbecue sur la plage, et surtout des soirées musicales mémorables, Philippe et Eric à la guitare, Anne-Marie au piano, et moi au chant. Philippe s’était bien habitué à jouer sur la guitare classique d’Eric, à l’acoustique exceptionnelle. Il a bien du mal à la laisser repartir, et, en comparaison, trouve maintenant toute terne sa guitare à lui !

 

Une des soirées musicales sur Harpo

 

Barbecue sur la plage, à l'ombre de l'unique bouquet de palmiers

 

Barracudas sur le grill

 

L'annexe de Khaya fait une très bonne table

 

Lui attendait visiblement les restes du festin !

 

 

 

Discussion au soleil couchant

 

Dans l’après-midi, un des pêcheurs de la lancha mouillée à côté de nous arrive à la nage. Avec moult difficultés, on finit quand même par comprendre qu’il voudrait que l’on perce un trou dans une flèche de fusil-harpon pour y mettre un ardillon. Il la rapporte et monte à bord, mais c’est de l’acier inox trempé extrêmement dur. Philippe casse son foret et s’embroche un doigt sur le bout qui dépasse. Gérard est appelé à la rescousse à la VHF : « T’aurais pas un foret métal de 2,5 ou 3 mm ? ». Nouveau foret qui ne fait qu’effleurer la flèche sans l’entamer. Gérard a alors l’idée de détremper l’acier en le chauffant au rouge ; et ça marche, le foret mord enfin, et le trou est fait. Nouveau trempage artisanal à l’eau de mer, en espérant que la manœuvre n’aura pas trop affaibli le métal. Philippe donnera aussi son ancienne paire d’élastiques pour fusil, qui fera un heureux : « Como nuevo ! » lance le capitaine de la lancha qui chasse avec son fusil de nouveau opérationnel. Le lien établi, les pêcheurs nous proposent de venir à la pêche avec eux le lendemain. Mais une autre fois peut-être, car nous quittons la Blanquilla demain matin pour Los Roques.

 

Les voisins pêcheurs au mouillage

 

Une dernière plongée avant de partir, pour découvrir, sous le bateau et alignés par taille décroissante, quatre calamars. Et quatre paires d’yeux qui semblent me regarder avec curiosité. Salut les frères Dalton. Et aussi de minis sergent-major et des poissons-coffres de 1 cm qui se mettent à l’abri entre les anodes et la coque. Décidemment, on faisait presque partie du paysage …

 

Footing d'adieu avant la traversée sur Los Roques

 

(Photo réalisée sans trucage)


21/08/2011
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