Archipel du Cap Vert


Quelques jours de vie à Tantum

Quelques jours de vie à Tantum …

 

 

« Comment tou t’appelles ? » La petite voix s’élève sur ma gauche. Ce vendredi 25 février, je suis montée seule au village de Tantum, pour prendre l’aluguer de 11 heures, celui qui emmène les enfants à l’école à Nossa Senhora do Monté. Je retourne en ville, à Nova Sintra, essayer, en étant seule, de prendre enfin du recul et une décision concernant le poste qui m’est proposé en Inde. J’arrive sur la petite place ronde d’où part l’aluguer un peu en avance, et je vise un petit coin d’ombre bienvenu, sur les marches de l’église, pour attendre. Une petite troupe d’enfants joue sur la route. Quand j’arrive, ils arrêtent net leurs jeux et viennent s’asseoir à côté et derrière moi sur les marches. Mince, c’est moi l’attraction ! Ils discutent entre eux à voix basse, puis l’attraction retombe, et ils repartent petit à petit reprendre le cours interrompu de leurs occupations. Seule une petite fille est restée assise sur ma gauche, et c’est elle qui surmonte sa timidité et engage la conversation :

-          Comment tu t’appelles ?

-          Nathalie. E tu como te chamas ?

-          Tatiana.

 

La suite se poursuit en espagnol pour moi, en portugais pour elle, mais nous arrivons à nous comprendre. Elle a 8 ans, et pose plein de questions. Sur quel bateau je suis, le jaune ? Non, le blanc. Un peu plus tard arrive Claudia, la fille d’Antonio et Idalina, qui vient me saluer avec un grand sourire. Elle a 13 ans, et veut aller faire des études de médecine au Brésil. Elle fronce un peu les sourcils pour préparer sa phrase : Domingo … Dimanche, elle aimerait bien visiter le bateau. D’accord ! D’autres enfants arrivent, en uniforme d’écoliers, apparemment jupe grise pour les filles, pantalon gris pour les garçons, et chemise blanche au-dessus de t-shirts bariolés. L’aluguer tarde un peu à venir, et un jeu de l’élastique s’organise, filles et garçons mélangés. Je dis à Claudia que j’y ai aussi beaucoup joué quand j’étais petite. Ah ça y est, le pick-up fatigué arrive, talonné par un nuage de poussière. Les enfants montent, je suis la seule adulte de la fournée, assise à côté de Claudia, qui enlève spontanément une petite feuille accrochée à mes cheveux. Ces gens sont vraiment attentionnés, et ont le contact physique, tactile même, facile et spontané. Veit raconte qu’à Santo Antao, une femme assise à côté de lui dans l’aluguer lui épluchait tranquillement les brindilles qui étaient prises dans les poils de ses jambes après une randonnée dans les broussailles, mais très spontanément, et sans arrière-pensée ! En route, on croise une voiture de policiers, et hop ! les enfants assis sur le rebord de l’aluguer redescendent d’un cran s’assoir à l’intérieur de la remorque sur le banc de bois. Ce doit être un point sur lequel la maréchaussée est regardante … plus que sur les pneus archi lisses du pick-up ! Arrivée à Nova Sintra, je passe du temps sur Internet, au téléphone, … et repart avec l’aluguer de 16 heures sans avoir été capable de prendre une décision …

 

L'aluguer de 11h, celui des écoliers

 

J’y retourne donc le lendemain samedi, cette fois avec l’aluguer de midi, parmi les femmes de pêcheurs de Tantum qui vont vendre leurs poissons. L’expression « marchande de poissons » prend tout son sens quand on traverse les villages : leurs voix arrivent sur les lieux bien avant l’aluguer ! Cette fois, assise sous l’ombre des arbres de la place principale de Nova Sintra d’où l’on capte une Wifi gratuite mais capricieuse, heureusement aujourd’hui de bonne composition, j’ai fait une réponse « Oui, avec réserve … » pour le poste indien. Avant de remonter dans le dernier aluguer pour Tantum, je fais les pleins de produits frais pour la traversée : tomates vertes, choux, carottes, oranges, bananes.

 

Il est frais mon poisson, il est frais !

 

Le "stock" d'une "mercearia"

 

Je me régale à partager un peu cette vie quotidienne des gens de Brava, même si bien sûr mes petites occupations me laissent sur un chemin parallèle. Mais quand même, en venant ainsi plusieurs jours de suite, je revois les mêmes têtes, et les « bom dia », les « boa tarde », et les sourires semblent plus familiers. Dans le flot du créole qui coule sans éveiller la moindre lueur de comprenette, quelques mots quelquefois accrochent l’oreille : Francès, barco, habla poco de español, tiens, on doit parler de moi ! En quelques jours, ce sont les petits « rituels » quotidiens du voyage en aluguer qui deviennent presque une habitude : l’arrêt à la station service pour remplir les bidons d’essence pour les moteurs des barques de pêche, les femmes qui en profitent pour laver leurs bassines de poissons au point d’eau, l’arrêt au mini-mercado pour les courses, au poste de gaz sur la route pour les échanges de bouteilles, etc. Au gré des demandes, « Pépé » le chauffeur de ces dames, fait des arrêts, charge ou décharge des sacs, aide les femmes enceintes à monter dans sa carriole, fait un stop devant un genre de hangar où des piles de frusques (un arrivage ?) débordent de grandes caisses dans lesquelles les passagères partent farfouiller à la recherche de leur bonheur. Bref, le temps de retour est fluctuant ! Minimum une heure, et jusqu’à une bonne heure et demi.

 

Pendant ce temps, Sophie, monitrice d’apnée, a initié Philippe à la chasse sous-marine. C’est le moment d’étrenner notre fusil « made in China » de chez D. acheté avant le départ, qui fait bien rigoler les poissons ! Philippe tire par deux fois et la flèche ne se plante même pas, le poisson prend juste un air surpris sous le choc « qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? ». Puis Sophie prête son fusil de compétition, et Philippe fait ses deux premières touches … dont je n’aurai que ouïe dire, car il les aura consommées le midi même. Bon, il faudra changer l’élastique de l’arbalète, car il n’est pas assez puissant.

 

Le résultat de la chasse ...

 

Une brochette d'un autre genre !

 

Vers 18 heures, me voilà de retour sur la petite plage de galets de Tantum avec mes sacs. Dans la descente, j’ai rencontré un journaliste qui fait un reportage pour le compte d’une compagnie aérienne. Brava est le sujet de la prochaine revue touristique laissée dans les avions, pour promouvoir le tourisme sur l’île. Il parle très bien français, me pose des questions, qu’est-ce que je pense de l’île, prend même des photos pour me citer. Peut-être que Sahaya et Moemoea au mouillage, se baladeront quelques temps dans les airs entre Europe et Cap Vert (en espérant que ce petit coin de paradis ne soit pas connu de trop de monde non plus).

Antonio est sur la plage, il me donne des poissons, trois petits mérous, et nous invite tous « après-demain » (dit en français), dimanche midi donc, à une catchupa sur la plage avec sa famille. Gentiment, des pêcheurs sont prêts à mettre leur barque à l’eau pour me ramener au bateau, mais Philippe m’a vue et vient me récupérer avec l’annexe.

 

 

Voilà une semaine maintenant que nous sommes à Brava, à faire un peu partie de la vie du village de Tantum. En une semaine, nous avons établi plus de contacts avec les gens du cru qu’en plus d’un mois passé à Mindelo. De tout notre séjour au Cap Vert, ce sont ces quelques jours qui nous aident le plus à mieux connaître les Capverdiens, en tout cas ceux de Brava. D’une grande générosité, ils veulent toujours nous donner quelque chose, et sans demander de retour, bien au contraire. Une fois, lors d’un arrêt de l’aluguer, un capverdien bien imbibé de grogue était venu nous demander de l’argent, et on a compris qu’il se faisait vertement enguirlander par les autres.

Bien sûr, il y aurait un peu de travail d’éducation à l’environnement à faire dans ce village isolé. Les pêcheurs semblent rapporter un peu tout ce qui s’accroche à leurs lignes ou leurs filets, et des mérous qui ne font pas vraiment la maille finissent en friture sans avoir eu le temps de laisser de descendance … Et, sans doute que comme à la Réunion, les emballages non périssables sont arrivés en masse sans la notice d’accompagnement sur leur élimination. Le « point vert » ici est le bord de la falaise à l’orée du village, où s’y pratique un tri sélectif sur le mode gravitaire : d’abord le verre, puis le plastique … Il faut dire aussi qu’on n’a pas vu de poubelles, c’est sûr que si rien n’est organisé au niveau communal, les gens ne sont guère encouragés à mieux gérer leurs déchets. Espérons que cela viendra. Cela dit, les décharges à ciel ouvert n’ont pas disparu depuis si longtemps chez nous …

 

 

Le dimanche midi, la plage manque d’activité sans ses habituels pêcheurs, et pas de trace d’Antonio et de sa famille et de la catchupa. Nous attendons jusqu’en début d’après-midi, puis nous montons au village avec Sophie et Veit, et un premier lot de bouteilles vides que nous remplirons demain au point d’eau du village. La maison d’Antonio est fermée, son voisin nous dit qu’il est au village voisin, et nous laissons nos bouteilles devant sa porte pour partir en balade vers la vallée voisine de Ferreiro. Des gamins s’improvisent comme nos guides, nous suivons une lévada qui domine la vallée, jusqu’à ce que la falaise ait tendance à nous repousser de l’épaule vers le vide. Heureusement, les gamins se sont arrêtés avant, en se faisant gronder depuis le village de ne pas suivre ces fous de blancs sur cette partie qui doit leur être interdite ! On les retrouve un peu plus bas, puis ils délaissent notre trace quand nous continuons de descendre vers Ferreiro. Il y a paraît-il dans la forêt de cette vallée de petits singes, que nous aimerions bien apercevoir. On demande à un jeune homme au seuil de sa maison entourée de terrasses, mais nous n’arrivons pas à nous faire comprendre, il ne comprend « singe » ni en français, ni en anglais, ni en espagnol, et on ne connaît pas la traduction en portugais. Puis Philippe se lance dans une imitation son et lumière qui doit être convaincante car le regard du gars s’éclaire de suite : « macaques » ! Mais peu de chances de les voir en ce moment, ils séjournent plus haut en montagne, et descendent dans la vallée se régaler de mangues quand elles sont mûres. Encore quelques mois alors, car les plantureux manguiers ne portent encore qu’une myriade de petits fruits verts.

 

Nos éclaireurs ...

 

 

Chemin interdit aux enfants !

 

Sophie et Veit pensent découvrir un petit paradis qui pourrait bien leur convenir comme pied à terre : une jolie maison dans la vallée, entourée de manguiers, avec une source d’eau claire dont le propriétaire nous dit qu’elle coule toute l’année.

Au retour, nous nous arrêtons à une maison entourée d’un grand jardin bien garni, Sophie et Veit veulent se renseigner pour venir y acheter les légumes en direct. Et c’est une rencontre inattendue avec Miguel, végétalien, chrétien fervent à tendance écologiste, qui nous entretient sur la santé, les pollutions, le respect de la nature et de la vie, de livres référence à lire. Des gens ayant une vie simple et très modeste vivant de très peu mais doués d’une belle conscience mise en pratique au quotidien et rayonnant d’une sérénité communicative. Une belle leçon pour nous … Il nous fait une démonstration de la préparation des brèdes (feuille) de choux, et nous offre plus de légumes qu’on ne lui en achète : salades fraîches cueillies, aubergines, patates douces, de quoi se régaler de frais et de bio (sans étiquette !).

 

La douche des filles

 

Presse à canne à sucre

 

Chez Miguel

 

Miguel a sorti sa bibliothèque de référence

 

Lundi 28 février, nous avons décidé de décoller demain matin pour la Transat. Il nous reste le plein d’eau à faire, nous chargeons les sacs à dos de bidons de 5 litres vides pour monter les remplir au village. Antonio nous accueille sur la plage : hier, ils ont eu un empêchement, alors la catchupa est pour ce midi, Idalina est déjà en train de la préparer : maïs, courge, carottes, et poisson attendent de rejoindre une gamelle posée sur un feu de bois. En attendant, nous faisons un aller-retour avec nos bidons, que nos petits guides de randonnée d’hier se chargent de remplir au point d’eau du village. Au moment de payer (ce n’est que quelques escudos pour 5 litres, mais je trouve ça bien, même avec un prix symbolique, ça oblige les gens à respecter l’eau), la dame qui gère la fontaine fait un geste avec un sourire : cadeau ! On comprend que nous sommes connus comme les amis d’Antonio … qui a rempli, payé, et descendu jusqu’à la plage, les bouteilles que l’on avait laissées la veille devant chez lui ! Là encore, on est confondus devant tant d’attentions ! Nous redescendons avec notre lest. La catchupa d’Idalina est très bonne, Sophie et moi avons apporté chacune un gâteau fait bateau, et Philippe a imprimé quelques photos que nous avons prises d’eux, ce qui semble leur faire plaisir. Pas si facile d’arriver à leur donner quelque chose !

 

Idalina (en rouge) démarre la préparation de la catchupa

 

Le remplissage des bidons au point d'eau communal

 

Catchupa d'au-revoir

 

Après la catchupa, Philippe et moi rejoignons à pied le village de Nossa Senhora do Monte au col pour un dernier chargement des fichiers météo « grib » à 7 jours d’échéance au Cyber Café, hé oui nous ne possédons pas le coûteux Iridium (téléphone satellitaire), puis l’envoi d’un ou deux textos « on part demain ! », puis nous redescendons sur Tantum en courant pour nous défouler avant la traversée. Arrivés devant l’école, les enfants qui en sortent nous emboîtent le pas de course, et nous faisons donc une entrée discrète au village, à la tête d’une petite et souriante équipe d’athlétisme qui cavale cartables au dos !

 

Philippe en entraîneur de choc !

 

De retour sur la plage, Antonio et Idalina y sont encore, nous les soupçonnons de nous avoir attendus pour nous dire au revoir. Idalina a la larme à l’œil, « Sodade » dit-elle la main sur le cœur. Nous aussi avons le cœur un peu serré. Pourtant, peu de paroles ont finalement été échangées entre nous, déjà à cause de la langue, de la timidité peut-être de leur part. Ils nous posent finalement peu de questions, beaucoup moins que nous ! Mais c’est une amitié quand même qui s’est tissée, avec ces moments et ces attentions partagés.

 

Dans la nuit étoilée et sans parasite lumineux de Tantum, des bancs de poissons frétillent en surface, sautent et retombent dans un bruit de pluie d’orage. Qui chasse, qui est chassé ? Difficile de le savoir. C’est un jeu de la vie et de la mort qui fait des étincelles avec le plancton phosphorescent agité par leurs ébats. Est-ce que, comme en plein jour, de petits poissons nagent plusieurs mètres sortis de l’eau, dressés à la verticale sur leur queue, pour tenter d’échapper à quelque prédateur qui a jeté son dévolu sur eux ? La nuit garde le secret. Nous prenons un maté chez Sophie et Veit. Eux pensent partir pour la transat dans la semaine, quelques jours après nous. Ils savourent encore quelques jours à Brava, la sauvage, et l’authentique.

 

Nous regagnons le bateau pour une dernière nuit dans ce mouillage, le plus chaleureux que nous ayons fait au Cap Vert.


26/03/2011
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Brava ... sauvage !

Brava … sauvage !

 

 

Vendredi 18 février 2011. Le Moemoea de Sophie et Veit a levé l’ancre quelques heures avant nous en direction de Brava. L’Eliane de Nathalie et Christophe est venu nous faire un salut pendant que nous faisions le plein d’eau, on se retrouve aux Antilles hein ? Bonne traversée ! A 14 heures, on appareille. Tchau Mindelo … Un peu nostalgique de quitter le lieu, mais le plaisir du départ l’emporte, surtout que la navigation commence agréablement dans le détroit entre São Vicente et Santo Antao, avec la houle qui nous pousse et le bateau qui glisse à 6 ou 7 nœuds. Laure a la même sensation : quel plaisir d’être en mer après cette trop longue escale à Mindelo ... Mais une fois passé l’abri de l’île, ce n’est plus la même chose ! Deux houles croisées, très courtes, nous brinquebalent méchamment. Rien de tel pour être malade, d’ailleurs … je n’y coupe pas dans la soirée, et Laure aussi, juste avant de prendre le premier quart ! La nuit est claire, avec la lune tout juste décroissante. Dans la nuit, une voile blanche sur notre bâbord, et la VHF qui crépite sur le canal 72 : « Moemoea pour Sahaya, où êtes-vous ? Juste à côté non? » Hé oui, c’est bien Sophie et Veit qu’on a rattrapés sur la route de Brava.

 

Samedi 19 février, j’émerge vers 9 heures. Philippe a fait un dernier quart « rallongé » et laissé dormir les deux patraques ... Ça bouge toujours beaucoup. Dans la matinée, on voit apparaître la forme triangulaire de Fogo, l’île voisine de Brava. Petit regret de ne pouvoir monter au sommet, le volcan à près de 3000 m, mais il n’y a qu’un seul mouillage sur l’île, et avec cette houle, il nous a été fortement déconseillé car très inconfortable. Brava apparaît aussi, c’est l’île la plus au sud-ouest de l’archipel du Cap Vert. Le dernier pied à terre avant la ruée vers l’ouest. La houle reste teigneuse, et il faut vraiment s’engager derrière le cap qui protège l’entrée de la baie de Faja de Aguas pour qu’elle abandonne la partie. Ouf ! Ça se calme enfin, et il faut viser ensuite un petit espace devant le village, sur le « plateau continental » où les fonds remontent brutalement de plus de 30 m à moins de 7 m, pour poser l’ancre sur du sable. Devant nous, un village aux jolies maisons en arc de cercle le long de la côte, une vallée qui remonte dans des forêts de manguiers (dommage, ce n’est pas encore la saison !), des terrasses avec des bananiers et des cocotiers. C’est bien vert. Moemoea passe devant la baie sans s’arrêter : problème de moteur, ils filent directement au mouillage suivant, à deux miles plus au sud. On s’y retrouvera plus tard. Allez, le petit tour à terre réglementaire ! Le débarquement en annexe entre les gros cailloux puis sur le plan incliné en béton des pêcheurs est humide, et pourtant, les rouleaux sont modestes ! Nous longeons la rue principale (et unique !) jusqu’à arriver devant un petit aéroport désaffecté, avec sa piste qui semble n’avoir jamais servi. Apparemment jugée trop dangereuse avec les vents turbulents qui règnent. N’empêche que ça a dû demander pas mal de travaux : aplanissement du terrain, murs de soutènement, bâtiment, etc. Près de la piste, deux hommes cassent des cailloux à la masse. Du geste, ils nous indiquent un sentier côtier qui part vers le sud, et que l’on suit jusqu’à une petite plage. Au retour, l’un des deux casseurs de pierres nous accoste. Il s’appelle Ricardo, parle un peu français, et est gardien de nuit de l’aéroport désaffecté, pour, nous explique-t-il, qu’il ne soit pas utilisé par les trafiquants de drogue ! Au passage devant sa maison, il nous offre de l’eau et des œufs de ses poules. Quelle belle et bonne omelette ! C’est la fête au village et le bar diffuse plus que largement de la musique années 80 pas très capverdienne … Ça ne nous empêche pas de dormir, avec la journée de navigation à récupérer !

 

Arrivée à Faja d'Aguas

 

 

"Fais comme l'oiseau"

 

Le débarcadère

 

Grondements, bruits de galets roulés … je me lève plusieurs fois dans la nuit. Les vagues déferlent de plus en plus, et Sahaya s’est approché de la côte en pointant le nez au large. La houle de nord-ouest, engendrée par les grosses dépressions qui sévissent dans le nord, est en train d’arriver comme le prévoyaient les prévisions météo. Au matin, le mouillage devient intenable, de gros trains de houle entrent dans la baie, et de toute façon on ne pourrait plus débarquer en annexe.

 

Moins accueillant non ?

 

Direction la baie de Tamtun, mieux protégée, où l’on retrouve Moemoea, seul bateau au mouillage. Effectivement c’est calme, au fond une plage de galets avec une maison pour la réparation des barques de pêche, et le village qui surplombe, que l’on atteint par un sentier pavé qui grimpe raide. Nous sommes entourés de barques de pêche, c’est vraiment l’activité principale ici. Une barque nous aborde : ils demandent une bougie pour le moteur hors-bord. Ok, on fait du troc contre du poisson, et ils nous apportent un beau morceau de thazard (« serra » ici).

 

La baie et Moemoea

 

N'auriez pas une bougie ?

 

La technique pour garder les poissons au frais : vivants dans la barque !

 

Le poisson, c’est le cœur de la vie de ce village. On fait la connaissance d’Antonio, dit « Peixe », qui nous emmène vers des coins réputés à langoustes dans la baie. Philippe, Sophie et Veit partent en apnée, mais le poisson est rare, et Antonio ne remontera qu’une langouste. Nous ne sommes pas très fiers de ce trophée de chasse qui ne dépasse même pas du seau, sans être des spécialistes de la langouste, il nous semble qu’elle aurait mérité de grandir un peu … En fin d’après-midi, nous sommes tous invités sur la plage par Antonio et sa femme Idalina, qui a préparé le repas : riz aux haricots, courge, poissons grillés et … la langouste, petite mais bonne, ce qui est bien dommageable pour elle ! Ils parlent espagnol, on se débrouille donc avec ça pour communiquer. Sympathique soirée, où l’on voit qu’il est difficile de leur donner quelque chose en échange. Ah si, le gâteau de Sophie a du succès, c’est une idée à garder pour les remercier, car ils ne doivent pas souvent en manger.

 

Repas sur la plage avec Antonio et Idalina

 

Antonio décortique la langouste

 

Retour d'une barque de pêche : négocier la vague ...

 

Ho hisse !

 

Mardi 22 février, Antonio vient nous chercher avec sa barque au bateau. Laure débarque aujourd’hui de Sahaya, elle a un avion à Praia vendredi soir, et veut se garder une marge pour arriver à rejoindre Santiago. Nous avons eu plusieurs échos contradictoires sur le ferry : quotidien, puis pas tous les jours mais plusieurs fois par semaine, et enfin irrégulier et assez imprévisible ! Après la rude montée vers le village, on embarque dans l’aluguer de midi, bien rempli avec des femmes de pêcheurs partant vendre leurs poissons, des enfants. La route vers la capitale, Villa Nova Sintra, est un voyage en soi. L’aluguer crache noir dans les montées, s’arrête dans tous les villages où les gens viennent acheter le poisson directement à l’arrière du pick-up, et attaque la redescente vers Villa Nova Sintra dans une vallée bien verdoyante. C’est une petite ville tranquille, aux allures coloniales avec ses maisons colorées et ses rues pavées et ombragées. Un dernier restaurant, et Laure embarque dans un aluguer pour Furna, la ville portuaire. Bonne chance pour le ferry et le retour à Marseille. Pas de chance avec Internet par contre, aucun des lieux que l’on nous indique ne fonctionne, pas de météo donc, c’est un peu gênant pour programmer la traversée … Brava … sauvage ! Au retour, Antonio, qui nous a accompagnés toute la journée, nous invite à manger chez lui. Nous sommes un peu gênés par tant de gentillesse, mais tout est prêt : riz aux haricots, courge, et poissons grillés, ce doit être leur repas au quotidien. En guise de dessert, une potion magique à base de sucre et d’arômes artificiels (importée du Chili !!) mélangée à de l’eau qui imite malgré tout assez bien le goût de goyave. Décidément, faut que je fasse un gâteau avant de partir !

 

Le taxi ...

 

Un autre exemplaire de petite langouste ...

 

Laure en tenue de randonneuse pour affronter la montée au village

 

Laure se fait belle pour le voyage

 

L'aluguer rentabilisé !

 

Vente de poissons en direct

 

Brava sous nos yeux

 

Bonne route Laure !

 

Mercredi 23, nous retournons à Faja de Aguas à pied pour tenter de trouver Internet à une pension tenue par un Français, et en profiter pour laisser quelques stylos à Ricardo, il nous en avait demandé pour son fiston. Chou blanc là aussi, car le Français peu serviable nous refuse l’accès à Internet, réservé à son usage privé … Nous retenterons notre chance demain à Villa Nova Sintra, en prenant l’aluguer de 8 heures. C’est que le temps tourne, et qu’il faudra bientôt penser à la traversée.

 

 

Le chemin du retour vers le mouillage

 

Jeudi 24 fevrier, pas d'aluguer à 8 heures, nous voila partis à pied ... Arrivés à Villa Nova Sintra, trouver Internet tient du miracle ! Voila l'article, on verra plus tard pour les photos car la connexion est trop laborieuse ! Les fichiers météo annoncent de la pétole pour toute la semaine prochaine, on ne sait pas encore si on attend ou non que les alizés soient plus forts ...

 

Samedi 26 février, je suis revenue en ville. Il y a finalement Internet gratuit avec la wifi sur la place devant le Paços do Concelho, il fallait le savoir ! Demain midi, Antonio nous a invités à une catchupa sur la plage avec sa famille. Et a priori, nous appareillons lundi matin. Quelques courses de complément pour la traversée, et rendez-vous de l'autre côté !


24/02/2011
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Une quarantaine à Mindelo

Une quarantaine à Mindelo …

 

 

J’avais laissé le récit le 19 janvier 2011, quand nous quittions « notre » île de Santa Luzia pour São Nicolau. Nous en sommes repartis le 27 janvier, pour finalement revenir à Mindelo au lieu de continuer directement vers les îles sous le vent. Sympathique séjour qui sera l’objet d’un autre article, mais pour une fois faisons fi de la chronologie ! Jeudi 27 janvier en fin d’après-midi donc, Sahaya retrouve le décor de la baie de Mindelo et son mouillage, qui est bien plus occupé que lorsque nous en sommes partis deux semaines plus tôt. Il nous faut viser un petit espace entre trois bateaux, ça devrait aller pour la nuit mais il faudra essayer de trouver mieux demain matin. Philippe dépose Laure et Jean-François à terre pour la soirée. Nous sommes revenus à Mindelo pour y refaire les pleins et éviter ainsi d’avoir à passer à Praia, la capitale du Cap Vert sur l’île de Santiago dont nous avons entendu plusieurs échos sur la sécurité qui laisserait à désirer (bateaux visités au mouillage même avec des personnes restées à bord, etc.). Et aussi (et surtout !) nous devons avoir une sérieuse discussion avec Jean-François avant de pouvoir envisager de continuer le voyage avec lui, d’autant qu’il y a une longue traversée ... Depuis plusieurs jours, les rapports sont tendus, ses comportements deviennent plus qu’insupportables. Le lendemain matin, malin, comme pour ne pas perdre la face, il prend les devants en nous annonçant qu’il quitte le bord, pour des raisons qui nous laissent sans voix ! Mais alors quel soulagement ! Le soir, nous savourons notre intimité retrouvée autour d’une bonne bouteille de Grenache de nos amis Christian et Bénédicte (de Las Ribos de Saint-Sernin, dans l’Aude). C’est la première fois que nous rencontrons quelqu’un qui nous laisse une telle impression et provoque une réaction de rejet a posteriori : une sorte de despote, narcissique pathologique, envahissant, exigeant, et pompeur de notre énergie. En fait nous aurions pu présager bien plus tôt de la nature foncièrement insupportable du personnage, mais quelques points communs comme la guitare, le jazz, l’hydrogéologie, et une grande insistance voire presque une supplique de sa part pour embarquer à notre bord, nous ont rendus trop tolérants. Une fois débarqué, nous apprenons qu’il était jugé insupportable par la plupart des gens l’ayant côtoyé …

 

 

Mindelo, le retour ...

 

Nous voilà revenus à Mindelo, depuis près de trois semaines maintenant. Encore un peu, et ce sera une quarantaine ? Sahaya en quarantaine, qui s’encrasse dans les eaux sales de la baie de Mindelo, prend les algues à défaut de racine … Il est notre reflet, planté dans la vase, tournant autour de son ancre au gré des vents, mais sans avancer. C’est la valse hésitation pour moi, pour nous : j’ai une proposition de poste en Inde, à Hyderabad. Et tournent les questions en farandole : poursuivre le voyage, interrompre le voyage, reprendre le voyage, expérience indienne, « engagement » pour l’eau en Inde, opportunité de développer des idées alternatives, fausse piste, quel sens au voyage, quel sens au travail, vie en mégapole, vie dans la nature, la mer, Damien, Moitessier, oser, oser vivre, vivre son rêve, rêve d’aventure, aventure en bateau, aventure indienne, dix ans de préparation pour un an de voyage, voyage inachevé, voyage quand même, voyage plus tard, voyage partout, et Philippe là-bas ? Trois ans c’est pas long, trois ans c’est long, .........

 

Drôles de journées passées en allers-retours d’annexe, à envoyer un mail, attendre une réponse, en renvoyer, cogiter, téléphoner, viser les heures ouvrables de bureau en France depuis les heures ouvrables des Cyber Cafés du Cap Vert, avec les deux heures de décalage horaire. On perd le fil, Philippe bricole un peu sur le bateau mais sans grande motivation. Il attend, on attend … quoi ? Un éclairage, une intuition … En plus, avec toutes ces cogitations, j’ai zappé le fait que mon passeport périme dans moins de six mois, et du coup la porte du Brésil se ferme … Acte manqué ??

 

Bricolage : les eternelles peintures ...

 

Et un aller de plus

 

Le marche aux poissons

 

Le coin des pecheurs

 

Et refaire les pleins ...

 

Heureusement, cette période a aussi été ponctuée de sympathiques soirées avec nos amis Sophie et Veit sur Moemoea, Anne et Sébastien sur Mougika, et aussi de nouvelles rencontres de voyageurs que nous aurons plaisir à retrouver si l’occasion se présente de l’autre côté de l’océan ou ailleurs : Nathalie et Christophe sur l’Eliane, Marie-Thérèse et Jacques sur le Maracuja Hic-Nune, et toute l’équipe haute en couleurs (ils font partie du mouvement « Rainbow ») sur Papillon.

 

Un soir sur Sahaya

 

Le parking de la residence ...

 

Le papillon rainbow

 

Jeudi 17 février 2011. Laure est remontée à bord. Le Mougika d’Anne et Sébastien a pointé son nez vers les Antilles lundi. Le « Président » de Jean Le Cam a été chargé sur un cargo hier matin. Hic-Nune a pris la route pour Santa Luzia ce matin. Il est grand temps de partir ! La coque a eu droit à un décrassage à la brosse pour enlever le plus gros de la culture sur flotteur. Nous appareillons demain, ainsi que nos amis Sophie et Veit sur Moemoea, en direction de Fogo et de Brava, les îles au sud, pour une escale avant la grande traversée …

 

Veit repare son eolienne


17/02/2011
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Robinsons à Santa Luzia

Robinsons à Santa Luzia

 

 

Samedi 15 janvier 2011, Sahaya s’engage dans le détroit entre São Vicente et Santo Antao, en direction du sud-ouest. Avec le rétrécissement, la houle est assez forte, heureusement ample, et après la sortie de la baie de Mindelo, nous la prenons par l’arrière. La côte sud et montagneuse de São Vicente bloque l’alizé sur sa route, et il s’engouffre alors en bourrasques rageuses dans les échancrures du relief. Par précaution Philippe a pris un ris dans la grand voile, et l’on saute ainsi de molles en venturi tant que l’on reste sous le vent de l’île. Passée la pointe sud-est, l’alizé s’en donne à cœur joie, et c’est dans des conditions musclées, au près sous 2 ris et dans la houle, que nous traversons vers Santa Luzia.

 

Le phare de San Pedro vu de la mer

 

Nous arrivons dans la zone de mouillage de Praia de Palmo a Tostão en fin d’après-midi. Prudence … La cartographie est plus que sommaire, et on s’avance vers la plage au ralenti en scrutant d’éventuels et traitres cailloux. Nous mouillons par une dizaine de mètres de fond près de l’Ilhéu Zinno, un gros caillou apparemment poissonneux car on verra plusieurs barques de pêcheurs et même un petit chalutier travailler autour. Philippe plonge voir l’ancre, elle s’est coincée sous une roche et la chaîne fait le tour d’un caillou, ça devrait tenir et résister aux grosses rafales de vent qui peuvent venir de toutes les directions.

Voilà donc Santa Luzia, île déserte, moins de 12 km de long, l’une des plus petites du Cap Vert. Devant nous, une longue plage de sable blond, et en arrière plan, des reliefs qu’il va falloir aller arpenter. Nous sommes le seul bateau : Robinsons ! Ahhhh ! Mais que voit-on ? Un ennemi s’approche, un catamaran en plus, et allemand en plus !! Ça y est, le charme est rompu … Bon, n’exagérons pas, il mouille à distance respectable …

 

Le lendemain matin, c’est parti pour la découverte de notre nouveau domaine. Nous débarquons en annexe avec Laure et Jean-François. Débarquement plus rapide que prévu car un rouleau mal intentionné remplit l’annexe par l’arrière et l’emmène en surf rapide s’échouer sur la plage en l’ayant délestée de ses occupants. Chacun sa découverte à son rythme, notre équipe s’égaye, Philippe et moi partons pour un footing de luxe le long de la grande plage, puis en remontant une large ravine qui nous fait entrevoir les dunes de sable de la côte est. Santa Luzia n’a pas toujours été déserte, des vestiges de deux villages sont encore visibles, murs de maisons, réservoirs d’eau. Ce ne devait pas être facile pour l’eau, on repère deux petits trous maçonnés creusés dans les alluvions des ravines proches des villages, mais l’eau est saumâtre. L’après-midi, nous montons au sommet de l’île avec Laure. A un peu plus de 300 m de haut, la vue fait le tour de l’île. On voit bien les dunes de sable éolien venu de l’Afrique qui occupent la côte est.

 

Embarquement : gare à la vague scélérate !

 

Souquez ferme matelots !

 

Bien arrivés au bateau !

 

São Vicente vu depuis Santa Luzia

 

Footing inoubliable ...

 

Vers le sommet

 

Sahaya au mouillage vu de haut

 

Vue vers l'est

 

 

Retour vers la plage sous une belle lumière

 

 

 


Au matin, mauvaise surprise : les rafales de vent ont été telles que l’annexe a fait des tonneaux pendant la nuit, et les 3 pagaies que nous avions eu l’imprudence de laisser dedans sont perdues … Balade de l’après-midi vers les dunes et la plage côté nord-est, exposée au vent dominant. L’océan vient y dégueuler une petite partie de ce qu’on lui fait ingurgiter. Toute petite, infime partie. Mais largement de quoi défigurer une plage : filets de pêche, bouteilles, bidons, … Tout ces détritus qui sont là pour des années et qui continueront d’arriver encore très longtemps … Revenons vers les dunes, où chaque caillou, chaque vestige de coquillage, crée sa propre petite dune sous le vent, comme une réplique miniature de la grande. Le sable soudé par le vent a fossilisé des tiges de plantes, des branches, dont il ne reste plus que la gangue externe. On remarque peu d’animaux, à part des oiseaux : des moineaux, des rapaces, des échassiers, dont un « rol-do-mar », l’équivalent de notre « tourne-pierres ».

 

La voiture lestée de cailloux au parking de la plage

 

 

Dans les dunes ...

 

Fossiles végétaux de sable

 

L'étendue des dégâts ...

 

?

 

Retour par les dunes

 

Mardi, l’harmattan vient envelopper Santa Luzia dans son voile de sable rouge, faisant disparaître São Vicente et Santo Antao, pour rendre l’île plus déserte encore. La lumière est étrange, diffuse, avec un halo autour du soleil. Dernier repas du soir au mouillage, sous les étoiles.

 

 

Dans le voile de l'harmattan

 

Mercredi 19 janvier, après une plongée rapide près de l’Ilhéu Zinno, nous quittons Santa Luzia en direction de São Nicolau.


04/02/2011
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Santo Antao : des bas et des hauts

Santo Antao : des bas et des hauts (et inversement)

 

 

Un soir chez Bruno à la Bodeguita de Mindelo. Nous sommes une petite équipe, avec Laure, Sophie, Veit et Mar. Nous avons rendez-vous avec Néousa, l’amie capverdienne de Laure, qui est accompagnatrice de randonnée pour le compte de Nomade. Carte à l’appui sur la table dans la semi pénombre du fond du bar, elle nous propose des idées pour 3 jours de trek sur Santo Antao, la grande ’île voisine de Sao Vicente. En plus, il faut coordonner les deux équipes « des marcheurs qui en veulent beaucoup », et « des marcheurs qui en veulent moins », concocter un programme adapté et trouver des lieux de ralliement pour le soir ! Bon, sur le papier en tous cas, ça semble plutôt bien se goupiller !

 

6h30, le jour se lève tout juste sur Mindelo, quand Philippe et moi embarquons dans l’annexe avec nos deux sacs à dos. Premier « ramassage » sur Moemoea avec Sophie, Veit et Mar qui embarquent avec leurs sacs. Puis un tour vers les petits bateaux des grands solitaires, Bruno, puis Jade. A sept, gaillards plus sacs, ça commence à faire un peu « annexe-people » cette histoire, heureusement qu’il n’y a pas trop de clapot car le niveau de l’eau est bizarrement monté sur les bords ! Au quai de la marina, on laisse l’annexe à Jean-François, qui viendra s’installer à bord de Sahaya pendant notre absence.

 

Annexe-people !

 

7h30, le petit ferry « Ribeira de Paul » s’écarte du quai pour rallier Porto Novo, le port de Santo Antao, qui fait face à Mindelo de l’autre côté du détroit, à un peu plus de 8 miles. Il est bien plein ce ferry, bancs et chaises sont occupés, des Cap Verdiens, des sacs divers. Nous restons debout nez au balcon. La houle n’est pas si forte dans le détroit, mais le petit ferry roule quand même un peu, et une dame finit par céder au mal de mer, dommage elle était presque arrivée. Peu de solidarité s’exprime de la part de ses proches voisins, et elle reste assise un peu prostrée près de la porte de sortie. Près de l’entrée de Porto Novo, deux voiliers sont au mouillage, mais il paraît un peu précaire pour pouvoir quitter sereinement le bord pendant quelques jours. L’option mouillage à Mindelo et traversée en ferry, recommandée dans les guides nautiques, nous semble en effet plus sûre. De nombreux aluguers attendent le client à leur sortie du port pour les éparpiller dans l’île. Eparpiller est un grand mot car il n’y a que deux ou trois routes principales sur Santo Antao ! Notre équipe se scinde : Bruno, Sophie, Veit, Philippe et moi (« les marcheurs qui veulent marcher ») visons Punta da Janela, sur la côte est, d’où part notre grande randonnée. Laure et Mar (« les marcheuses qui font le marché ») s’occupent des courses pour le repas du soir et monteront en aluguer jusqu’à Cova do Paul. Rendez-vous là-haut ce soir, à la maison du frère de Néousa qui nous héberge tous pour la nuit.

 

Départ ...

 

 

A l'arrivée à Porto Novo

 

En attendant que notre aluguer se remplisse pour partir, nous achetons du fromage de chèvre local, frais et goûteux, à des marchands ambulants, qui proposent aussi bananes, oranges, pois, et petites pommes vertes acidulées. Une Capverdienne qui monte dans le même aluguer nous offre quelques « bolachas », genre de biscottes rondes et épaisses, et des figues sèches pour accompagner le fromage. Ça y est, nous sommes au complet, et le minibus s’élance sur la route littorale, au début pavée, à l’ancienne, puis asphaltée. Santo Antao présente une face aride à Sao Vicente, des pentes de volcan striées de talwegs et à la végétation rase. La route qui longe la côte est nous fait découvrir une géologie torturée, des coulées de lave, des couches de cendres, que l’érosion a modelées et hérissées de pointes. Arrivés à Punta da Janela, nous descendons de l’aluguer pour commencer la randonnée, qui nous emmène dans les terres en suivant d’abord le cours d’une « ribeira » asséchée, puis attaque le relief sur les zigzags d’un chemin en grande partie pavé. La pente est raide, et le dénivelé défile vite ! Juste un peu de hauteur, et voilà déjà de superbes paysages qui se dévoilent : vallées encaissées, terrasses cultivées, jolis villages aux maisons groupées sur les reliefs. Quel plaisir de voir du vert ! On rencontre des enfants rentrant de l’école, des jeunes faisant paître âne et chèvres, un homme qui descend une grande tige de fleur d’agave en équilibre sur l’épaule en négociant finement les virages en lacets. 1200 m de montée jusqu’à un col, et nous voilà suivant un parcours de crête jusqu’au Pico da Cruz, qui pointe à un peu plus de 1600 m. On poursuit vers Cova do Paul, un cratère bien rond dont le fond est occupé par des cultures, puis on rejoint Laure et Mar qui nous attendent à notre bercail d’occasion. 1800 m de dénivelé, ça vaut bien une petite bière non ?

 

 

De retour de l'école ...

 

 

 

Arrivée au col

 

Attention aux virages !

 

 

Sur les crêtes ...

 

 

Sophie et Veit, près du but

 

Le lendemain, la troupe se rassemble pour descendre de concert vers Ribeira Grande, ville côtière au nord-est. La montée était raide, la descente l’est tout autant, sur un chemin qui prend des airs d’escalier. Les paysages ressemblent à ceux de la Réunion, mais en plus aménagés car les terrasses semblent être parties à l’assaut de tout espace pouvant être potentiellement rendu plan, même si ce n’est que sur quelques mètres carrés. Parfois, c’est même incroyable car elles montent par petits triangles tutoyer les cimes. Santo Antao est une île très agricole : bananes, mangues, papayes, goyaves, café, ignames, maïs, pois, manioc, arbres à pain. Sans oublier la canne à sucre pour le grogue ! Le chemin longe de petites « levadas » qui acheminent l’eau dans des parcelles découpées en carrés, traverse des villages, croise des enfants qui demandent à se faire prendre en photo, certains juste pour le plaisir de se voir ensuite sur l’écran de l’appareil, d’autres pour un bonbon, un stylo, ou même de l’argent (dans ces cas-là on dit non, avec le sourire …), un monsieur qui nous montre les terrasses qu’il a aménagées dans le lit du cours d’eau pour cultiver. Arrivés au fond de la vallée qui s’élargit et où démarre une route, nous embarquons avec plaisir dans un aluguer jusqu’à Ribeira Grande. C’est une petite ville tranquille et colorée. Après la catchupa du soir, Sophie, Veit, Mar et Laure partent dormir à la belle étoile dans une plantation de bananiers à la sortie de la ville, et Philippe et moi « en bourgeois » dans une petite pension non officielle tenue par une vieille dame qui ne semble parler que créole et surtout ne comprendre que ce qu’elle veut avec un petit air canaille : elle empoche mon billet de 2000 escudos et ne semble pas disposée à m’en rendre 1000, le prix d’une nuit à deux. Je récupère mon billet après quelques tentatives d’explications infructueuses en « portugnol » (« una noite para dois », « dois noites ? », « no ! solamente una noite !, « dois mile ? », « no ! »), et nous allons le « craquer » en prenant un petit pontche dans un bar du coin. C’est plus simple !

 

 

"Tout droit" jusqu'à l'océan !

 

 

 

 

 

 

Après de bonnes nuits respectives, nous retrouvons Sophie et Veit sur le pont, pour prendre un aluguer jusqu’à Boca da Cruija, d’où part un sentier qui grimpe à un col pour dégringoler ensuite vers la mer sur l’autre versant. Ça c’est la théorie sur la carte, car les locaux nous avertissent que le sentier n’est plus pratiqué après le col, et qu’il est impossible de passer. Veit redemande encore : vraiment impossible ? Impossible !! Allons voir quand même … Effectivement, c’est un sentier qui n’est plus très pratiqué, un « sentier marron » comme à la Réunion. Mais il passe encore, des herbes folles l’envahissent, folles mais pas trop méchantes pour les jambes nues, il faut parfois chercher son chemin, le rebrousser, suivre la ravine, mais on finit par y arriver. Des maisons en ruine, quelques terrasses abandonnées, puis notre chemin buissonnier rejoint le sentier littoral qui longe la côte nord jusqu’à Ponta do Sol. Cette fois c’est le sentier officiel, large, pavé, bordé de murés, qui passe sous des falaises, descend presque les pieds dans l’eau, puis remonte vers de jolis villages comme Fontainhas, avant d’atteindre Ponta do Sol, qui doit son nom au fait que la ville reste toute la journée au soleil, sans être atteinte par les ombres des reliefs. Il ferait bon s’y arrêter, mais dommage on n’en a pas le temps, et nous sautons dans le premier aluguer qui nous dépose à Ribeira Grande où l’on retrouve Laure et Mar qui ont fait une orgie de langouste à Ponta do Sol.

 

 

 

 

Et voilà, après trois jours de trek superbes, c’est le chemin du retour à l’envers, aluguer jusqu’à Porto Novo et ferry du soir jusqu’à Mindelo. Nous avons tous été séduits par cette île, Sophie et Veit projettent même d’y retourner découvrir encore d’autres chemins.


01/02/2011
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Mindelo, São Vicente : dépaysement, rencontres et découvertes

Mindelo, São Vicente : dépaysement, rencontres et découvertes

 

 

 

Même si le bateau laisse plus de temps que l’avion pour se mettre dans le bain, et redonne de la dimension (au moins temporelle !) à la notion de voyage, l’arrivée dans un nouveau pays reste quand même un événement qui … dépayse ! Après tout, c’est bien ça qu’on est venu chercher, non ? La première impression de Mindelo quand on pointe un œil encore ensommeillé dans le cockpit ce mercredi 29 décembre à la matinée bien avancée, est une ville aux façades colorées sous le soleil, adossée à des reliefs, encadrée à gauche par le port de commerce, et à droite par de grandes citernes. Des pêcheurs rentrent, remorquant une barque. Le mouillage est bien garni, avec des voiliers de voyage de tous types, tailles, et standing : bois, acier, alu, sloop, ketch, goélette, pour la plupart équipés d’éolienne et de panneaux solaires. Mais pas de trace de Mougika, qui devait pourtant aller à Mindelo ? On espère qu’ils n’ont finalement pas opté pour Sal en pensant nous y retrouver …

 

Sahaya au mouillage à Mindelo

 

Nous profitons que notre voisin de devant quitte sa « place » pour nous rapprocher un peu du lieu de débarquement. Où est-il d’ailleurs ? Quels sont donc les us et coutumes du mouillage ? Où laisse-t-on l’annexe ? Nous allons rendre visite notre voisin de bateau le plus proche, Claude, un français qui s’apprête à traverser en solitaire jusqu’aux Antilles. Il nous donne quelques tuyaux, et nous allons ensemble à terre. Echange de bons procédés : on lui prête une place dans notre annexe, et il y met son moteur pour remplacer le nôtre qui a fait son caprice. Les formalités d’entrée sont vite faites, bateau et immigration. Puis c’est la recherche d’un Cyber Café pour remettre le pied dans notre civilisation de communication, et rassurer la famille sur notre sort : on est bien arrivés ! Aïe … à ¾ d’heure près, Laure, l’équipière du catamaran « Chamalou » qui est descendue au Cap Vert et nous attend pour faire le tour des îles, nous a laissé un mail disant qu’elle prend son billet d’avion pour nous rejoindre demain à Sal !! On lance un mail rapide : STOP ! Espérons qu’elle le verra à temps … Décidément, si Mougika et Laure se retrouvent à Sal et nous ici, on a tout loupé !

 

 

Jeudi 30 décembre, le téléphone sonne : c’est Laure ! Qui a bien reçu notre mail, et nous attend à la marina. Elle a pris son billet d’avion pour Sal, dommage, elle reste finalement pour embarquer avec nous quand nous irons visiter les autres îles. Ça fait maintenant un mois qu’elle est à Mindelo, logée chez son amie capverdienne Néousa, et elle nous indique quelques bons tuyaux. Là l’Alliance Française avec la Wifi, ici un bar qui sert du bon café, à droite le marché au poisson, dans la rue transversale les marchandes de fruits et légumes sur les trottoirs, et sous un grand arbre (un des rares de Mindelo), les quelques tables d’une cantine qui sert une bonne « cachupa », le plat typique du Cap Vert : préparée à base de maïs, lentilles, oignons, et servie surmontée d’un œuf le midi, et plus diluée pour ressembler à une soupe le soir. Nous nous installons sous l’ombre bienvenue et commandons donc bières et « cachupa ». C’est marrant de voir comment les lieux nouveaux deviennent vite habituels en bateau. Non que l’on soit blasés, ou que l’on ne regarde plus. Non, c’est plutôt que des repères se prennent vite. Il est vrai que Mindelo n’est pas bien grand non plus, mais on a déjà eu ces ressentis dans d’autres lieux dès lors qu’on y séjourne quelques jours. A Mindelo, un de nos « repères » favoris devient vite le restaurant « La Bodeguita de Mindelo », tenu par Bruno, un Guadeloupéen qui s’est installé au Cap Vert après y être venu en vacances. Sympa, et très bon cuisinier. Il nous fait goûter plusieurs rhums (ici on dit « grog ») de Santo Antao, et on lui commande une, enfin deux, et plutôt trois (faut c’qui faut pour la traversée de l’Atlantique !..) bouteilles de rhum vieux !

 

Où en étais-je déjà de notre première découverte de Mindelo ? Ah oui, la cachupa à l’ombre. A peine assis, nous nous faisons « brancher » par Sébastien, un « bateau-stopper » Belge qui cherche un embarquement pour le Brésil. Nous avons découvert ce monde des bateau-stopper à Las Palmas de Gran Canaria, là-bas c’était presque un défilé quotidien de gens plus ou moins allumés cherchant à embarquer à tout prix pour aller vers l’ouest. Ici à Mindelo, l’ambiance est plus sympathique, et une petite équipe de bateau-stopper fait la tournée des pontons : il y a Sébastien donc, et aussi Aurélie et Martin qui sont descendus d’un bateau skippé par un fou qui leur balançait des boîtes de conserve pendant ses crises de beuverie, Jeanne, une petite Belge qui veut aller au Brésil pour un projet sur l’agriculture biologique, Jean-François, un Suisse de 62 ans, hydrogéologue comme moi, qui a fermé son bureau d’études pour partir en voyage et vise le Brésil pour travailler la bossa à la guitare. Il est arrivé sur le bateau d’Eric, qui s’est dérouté sur le Cap Vert alors qu’il entamait la traversée de l’Atlantique parce qu’il était en train de perdre sa quille, un bateau tout neuf ! Autant de personnes, autant de personnalités et d’histoires et d’objectifs de voyage différents. Tous finiront par trouver un embarquement. D’ailleurs, nous prenons Jean-François comme équipier. Avec Laure, nous serons donc quatre.

 

L'annexe c'est facile ...

 

Il y a les équipiers, et aussi les solitaires, qui s’apprêtent à traverser l’Atlantique, Gérard, Michel, parfois sur de petits bateaux : Jade sur un 6,70 m, Bruno sur un 7,60 m. Chapeau …

Ces rencontres révèlent des « boucles relationnelles » qui feraient croire que le monde est petit, ou tout au moins rond : des amis ariégeois en commun avec Jade, Gérard que l’on avait rencontré à Sète aux puces nautiques, Jeanne qui est venue jusqu’ici sur le bateau qui n’avait pas attendu Philippe, notre premier équipier, aux Canaries, etc.

 

Jade, un des solitaires, sur son petit bateau

 

De grogue en cachupa, de balade en discussion, nous restons plus de 15 jours à Mindelo. Le mouillage est sûr, et Philippe a mouillé deux ancres et un bon peu de chaîne pour pouvoir affronter les rafales sans angoisser. C’est toujours l’alizé de nord-est qui souffle, mais toujours au moins à 20 nœuds, avec des risées qui peuvent atteindre 40 nœuds. D’ailleurs j’aimerais bien qu’il fasse une petite pause de temps en temps … Il lève un clapot qui nous rince dans l’annexe quand on va en ville !

 

15 jours, ça permet de prendre le rythme du pays, et ici, c’est plutôt tranquille. Les Capverdiens sont accueillants, et beaucoup parlent français. La moindre vendeuse de bazar chinois t’interroge d’un impeccable« voulez-vous un sac ? » sans accent, de quoi flanquer des complexes en langues étrangères … Le climat de l’hiver tropical est sympa : journée chaude sans trop, nuit fraiche, pas de moustique. Nous fêtons la nouvelle année à la mode capverdienne : un feu d’artifice est tiré près de la mer (et près de bâtiments aussi …) avec un système de sécurité qui donnerait des sueurs froides aux maires et préfets de chez nous (des policiers et des militaires, mais pas de camion de pompiers !). A minuit, les bateaux font retentir leurs sirènes, les gens se jettent à l’eau tout habillés, crient et chantent, et la chanson traditionnelle du Nouvel An passe en boucle dans les bars et dans les rues, en différentes versions, différentes interprétations, différents arrangements, où il est question de chevreaux passant à la casserole, de maïs tendre, et que c’est très chouette. Il paraît qu’elle tourne depuis un mois !! Que nous réserve cette année 2011 qui débute si loin de nos bases et de nos habitudes ?

 

Les 1er et 2 janvier tombant un week-end, la fête continue et l’alcool coule abondamment. Le dimanche matin, nous traversons une Mindelo endormie pour prendre un « aluguer », taxi collectif et moyen de transport le plus usité au Cap Vert, qui nous dépose à l’embranchement de la route qui monte au Monte Verde, le sommet de Sao Vicente à 774 m. Effectivement, il doit son nom au fait qu’il est plus verdoyant que le reste de l’île, très aride. Des cultures de maïs montent sur les pentes, et du sommet on voit toute l’île.

 

Mindelo vu de haut

 

En redescendant, nous faisons du stop pour aller jusqu’à la plage de Salamança, avec son village de pêcheurs. Pour redescendre sur Mindelo, nous embarquons dans un aluguer de type bétaillère, en compagnie d’une troupe de Capverdiennes éméchées et rigolardes faisant tourner une bouteille de grogue, et piloté par un chauffeur qui n’en est sûrement pas non plus à son premier pontch. A vrai dire, on serre un peu les fesses dans la grande descente qui se termine par un virage, mais bon ça va, ça passe !

 

 

 

 

A la descente de la bétaillère !

 

Nous irons aussi à la plage de San Pedro, et de là à pied jusqu’au phare que Philippe visite de fond en comble. Phare qui n’éclaire plus depuis des lustres sans doute, mais les lampes, les batteries et les supports de panneaux solaires sont encore en place. Le chemin passe sous le phare pour longer la mer, et des Capverdiens y sont installés, faisant griller poissons et pommes de terre. Nous les dépassons pour continuer le chemin qui finit quelques mètres plus loin devant l’entrée d’une petite grotte. Philippe plonge car c’est un des rares endroits sans remous. Je l’attends sur le bord, pas très à l’aise d’être dans un cul de sac, donc vulnérable ?… Depuis qu’on s’est fait agresser par un voyou lors d’une balade sur les crêtes au-dessus de Mindelo (on lui a lâché un sac à dos sous la menace de pavés et d’un couteau), une sourde appréhension s’est installée qui est longue à passer, comme un mauvais goût tenace. On a beau se dire que l’on n’a sans doute pas eu de chance et que ça reste un cas isolé, une petite méfiance demeure, qui revient comme une mouche que l’on chasse. Alors là, s’ils viennent en bande, hein, on est coincés ?? Hé non évidemment, ces Capverdiens étaient très tranquilles, comme la très grande majorité. Venus de Mindelo pour passer le week-end en famille, pour pêcher et manger du poisson grillé près des falaises, face à la mer, ils viennent nous faire signe quand ils partent, et on se retrouvera dans le même aluguer de retour après avoir tenté le stop sans succès.

 

 

 

 

 

Retour vers San Pedro

 

Les journées passent vite, même si (ou parce que ?) le rythme est tranquille. Des événements les ponctuent, en voici quelques uns :

A la suite d’un contact établi par Jean-François avec un ancien maire de Mindelo, la visite de son projet de poulailler industriel qui nous laisse songeurs … Une usine à poules (30 000 œufs par jour !), réplique de ce que l’on fait de pire dans nos pays dits civilisés. Certes le Cap Vert importe des œufs (de batterie déjà sans aucun doute), et là il importerait de la farine pour les poules. Ce qui coûterait moins cher apparemment. Mais voilà, où et comment est fabriquée la farine, peut-être avec du soja poussé au Brésil sur les cendres de la forêt amazonienne sacrifiée ? Pas simple cette mondialisation, n’y aurait-il pas des moyens pour considérer le problème de façon plus holistique, nourrir les poules sur place ? Peut-être que l’on arrive avec nos belles notions d’Occidentaux alors que le Cap Vert est pauvre et produit peu, mais quand même, voir reproduire ici ce que le capitalisme a engendré de pire chez nous fait un peu mal au cœur …

 

Et des arrivées aussi ! Un matin nous avons la surprise de voir Moemoea, le bateau de nos amis Sophie et Veit, au mouillage de Mindelo. Ils ont traversé en 9 jours depuis Gran Canaria, avec leur amie espagnole Mar. Nous partirons ensemble le surlendemain pour 3 jours de trek à Santo Antao. Un autre soir, c’est le jaune Mougika d’Anne et Sébastien qui est là aussi. Ils étaient bien arrivés à Sal, pensant nous y trouver. Et une arrivée d’un autre genre : le 60 pieds « Président » (du mauvais camembert), de Jean Le Cam, qui a démâté pendant la Barcelona Race, et est arrivé tout nu (le bateau) à la marina de Mindelo. Il devrait rentrer en France sur un cargo, dérouté pour l’occasion.

 

Un camembert ... coulant (ou presque !)

 

Et enfin, nous nous lançons dans un gros avitaillement, complément d’épicerie, bouteilles d’eau, fruits et légumes frais, en prévision de la visite des autres îles du Cap Vert qui seront a priori moins achalandées, et de la traversée vers le Brésil. Pour les fruits et légumes, le choix n’est pas immense, et les prix sont assez élevés, de l’ordre de ce que l’on pourrait trouver en France. Les bananes viennent du Cap Vert, oranges, pommes, et poires sont importées. Côté légumes, on trouve pommes de terre, tomates, concombres, de grosses courges, de petits poivrons, des choux aussi, bien pratiques pour les salades sur le long terme. Pas si facile d’estimer les proportions pour 4 personnes, et on ne peut pas non plus emporter trop de choses qui risquent de périmer. Quelques précautions pour ne pas embarquer de bestioles indésirables sur le bateau (du genre cafards, argh ! je n’aime vraiment pas ces bêtes là !) : on rince les fruits et légumes et on les fait sécher avant de les ranger à l’intérieur.

 

Le marché

 

Faut que tout rentre !

 

Il faut aussi faire le plein d’eau et de gasoil à la marina. Tout ça nous occupe les deux derniers jours, et nous quittons Mindelo le samedi 15 janvier 2011 dans la matinée, en direction de Santa Luzia, île déserte à 25 miles au sud-est de Sao Vicente.

 

Eric, et Sophie qui arrive en kayak

 


31/01/2011
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Noël, houle et alizés

Noël, houle et alizés

 

 

Mardi 21 décembre, un peu plus de 17h, cette fois-ci c’est parti, nous quittons Las Palmas de Gran Canaria, pas loin derrière le jaune Mougika d’Anne et Sébastien, avec qui nous avons sympathisé pendant notre séjour. Ils visent Mindelo, sur l’île de Sao Vicente, et nous l’île de Sal, la plus proche de Gran Canaria à l’extrémité nord-est de l’archipel du Cap Vert. Au début, peu de vent à l’abri sous le vent de l’île, puis ça monte doucement, 20 nœuds d’ouest,. Nous restons en contact avec Mougika sur le canal 72 de la VHF. Ça nous permet d’entendre l’avertissement d’un bateau français qui fait demi-tour car il a cassé une prise de ris en prenant plus de 30 nœuds de vent une fois passée la pointe de Gran Canaria. Prudence donc … Nous dînons tôt pendant que c’est encore tranquille ! Effectivement, dès que nous ne sommes plus sous la protection de l’île, le vent forcit rapidement, accompagné par la houle. 30 nœuds nous annonce l’anémomètre avant de se mettre en carafe (en fait juste un faux contact vite réparé), mais Philippe pense plutôt que ça frise les 40. Réduisons la voilure ! Un ris puis deux dans la grand-voile, un ris dans l’artimon, et quelques tours de vis au génois, voilà qui est mieux. Les conditions empirent dans la nuit, les plus rudes que nous ayons connues avec ce bateau. La mer est forte, le bateau fait des bonds à 8 nœuds sur les vagues, sensations d’envol et moments d’apesanteur, de grands claques d’eau de mer balayent le pont et viennent aussi rincer le cockpit, nous nous calfeutrons à l’intérieur. Merci Eliot ! (Eliot c’est le pilote). Tout ce qui devait tomber est par terre : les bouquins, la bouilloire volent, le bar s’ouvre, un tiroir à couverts sort prendre l’air. La barre antiroulis de la cabine tribord (qui nous sert de « fourre-tout ») tombe, et le flot se déverse : fringues, guitares, banjo, sacs à dos atterrissent dans le couloir. Quel chantier en peu de temps ! Le chantier, ça l’est aussi très vite dans mon estomac de terrienne. Ah misère ! Pourquoi faut-il que les navigations démarrent toujours plein pot ???

 

Mercredi 22 décembre, le vent faiblit un peu dans la matinée, on est encore pas mal secoués, mais un peu moins que la veille. Il ne fait pas bien chaud, les pantalons restent de rigueur. Pendant la nuit, le vent tombe, mais la houle est toujours là. Pour ne pas jouer trop les pruniers, Philippe veut démarrer le moteur, mais le coco nous refait les mêmes symptômes que pendant la traversée d’Ibiza vers l’Espagne : poussif à l’allumage, puis l’alarme de pression d’huile qui sonne : trop faible. Rebelote, de l’eau de mer est entrée dans l’huile, il faut vidanger, et faire, avec la houle, de délicates manœuvres de transvasement de près de 8 litres de mayonnaise grise dans des bouteilles que nous jetterons à la mer ensuite. Mais naaaan ! Alors, si y’a plus moyen de plaisanter … On n’a jeté que l’huile …

Un filtre à huile neuf, et le moteur repart, ouf … Mais il faudra quand même comprendre d’où vient le problème. On a déjà déplacé le waterlock, alors ? Peut-être la pompe à eau de mer qui se retrouve très basse à la gîte sur bâbord? Dans le doute, nous fermons maintenant la vanne dès l’arrêt du moteur.

 

 

Jeudi 23, matinée avec du vent de nord-est, on avance bien, à 6 nœuds de moyenne, sur une houle croisée. L’après-midi, il vire au sud-est, la houle se calme, et la voix chaude de Marcio Faraco investit le cockpit. Philippe l’accompagne à la guitare histoire de se préparer à la bossa. Plus on descend, plus il fait froid ! La nuit est tranquille, au moteur, sous la lune qui décroit doucement. Philippe voit des dauphins pendant son quart, moi deux cargos, chacun son truc !

 

 

Vendredi 24, temps nuageux et toujours pas très chaud. Le vent souffle de l’est, faible. Du nord-est est annoncé, alors on l’attend … Journée au moteur, nous avons parcouru un tiers du trajet. Quelques globicéphales passent nonchalamment. Philippe installe la ligne de traîne avec le poulpe vert et jaune acheté à Las Palmas, LE leurre auquel les daurades ne peuvent pas résister ! Ça ne fait jamais que trois jours que nous sommes en mer, et j’ai déjà presque perdu la notion du temps. Je prends maintenant quelques notes chaque jour, sinon la mémoire se laisse embrumer par ces journées si particulières et si ressemblantes à la fois. J’ai du mal à m’imaginer que c’est la veillée de Noël ce soir, que les neveu et nièces vont tout excités mettre leurs chaussons devant le sapin. Déjà, nous n’étions pas trop dans le coup à Las Palmas, tout surpris devant les décors et les dorures, les sempiternels Pères-Noël « made in China » escaladeurs de balcons, l’effervescence des achats dans les magasins, alors que nous nous promenions en t-shirt et qu’en France la neige bloque les routes ! Bon ce soir quand même, douche chaude, on se fait beau pour le Réveillon ! Les daurades doivent aussi réveillonner quelque part, aucune ne mord au joli piège qu’on a tendu. Pâtes au saumon fumé alors pour ce petit repas à deux sous les étoiles, sous les bons hospices d’Orion. Philippe a commandé du bon vent au Papa Noël, moi un peu de paix intérieure pour faire des choix, ou l’inverse, nous verrons bien si nous sommes exaucés ! Joyeux Noël !

 

Joyeux Noël !

 

Samedi 25 décembre, le vœu de Philippe a été exaucé pendant la nuit : l’alizé de nord-est, le fameux, le presque mythique depuis le temps qu’on nous en parle et qu’on l’a lu dans les livres et qu’on n’a encore jamais vu, se lève, oscillant entre 15 et 20 nœuds. Il ne nous lâchera plus jusqu’à la fin de la traversée. Par contre, y’a eu un cadeau annexe : la houle de Noël ! Les boules !! Qui ne nous lâchera pas non plus, une grosse houle de nord-ouest, certes assez longue, mais qui conjuguée à la courte mer du vent de nord-est, crée une mer fort désorganisée et très pénible. Le bateau passe sans cesse d’un bord sur l’autre, c’est aussi confortable qu’un séjour en lessiveuse. Hélas, ça risque de durer, et on n’a peut-être pas encore tout vu, car les météos marines de Monaco Radio et de RFI annoncent en chœur une mer forte par houle croisée de nord-ouest dans le secteur du Cap Blanc. Ça promet … Pour l’instant, ce n’est pas encore mer forte, mais plutôt du n’importe quoi, encore pire qu’en Méditerranée, c’est dire !

Nous en sommes presque au dessert quand l’élastique qui retient la ligne de traîne se tend. Notre premier poisson ! Notre première daurade coryphène !! Branle-bas de combat ! Une petitoune, parfaite pour le repas de ce soir. Parfaite et de taille pédagogique pour les deux néophytes que nous sommes qui ont tout à apprendre : la sortir de l’eau, la tuer vite et bien, la découper proprement. Quel joli poisson, jaune-vert fluo, elle perd ses vives couleurs et vire presque instantanément au gris quand on la sort de l’eau. Elle semble étonnée de ce qui lui arrive, le poulpe dépassant de la gueule, elle s’est attaquée à gros par rapport à sa taille. Merci daurade de t’être sacrifiée pour nous, cadeau de Noël de la mer dans son habit doré …

Philippe tangonne le génois que la houle chaotique dégonfle régulièrement. Eliot a un peu de mal, se laisse embarquer au lof, et le bateau fait des embardées de 30 degrés. Emilienne (l’éolienne) bosse bien, les frères Norbert (les panneaux solaires) un peu moins avec les nuages. Fin du quatrième jour de mer, et la moitié du chemin est parcourue. Le temps distendu du début a pris une nouvelle dimension adaptée à celle du bateau, où les heures cessent de défiler follement. Ça me rassure de voir que je finis par m’amariner, au bout de quelques jours de mer, la vie est presque « normale », enfin, dans la limite des lois de l’équilibre ! Quand j’essayais de m’imaginer ce que pourraient être les sensations en longue traversée, je me demandais si je n’allais pas me sentir « perdue » voire angoissée d’être sur une coque de noix cernée d’eau de toutes parts, sans ligne d’horizon salvatrice. Et puis finalement non, je ne me sens pas perdue en mer. Le GPS et la cartographie doivent sans doute y être pour quelque chose (et aussi les conditions de mer qui n’ont jamais été dantesques non plus !), mais il y a aussi le mouvement du soleil, le ciel renouvelé chaque nuit avec les étoiles qui servent de repère. Et puis aussi la confiance dans le bateau qui trace sa route sans faiblir.

 

Notre daurade pédagogique

 

Filets mignons

 

La nuit se passe sans problème, comme les suivantes, un cargo au loin, 6 à 7 nœuds de moyenne, il est juste de plus en plus difficile de se lever pour prendre son quart avec la fatigue qui s’accumule. C’est marrant de faire le quart derrière Philippe et de repérer tous les petits « nids » qu’il s’est confectionnés sans trouver apparemment le lieu de repos, pardon, de veille, idéal : la toile derrière la table à carte, le transat dans le cockpit, le coussin sur les bancs.

 

Comme un papillon prenant le vent dans ses ailes

 

Dimanche 26 décembre, la houle de nord-ouest est là et bien là … Houle croisée, creux de 3-4 m, mer forte, ça bouge pas mal. Journée à l’humeur morose, coups de blues, ennui, angoisses. Fatigue ? Pourtant le bateau marche bien, l’alizé nous porte et c’est heureux qu’il ne nous abandonne pas dans cette mer hachée ! Moments où le voyage me paraît une évidence, une aventure à vivre à pleines dents en acceptant la liberté et son pendant, une certaine précarité. Et cinq minutes après, patatra, ce voyage me semble une folie où je ne suis pas sûre de trouver le compte de plaisir et de sérénité, et tous ces « sacrifices » et et et … Allez, rideau pour aujourd’hui.

 

Lundi 27, sixième jour de mer, avec un peu moins de vent, mais toujours cette foutue houle croisée qui fait rouler le bateau sans arrêt. Il commence seulement à faire plus chaud, et nous nous payons un après-midi de bronzette sur le pont, le premier ! Un paille en queue vient survoler le bateau, bel oiseau à ventre blanc, et dos gris clair, au bec orangé. On voit aussi des oiseaux blancs et noirs que je pense être des pétrels glisser élégamment au-dessus des vagues. Et des poissons volants sauter hors de l’eau en escadrilles argentées. Pendant la nuit, on empanne le génois et la grand-voile. Avec la houle, le tangon se décroche et on se dépêche d’aller le récupérer avant qu’il ne casse tout sur le pont. Un petit calamar sauteur est en train d’y sécher, on le remet à l’eau sans présumer de ses chances de survie …

 

Horizon houleux

 

Cuisine sommaire ...

 

Mardi 28 décembre, le vent faiblit toujours, 15 nœuds, mais la mer reste forte avec la houle croisée, les voiles font peine à claquer dans le roulis, dommage sinon ça glisserait tout seul ! On a finalement décidé de viser Mindelo sur l’île de Sao Vicente, car on a un peu peur que les mouillages de Sal soient exposés à la houle de nord-ouest. Ça rallonge la route d’une soixantaine de miles. Dans l’après-midi, je prépare le drapeau de courtoisie capverdien, ça devient presque un rituel ! Les silhouettes des îles du Cap Vert sortent de la ligne d’horizon à la fin de la journée, le GPS ne s’est pas trompé ! On aperçoit Sao Nicolau, Sao Vicente, et Santo Antao, mais nous n’y sommes pas encore. On ne coupera pas à une arrivée de nuit, mais normalement l’entrée dans Mindelo ne doit pas trop poser de problème, surtout avec nos moyens de navigation modernes. Il ne faut d’ailleurs pas trop compter sur les feux, présents sur la carte et qui ne brillent … que par leur absence !

 

Mercredi 29, tout petit matin, Sahaya pointe son nez dans le canal entre les îles, Sao Vicente sur bâbord, et Santo Antao sur tribord. Il est réputé pour son effet « vent tu ris », et comme on ne rigole pas avec ça, on ne garde que le génois et le moteur pour l’approche. On a un peu de mal à repérer le caillou « Ilhéu dos Passaros » qui garde l’entrée de Mindelo, ce cerbère pointu se cachant dans les ombres des reliefs plus lointains. Ça y est, repéré, on le contourne bien large par l’ouest, une petite barque de pêche éclairée est ancrée à l’abri sous son vent. Après, il faut essayer de déchiffrer les ombres et lumières de la ville, éviter les cargos non éclairés au mouillage ou dans un état d’échouage plus ou moins avancé, et finalement repérer les autres voiliers au mouillage une fois qu’on a quasiment l’étrave dessus ! 40 m de chaîne plus tard sur 4 m de fond, nous voilà bien ancrés à Mindelo, au calme, tous les deux en même temps dans un même lit … à plat ! Quel bonheur ! Il est 5 heures du matin ici, extinction des feux (de nav’) ! Avant de tomber rapidement dans les bras accueillants de Morphée, nous réalisons quand même que cette fois, ça y est, nous avons quitté l’Occident. Un cap est franchi …


11/01/2011
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