Quelques jours de vie à Tantum

Quelques jours de vie à Tantum …

 

 

« Comment tou t’appelles ? » La petite voix s’élève sur ma gauche. Ce vendredi 25 février, je suis montée seule au village de Tantum, pour prendre l’aluguer de 11 heures, celui qui emmène les enfants à l’école à Nossa Senhora do Monté. Je retourne en ville, à Nova Sintra, essayer, en étant seule, de prendre enfin du recul et une décision concernant le poste qui m’est proposé en Inde. J’arrive sur la petite place ronde d’où part l’aluguer un peu en avance, et je vise un petit coin d’ombre bienvenu, sur les marches de l’église, pour attendre. Une petite troupe d’enfants joue sur la route. Quand j’arrive, ils arrêtent net leurs jeux et viennent s’asseoir à côté et derrière moi sur les marches. Mince, c’est moi l’attraction ! Ils discutent entre eux à voix basse, puis l’attraction retombe, et ils repartent petit à petit reprendre le cours interrompu de leurs occupations. Seule une petite fille est restée assise sur ma gauche, et c’est elle qui surmonte sa timidité et engage la conversation :

-          Comment tu t’appelles ?

-          Nathalie. E tu como te chamas ?

-          Tatiana.

 

La suite se poursuit en espagnol pour moi, en portugais pour elle, mais nous arrivons à nous comprendre. Elle a 8 ans, et pose plein de questions. Sur quel bateau je suis, le jaune ? Non, le blanc. Un peu plus tard arrive Claudia, la fille d’Antonio et Idalina, qui vient me saluer avec un grand sourire. Elle a 13 ans, et veut aller faire des études de médecine au Brésil. Elle fronce un peu les sourcils pour préparer sa phrase : Domingo … Dimanche, elle aimerait bien visiter le bateau. D’accord ! D’autres enfants arrivent, en uniforme d’écoliers, apparemment jupe grise pour les filles, pantalon gris pour les garçons, et chemise blanche au-dessus de t-shirts bariolés. L’aluguer tarde un peu à venir, et un jeu de l’élastique s’organise, filles et garçons mélangés. Je dis à Claudia que j’y ai aussi beaucoup joué quand j’étais petite. Ah ça y est, le pick-up fatigué arrive, talonné par un nuage de poussière. Les enfants montent, je suis la seule adulte de la fournée, assise à côté de Claudia, qui enlève spontanément une petite feuille accrochée à mes cheveux. Ces gens sont vraiment attentionnés, et ont le contact physique, tactile même, facile et spontané. Veit raconte qu’à Santo Antao, une femme assise à côté de lui dans l’aluguer lui épluchait tranquillement les brindilles qui étaient prises dans les poils de ses jambes après une randonnée dans les broussailles, mais très spontanément, et sans arrière-pensée ! En route, on croise une voiture de policiers, et hop ! les enfants assis sur le rebord de l’aluguer redescendent d’un cran s’assoir à l’intérieur de la remorque sur le banc de bois. Ce doit être un point sur lequel la maréchaussée est regardante … plus que sur les pneus archi lisses du pick-up ! Arrivée à Nova Sintra, je passe du temps sur Internet, au téléphone, … et repart avec l’aluguer de 16 heures sans avoir été capable de prendre une décision …

 

L'aluguer de 11h, celui des écoliers

 

J’y retourne donc le lendemain samedi, cette fois avec l’aluguer de midi, parmi les femmes de pêcheurs de Tantum qui vont vendre leurs poissons. L’expression « marchande de poissons » prend tout son sens quand on traverse les villages : leurs voix arrivent sur les lieux bien avant l’aluguer ! Cette fois, assise sous l’ombre des arbres de la place principale de Nova Sintra d’où l’on capte une Wifi gratuite mais capricieuse, heureusement aujourd’hui de bonne composition, j’ai fait une réponse « Oui, avec réserve … » pour le poste indien. Avant de remonter dans le dernier aluguer pour Tantum, je fais les pleins de produits frais pour la traversée : tomates vertes, choux, carottes, oranges, bananes.

 

Il est frais mon poisson, il est frais !

 

Le "stock" d'une "mercearia"

 

Je me régale à partager un peu cette vie quotidienne des gens de Brava, même si bien sûr mes petites occupations me laissent sur un chemin parallèle. Mais quand même, en venant ainsi plusieurs jours de suite, je revois les mêmes têtes, et les « bom dia », les « boa tarde », et les sourires semblent plus familiers. Dans le flot du créole qui coule sans éveiller la moindre lueur de comprenette, quelques mots quelquefois accrochent l’oreille : Francès, barco, habla poco de español, tiens, on doit parler de moi ! En quelques jours, ce sont les petits « rituels » quotidiens du voyage en aluguer qui deviennent presque une habitude : l’arrêt à la station service pour remplir les bidons d’essence pour les moteurs des barques de pêche, les femmes qui en profitent pour laver leurs bassines de poissons au point d’eau, l’arrêt au mini-mercado pour les courses, au poste de gaz sur la route pour les échanges de bouteilles, etc. Au gré des demandes, « Pépé » le chauffeur de ces dames, fait des arrêts, charge ou décharge des sacs, aide les femmes enceintes à monter dans sa carriole, fait un stop devant un genre de hangar où des piles de frusques (un arrivage ?) débordent de grandes caisses dans lesquelles les passagères partent farfouiller à la recherche de leur bonheur. Bref, le temps de retour est fluctuant ! Minimum une heure, et jusqu’à une bonne heure et demi.

 

Pendant ce temps, Sophie, monitrice d’apnée, a initié Philippe à la chasse sous-marine. C’est le moment d’étrenner notre fusil « made in China » de chez D. acheté avant le départ, qui fait bien rigoler les poissons ! Philippe tire par deux fois et la flèche ne se plante même pas, le poisson prend juste un air surpris sous le choc « qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? ». Puis Sophie prête son fusil de compétition, et Philippe fait ses deux premières touches … dont je n’aurai que ouïe dire, car il les aura consommées le midi même. Bon, il faudra changer l’élastique de l’arbalète, car il n’est pas assez puissant.

 

Le résultat de la chasse ...

 

Une brochette d'un autre genre !

 

Vers 18 heures, me voilà de retour sur la petite plage de galets de Tantum avec mes sacs. Dans la descente, j’ai rencontré un journaliste qui fait un reportage pour le compte d’une compagnie aérienne. Brava est le sujet de la prochaine revue touristique laissée dans les avions, pour promouvoir le tourisme sur l’île. Il parle très bien français, me pose des questions, qu’est-ce que je pense de l’île, prend même des photos pour me citer. Peut-être que Sahaya et Moemoea au mouillage, se baladeront quelques temps dans les airs entre Europe et Cap Vert (en espérant que ce petit coin de paradis ne soit pas connu de trop de monde non plus).

Antonio est sur la plage, il me donne des poissons, trois petits mérous, et nous invite tous « après-demain » (dit en français), dimanche midi donc, à une catchupa sur la plage avec sa famille. Gentiment, des pêcheurs sont prêts à mettre leur barque à l’eau pour me ramener au bateau, mais Philippe m’a vue et vient me récupérer avec l’annexe.

 

 

Voilà une semaine maintenant que nous sommes à Brava, à faire un peu partie de la vie du village de Tantum. En une semaine, nous avons établi plus de contacts avec les gens du cru qu’en plus d’un mois passé à Mindelo. De tout notre séjour au Cap Vert, ce sont ces quelques jours qui nous aident le plus à mieux connaître les Capverdiens, en tout cas ceux de Brava. D’une grande générosité, ils veulent toujours nous donner quelque chose, et sans demander de retour, bien au contraire. Une fois, lors d’un arrêt de l’aluguer, un capverdien bien imbibé de grogue était venu nous demander de l’argent, et on a compris qu’il se faisait vertement enguirlander par les autres.

Bien sûr, il y aurait un peu de travail d’éducation à l’environnement à faire dans ce village isolé. Les pêcheurs semblent rapporter un peu tout ce qui s’accroche à leurs lignes ou leurs filets, et des mérous qui ne font pas vraiment la maille finissent en friture sans avoir eu le temps de laisser de descendance … Et, sans doute que comme à la Réunion, les emballages non périssables sont arrivés en masse sans la notice d’accompagnement sur leur élimination. Le « point vert » ici est le bord de la falaise à l’orée du village, où s’y pratique un tri sélectif sur le mode gravitaire : d’abord le verre, puis le plastique … Il faut dire aussi qu’on n’a pas vu de poubelles, c’est sûr que si rien n’est organisé au niveau communal, les gens ne sont guère encouragés à mieux gérer leurs déchets. Espérons que cela viendra. Cela dit, les décharges à ciel ouvert n’ont pas disparu depuis si longtemps chez nous …

 

 

Le dimanche midi, la plage manque d’activité sans ses habituels pêcheurs, et pas de trace d’Antonio et de sa famille et de la catchupa. Nous attendons jusqu’en début d’après-midi, puis nous montons au village avec Sophie et Veit, et un premier lot de bouteilles vides que nous remplirons demain au point d’eau du village. La maison d’Antonio est fermée, son voisin nous dit qu’il est au village voisin, et nous laissons nos bouteilles devant sa porte pour partir en balade vers la vallée voisine de Ferreiro. Des gamins s’improvisent comme nos guides, nous suivons une lévada qui domine la vallée, jusqu’à ce que la falaise ait tendance à nous repousser de l’épaule vers le vide. Heureusement, les gamins se sont arrêtés avant, en se faisant gronder depuis le village de ne pas suivre ces fous de blancs sur cette partie qui doit leur être interdite ! On les retrouve un peu plus bas, puis ils délaissent notre trace quand nous continuons de descendre vers Ferreiro. Il y a paraît-il dans la forêt de cette vallée de petits singes, que nous aimerions bien apercevoir. On demande à un jeune homme au seuil de sa maison entourée de terrasses, mais nous n’arrivons pas à nous faire comprendre, il ne comprend « singe » ni en français, ni en anglais, ni en espagnol, et on ne connaît pas la traduction en portugais. Puis Philippe se lance dans une imitation son et lumière qui doit être convaincante car le regard du gars s’éclaire de suite : « macaques » ! Mais peu de chances de les voir en ce moment, ils séjournent plus haut en montagne, et descendent dans la vallée se régaler de mangues quand elles sont mûres. Encore quelques mois alors, car les plantureux manguiers ne portent encore qu’une myriade de petits fruits verts.

 

Nos éclaireurs ...

 

 

Chemin interdit aux enfants !

 

Sophie et Veit pensent découvrir un petit paradis qui pourrait bien leur convenir comme pied à terre : une jolie maison dans la vallée, entourée de manguiers, avec une source d’eau claire dont le propriétaire nous dit qu’elle coule toute l’année.

Au retour, nous nous arrêtons à une maison entourée d’un grand jardin bien garni, Sophie et Veit veulent se renseigner pour venir y acheter les légumes en direct. Et c’est une rencontre inattendue avec Miguel, végétalien, chrétien fervent à tendance écologiste, qui nous entretient sur la santé, les pollutions, le respect de la nature et de la vie, de livres référence à lire. Des gens ayant une vie simple et très modeste vivant de très peu mais doués d’une belle conscience mise en pratique au quotidien et rayonnant d’une sérénité communicative. Une belle leçon pour nous … Il nous fait une démonstration de la préparation des brèdes (feuille) de choux, et nous offre plus de légumes qu’on ne lui en achète : salades fraîches cueillies, aubergines, patates douces, de quoi se régaler de frais et de bio (sans étiquette !).

 

La douche des filles

 

Presse à canne à sucre

 

Chez Miguel

 

Miguel a sorti sa bibliothèque de référence

 

Lundi 28 février, nous avons décidé de décoller demain matin pour la Transat. Il nous reste le plein d’eau à faire, nous chargeons les sacs à dos de bidons de 5 litres vides pour monter les remplir au village. Antonio nous accueille sur la plage : hier, ils ont eu un empêchement, alors la catchupa est pour ce midi, Idalina est déjà en train de la préparer : maïs, courge, carottes, et poisson attendent de rejoindre une gamelle posée sur un feu de bois. En attendant, nous faisons un aller-retour avec nos bidons, que nos petits guides de randonnée d’hier se chargent de remplir au point d’eau du village. Au moment de payer (ce n’est que quelques escudos pour 5 litres, mais je trouve ça bien, même avec un prix symbolique, ça oblige les gens à respecter l’eau), la dame qui gère la fontaine fait un geste avec un sourire : cadeau ! On comprend que nous sommes connus comme les amis d’Antonio … qui a rempli, payé, et descendu jusqu’à la plage, les bouteilles que l’on avait laissées la veille devant chez lui ! Là encore, on est confondus devant tant d’attentions ! Nous redescendons avec notre lest. La catchupa d’Idalina est très bonne, Sophie et moi avons apporté chacune un gâteau fait bateau, et Philippe a imprimé quelques photos que nous avons prises d’eux, ce qui semble leur faire plaisir. Pas si facile d’arriver à leur donner quelque chose !

 

Idalina (en rouge) démarre la préparation de la catchupa

 

Le remplissage des bidons au point d'eau communal

 

Catchupa d'au-revoir

 

Après la catchupa, Philippe et moi rejoignons à pied le village de Nossa Senhora do Monte au col pour un dernier chargement des fichiers météo « grib » à 7 jours d’échéance au Cyber Café, hé oui nous ne possédons pas le coûteux Iridium (téléphone satellitaire), puis l’envoi d’un ou deux textos « on part demain ! », puis nous redescendons sur Tantum en courant pour nous défouler avant la traversée. Arrivés devant l’école, les enfants qui en sortent nous emboîtent le pas de course, et nous faisons donc une entrée discrète au village, à la tête d’une petite et souriante équipe d’athlétisme qui cavale cartables au dos !

 

Philippe en entraîneur de choc !

 

De retour sur la plage, Antonio et Idalina y sont encore, nous les soupçonnons de nous avoir attendus pour nous dire au revoir. Idalina a la larme à l’œil, « Sodade » dit-elle la main sur le cœur. Nous aussi avons le cœur un peu serré. Pourtant, peu de paroles ont finalement été échangées entre nous, déjà à cause de la langue, de la timidité peut-être de leur part. Ils nous posent finalement peu de questions, beaucoup moins que nous ! Mais c’est une amitié quand même qui s’est tissée, avec ces moments et ces attentions partagés.

 

Dans la nuit étoilée et sans parasite lumineux de Tantum, des bancs de poissons frétillent en surface, sautent et retombent dans un bruit de pluie d’orage. Qui chasse, qui est chassé ? Difficile de le savoir. C’est un jeu de la vie et de la mort qui fait des étincelles avec le plancton phosphorescent agité par leurs ébats. Est-ce que, comme en plein jour, de petits poissons nagent plusieurs mètres sortis de l’eau, dressés à la verticale sur leur queue, pour tenter d’échapper à quelque prédateur qui a jeté son dévolu sur eux ? La nuit garde le secret. Nous prenons un maté chez Sophie et Veit. Eux pensent partir pour la transat dans la semaine, quelques jours après nous. Ils savourent encore quelques jours à Brava, la sauvage, et l’authentique.

 

Nous regagnons le bateau pour une dernière nuit dans ce mouillage, le plus chaleureux que nous ayons fait au Cap Vert.



26/03/2011
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