Açores 2012


São Miguel, Gordon et Archipels

São Miguel, Gordon et Archipels

 

Samedi 11 août 2012 : il est 21 heures quand nous quittons la marina de Angra do Heroismo. L’île de Terceira se dessine en contre-jour, dans un ciel limpide. 95 miles nous séparent de la marina de Ponta Delgada, sur l’île de São Miguel. A une quarantaine de miles, nous passons à proximité du Banco do João do Castro, un volcan sous-marin qui est aussi un site de plongée réputé, le sommet du volcan est quand même à 12 mètres de profondeur.

 

Départ de Terceira

 

Après une navigation agréable, nous arrivons le dimanche 12 août en début d’après-midi à la marina. Marina incroyablement grande et au moins aux deux tiers vide. Drôle d’ambiance que ces pontons clairsemés, devant une Ponta Delgada qui ne montre pas son meilleur profil en bord de mer : grands hôtels, bâtiments modernes à l’architecture cubiste. Il faut passer derrière la façade pour retrouver un centre plus historique et plus sympathique. Après quatre îles des Açores à notre actif, São Miguel fait pour nous figure de continent, et Ponta Delgada est à l’échelle : c’est une grande ville, avec son lot de grandes surfaces, comme il se doit.

 

Ponta Delgada et sa marina

 

Une enseigne bien connue appartenant à une dynastie familiale se targuant d'un "gentil capitalisme paternaliste, à l'ancienne" ... (cf. l'émission de Mermet du 24/09/2012)

 

Fresque près du port de pêche

 

Un ficus majestueux dans le Jardim Antonio Borges

 

São Miguel est la plus grande île des Açores, 65 km de long, sur une quinzaine de large, une forme légèrement incurvée. Elle est un peu grande pour être visitée en vélo, alors nous louons notre désormais habituel scooter pour l’explorer. Nous nous baladerons aussi avec Isabel, qui travaille à l'accueil de la marina, et nous embarque un soir après son travail pour aller du côté de Sete Cidades. L'île nous apparaît comme un curieux mélange, présentant à la fois la campagne la plus « abîmée », avec de la culture de maïs en quasi-monopole, et des fermes intensives où des vaches à lait pataugent dans la gadoue de prés trop petits pour leur nombre, et à la fois les paysages les plus somptueux : de grands lacs, des sommets, des cascades, et des phénomènes volcaniques qui s’expriment en sources chaudes, fumerolles, caldeiras bouillonnantes. Et qui sont exploités pour la géothermie, avec des forages d’où partent des kilomètres de canalisations qui descendent de la montagne.

 

Balade avec Isabel, qui travaille à la marina

 

"Lagoa Azul" et "Lagoa Verde" à Sete Cidades

 

A Caloura, joli petit port

 

Piscine naturelle avec arrivée d'eau thermale à Ponta da Ferraria

 

 

Reprise de contact avec le rocher ...

 

... le plus "pourri" de tout l'Ouest !

 

Un rocher qui s'effrite et part en brioche ... Mais pourquoi avoir équipé un site ici ??

 

Usine géothermique près du lac de Fogo

 

Caldeiras à Furnas, ça bouillonne et ça sent le soufre

 

 

Les gens viennent rechercher leur "caldeirada" : un plat qui aura mijoté pendant 6 à 8 heures au feu doux d'un four creusé à même la terre

 

Cuisine intégrée ...

 

Un numéro par marmite enterrée pour être sûr de récupérer la bonne !

 

A São Miguel, les politiques ont clairement misé sur la vache, avec les encouragements financiers de l’Europe (« Todo por la vaca ! »), et sur le tourisme. Des affiches électorales promettent « des opportunités pour tous sur les îles », avec un démagogique autant qu’inquiétant « tourisme x 9 », comme si cela constituait la solution miracle contre le chômage. C’est surtout le tourisme de masse, avec les énormes paquebots, monstrueux immeubles flottants et leurs cargaisons de passagers, qui semble être en ligne de mire. Des bonimenteurs commerciaux aux dents longues veulent faire croire à une manne providentielle, le bruit courant que ces passagers dépenseraient chacun 30 € par jour à terre, si Monsieur ! Est-ce bien sûr ? Et si c’est pour arriver à la scène dont j’ai été témoin en faisant les courses au « mercado municipal » de Ponta Delgada, ça ne fait vraiment pas envie : derrière une cheftaine patibulaire arborant un écriteau au-dessus de sa tête, une grosse grappe de touristes avec étiquette autour du cou traverse le marché au pas de course, contourne les étals de fruits et légumes, puis vient en rang, comme des harengs, voir en place, les poissonniers et leurs étals de poissons, prenant des photos mais pas de poissons (pas besoin de cuisiner évidemment, car ils sont en formule « todo incluso » !), devant les mines d’autistes renfrognés des poissonniers qui doivent avoir l’impression d’être au cirque mais pas du bon côté.

 

De quoi contribuer à l'eutrophisation des lacs ...

 

Surtout que les gros groupes, ils se baladent en bus, et quand ils débarquent aux mêmes endroits que nous, c’est l’invasion ! Ainsi quand nous entrons dans la fabrique de thé, un gros bus se gare, mais nous avons quelques minutes d’avance salvatrices qui nous permettent de passer tranquillement de salle en salle : séchage, roulage des feuilles, ensachage, c’est une fabrique encore artisanale, qui fonctionne depuis 1883. On pense que les premiers pieds de théiers ont été apportés du Brésil dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, d’abord pour un usage ornemental. Son utilisation commerciale ne commence qu’à la fin du XIXème siècle, en 1874, quand deux Chinois originaires de Macau sont invités aux Açores pour enseigner la culture et la préparation du thé. Le thé des Açores est le seul thé européen. Après la visite de l’usine et une tasse de thé, vert ou noir, nous allons faire un tour dans les plantations : des rangées de buissons bas et d’un beau vert, taillés au carré. Le théier est en fait de la famille des camélias (Camellia sinensis). Je n’avais aucune idée de l’aspect de la feuille de thé fraîche !

 

 

Une fabrication restée artisanale

 

Dégustation

 

Une sorte de thé par récolte des première, deuxième, et troisième feuilles

 

Camellia sinensis

 

Des bosquets de thé taillés au carré

 

Après plusieurs jours de marina urbaine à Ponta Delgada, nous aspirons à nous mettre au vert … En cherchant sur Internet, Philippe est tombé sur le site de l’association « Archipels » (http://sejouracores.com/). C’est une maison d’hôtes, tenue par Anne Bruyère, une Française installée aux Açores depuis plus de dix ans. Et elle propose aussi des séjours axés sur le jardin, pour apprendre, en les pratiquant, des techniques de jardinage biologique et biodynamique. Et nous voilà partis pour Faial da Terra, à l’extrémité sud-est de São Miguel, avec sur le scooter tout le matériel de camping pour camper dans le jardin ! Au départ, nous y allons pour deux jours seulement, un peu « pour voir ». Mais l’accueil de Anne est si chaleureux, et son envie de faire partager son jardin si communicative, que nous décidons de rester plus longtemps.

 

En route pour le camping à Faial da Terra

 

Camping dans le jardin de Anne

 

Philippe qui prépare la terre sous le bec intéressé des poulettes

 

Descente vers Faial da Terra depuis Sanguinho

 

 

Filon de trachyte

 

Maison à la Faja Calhau près de Faial da Terra

 

La Faja vue du sentier tout récemment réouvert

 

 

Barbecue sur la plage de Faial da Terra

 

Mais il nous faut d’abord rentrer à Ponta Delgada, car un hôte de poids s’est invité dans le paysage et nous pouvons difficilement le laisser passer sans être là pour l’accueillir, je veux parler de Gordon. Gordon est un cyclone tropical qui tournique dans l’Atlantique, et qui a le mauvais goût de ne pas être intéressé par les Caraïbes et de préférer les Açores. Peut-être n’aime-t-il pas le tourisme de masse ! En tout cas, les îles de São Miguel et de Santa Maria sont placées en alerte rouge à partir du dimanche 19 août au soir, et le plus fort de Gordon est attendu dans la nuit de dimanche à lundi. Même si c’est assez rare, il arrive quand même parfois qu’un cyclone touche les Açores. Le dernier en date, c’était en septembre 2006, et il s’appelait justement Gordon aussi ! C’était alors le premier cyclone tropical depuis 1992, à affecter les Açores en conservant des caractéristiques tropicales.

 

 

Prévisions de trajectoire de Gordon en dates du samedi et du dimanche

 

Quand nous arrivons à Ponta Delgada le dimanche en début d’après-midi, nous trouvons la marina en pleine effervescence. Elle est assez récente, et cette nuit va être son baptême de cyclone. Apparemment, les responsables stressent un peu et se posent des questions sur les conditions qui règneront dans la marina. C’est surtout la houle qui les inquiète, la marina étant déjà très sujette au ressac même par temps calme … Ils ont même demandé que le grand ferry se positionne de l’autre côté de son quai habituel pour servir de « pare-houle » à la partie intérieure de la marina. Les marineros circulent à bord d’un zodiac, et aident les bateaux à se déplacer, s’amarrer mieux, placer des ancres. Ils demandent aussi aux bateaux installés dans la partie la plus extérieure d’aller vers l’intérieur, qui serait a priori mieux protégé de la houle, surtout avec le ferry qui fera rempart. Nous faisons partie du lot des déplacés, mais il reste seulement une place en bout de ponton. Alors Bruno, un des marineros, avec son zodiac, nous aide à placer deux ancres, une à l’avant et une à l’arrière, pour nous déhaler et éviter ainsi que le vent ne nous pousse trop fort contre le quai, ce qui ménagera nos pare battage. Philippe double les amarres, nous fixons bien ou enlevons carrément, ce qui risquerait de s’envoler, enroulons le génois plus serré pour éviter qu’il ne se déroule, et saucissonnons les leazy-bags avec de la sangle. Ben voilà, qu’est-ce qu’on pourrait faire de plus en attendant Gordon ? Aller voir les amarres du ferry, notre rempart, parce que si elles cèdent, nous serons vraiment aux premières loges ! Et regarder autour de nous les préparatifs des autres bateaux, qui révèlent différents degrés de paranoïa. Entre ceux qui démontent presque intégralement leur bateau, enlevant toutes les voiles ; ceux qui jettent des amarres autour de tous les poteaux qui sont à leur portée, même ceux qui sont de l’autre côté de leur ponton, et tant pis si pour les autres, le passage sur le quai tient ensuite du saut de haies ; et ceux qui, une fois leur navire préparé au pire, le quittent et s’en vont dormir à l’hôtel ! En ville, les seuls préparatifs visibles semblent être le démontage des petites cabanes de marchands d’artisanat sur la place.

 

Le ferry "pare-houle" ... si ses amarres tiennent bon !

 

Sahaya attendant Gordon d'amarres fermes (et nombreuses)

 

L’attente commence, avec quand même un peu de stress, devant quelque chose d’inconnu. Nous allons nous coucher, et le vent monte progressivement. Les haubans commencent à siffler la chanson du vent, 20, 25, 30, 35 nœuds, quelques rafales à 40 nœuds, puis le vent tourne vite, passe au nord, et diminue dans la marina, sans doute protégée par la ville. Sahaya tire un peu sur ses amarres mais sans plus, le ferry fait son office en nous épargnant d’une bonne partie de la houle, et comme le vent tourne vite au nord, le gros ressac n’est rapidement plus à craindre. Par contre, il pleut dru, les rafales balancent des claques rageuses de pluie. Au bout de quelques heures, Gordon et sa cour d’agités s’éloignent. Certes, nous avons connu des nuits plus calmes, mais finalement il y a eu plus de peur que de mal. Sur São Miguel, peu de dégâts, à part quelques inondations. C’est finalement Santa Maria qui a été la plus touchée, avec 100 nœuds de vent enregistrés au parc éolien. Mais là aussi, il y a eu peu de dégâts.

 

Quelques jours après Gordon, nous retournons comme prévu à Faial da Terra. Les gens ont eu peur au passage du cyclone car la rivière a tant gonflé qu’elle est arrivée au niveau du pont et qu’elle menaçait de sortir de ses digues. Elle a aussi charrié quantité de troncs d’arbres que la mer a avalés, brassés dans ses vagues, avant de les recracher en masse sur la plage, débarrassés de leur écorce et de toute excroissance superflue. Les gens viennent avec des tronçonneuses se servir en bois de chauffage, et la mairie a du bois sur la planche pour déblayer le plus gros avec pelleteuse, tracteur et remorque.

 

Les traces du passage de Gordon sur la plage de Faial da Terra

 

Pendant près d’une semaine, nous allons participer à la vie de la maison « Archipels », qui accueille aussi deux jeunes « Wwoofers » américains, Carly et John. Nous allons nous aussi séjourner un peu sur le principe du « Wwoofing » (World Wide Opportunities on Organic Farms), gîte et couvert en échange de quelques heures quotidiennes de travail dans le jardin. Et nous allons en apprendre des choses avec Anne qui n’est pas avare de conseils ! Préparation de la terre, remplissage d’une « butte » avec mélange de terre et de compost, semis (pas trop serré), traitement des arbres fruitiers avec du purin de rhubarbe, et consoude etc. En marge de son activité de jardinage, Anne milite aussi pour la sensibilisation aux espèces endémiques et aux espèces envahissantes (et à São Miguel, il y a du travail, car ce sont des hectares entiers qui sont recouverts de « Roca-da-Velha » et de pittosporum !), et pour la promotion de l’agriculture biologique.

 

Philippe aux semis avec Anne

 

Et le résultat quelques jours plus tard !

 

Visite d'un luthier amateur, ami de Anne, à Agua Retorta

 

Camion épicerie dans le village de Faial da Terra

 

A l'un des deux bars du village, de droite à gauche : Carly, John, Anne, Greg, et Philippe

 

Dîner à Archipels

 

Les cantonniers tentent de contrer l'envahisseur "Roca-da-Velha", mais la lutte est inégale ...

 

Goyavier fraise

 

Les soirées à Faial da Terra passent au son des grillons (qui sentent l’automne et rentrent faire leurs concerts au chaud dans les maisons), et avec le parfum presque entêtant des Roca-da-Velha. Ce n’est pas l’envie qui nous manque de rester plus longtemps à Archipels, mais l’horloge, quoique biologique, tourne, l’automne approche, et avec lui le temps de la traversée vers le continent.

Mais avant, nous avons prévu de passer une petite dizaine de jours à Santa Maria, l’île la plus orientale et la plus sud des Açores.

Une ultime tentative pour voir la vue depuis le sommet de l'île, le Pico da Vara, qui se solde par des pieds mouillés dans les mousses gorgées d'eau, et nous quittons São Miguel.

 

 

Pico da Vara : encore loupé !


07/10/2012
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Terceira, quatrième escale

Terceira, quatrième escale

 

Vendredi 3 août 2012 : au matin, Elise et Gaël embarquent sur Sahaya, et nous quittons la marina de Velas avec l’aide d’autres navigateurs pour sortir de notre place, ça passe tout juste. Cap sur l’île de Terceira, à une cinquantaine de miles. Les vingt premiers miles longent la côte sud de l’île de São Jorge, miles un peu trop tranquilles, pétole et moteur. Puis passée la Ponta do Topo, le vent se pointe et nous porte jusqu’à la marina de Angra do Heroismo. Les dauphins que nous avions commandés pour nos invités viennent faire leur show juste avant l’arrivée, merci.

 

 

 

Traversée tranquille

 

L'arrivée à Angra do Heroismo, défendue par le Monte Brasil

 

Angra do Heroismo est une très belle ville, pleine d’histoire, et la marina est vraiment de plain-pied au cœur de la ville, juste devant l’église de la Miséricorde, qui en manque juste singulièrement pour nos oreilles en les plombant franco tous les quarts d’heure, nuit incluse ! Au moins à Velas, on avait droit à une pause nocturne, mais ici non ! De belles maisons bordent les rues. Les règles architecturales sont strictes pour garder une homogénéité d’ensemble : façades claires et contours de portes et de fenêtres sombres, ou bien l’inverse, et dans des gammes de couleurs données. Les nouvelles constructions doivent être également antisismiques. En 1980, un séisme avait détruit la ville aux trois quarts. Angra do Heroismo était une ville fortifiée, défendue par le Castelo de São Filipe et ses fortifications qui cernaient toute l’avancée du Monte Brasil. Tout proche de la marina, ce qui est maintenant une plage était autrefois une zone de mouillage pour les bateaux. La baie était protégée de presque tous les vents, sauf ceux de sud-est, et s’ils survenaient, soudains et violents, certains bateaux larguaient précipitamment leur mouillage en coupant la chaîne de l’ancre qu’ils n’avaient pas le temps de remonter pour éviter de se faire drosser contre la côte. Il faut imaginer que ces caravelles ne remontaient pas au vent. Voilà pourquoi cette baie est surnommée « le cimetière des ancres », un « spot » pour les plongeurs.

 

Sahaya dans un cadre historique !

 


 

 

 

 

Façade en réfection et qui a reçu l'aval des "monuments historiques" açoriens

 

Philippe dégustant des "lapas", les chapeaux chinois açoriens

 

"A Canadinha", la cantine locale et populaire d'Angra

 

Autant São Jorge était fine et allongée, autant Terceira est trapue et ovoïde, 16 km sur 30 km environ. Elle culmine à 1021 m à la Serra de Santa Barbara, bord relevé d’une grande caldeira. Elise et Gaël ont loué une chambre dans une pension de famille, et le propriétaire, Isaias, loue aussi son scooter personnel, en marge des organismes officiels … Nous le prenons quatre jours pour visiter l’île. Mais avant cela, je ne peux pas m’empêcher de vous conter les expériences de Philippe aux mains des masseurs … L’histoire, c’est qu’Elise s’est fait mal au dos en chutant en randonnée, et leur logeur lui a indiqué un curé qui serait aussi masseur-ostéo-guérisseur. Elle a rendez-vous à 17 heures (mais o menos, on va aussi apprendre que la notion du temps est très relative aux Açores !) à l’église da Conceiçao. Comme Philippe a une douleur persistante à l’épaule droite, il veut aussi profiter de la consultation. A 17 heures tapantes, nous sommes devant l’église, juste au moment où une Jaguar rutilante dépose des futurs jeunes mariés devant les marches. Puis suivent tous les invités endimanchés de ce mariage en grandes pompes. Peut-être pompant aussi, car plusieurs messieurs en costume ressortent de l’église fumer leur clope sur le perron moins d’un quart d’heure après le début. Nous retournons vers la pension, mais Isaias nous confirme le rendez-vous à l’église et y retourne avec nous en voiture. « Dans 10 minutes c’est fini », pronostique-t-il, en attendant avec nous, adossé à sa voiture. Une bonne demi-heure plus tard, nous sommes toujours assis sur le perron, à surveiller le ballet des fumeurs qui entrent et sortent, au son de la cantatrice et des musiciens qui ont été « loués » pour le mariage. Puis Isaias va voir, et nous dit de le suivre dans l’église. Nous longeons l’allée latérale derrière la silhouette trapue d’Isaias, jusqu’à la crypte où le prêtre nous rejoint en quittant les mariés et son aube. Grand mariage entre grandes familles nous dit-il d’un œil assez goguenard. Scène cocasse, d’un côté la partie centrale de l’église, où le mariage se termine sans le curé, et de notre côté, où le curé en civil manipule Elise puis un Philippe torse nu ! Apparemment, ce curé est très connu dans Angra, et les gens viennent le voir. Il ne demande pas d’argent, mais nous laisserons quand même un petit quelque chose dans le tronc commun de l’église.

 

 

Scooter 250 cm3, on monte en grade

 

Elise et Gaël, scoot' toujours !

 

Attente devant l'église da Conceiçao

 

Et la deuxième expérience alors ? Ce sera avec Daniel, 75 ans, un Açorien natif de São Miguel, un des pensionnaires de Isaias, ancien pilote de cargos croisant entre les îles. Daniel a aussi des talents de masseur, et rebelote, voilà Philippe torse nu, cette fois dans la cuisine de la pension, pour un massage à l’huile d’amande douce ! Daniel est très sympathique, mais c’est frustrant de ne pas pouvoir communiquer plus facilement avec lui. Il comprend bien ce que nous lui disons en espagnol, mais hélas c’est très difficile pour nous de comprendre son portugais. Dommage … Il ne suffit pas de mettre du « chuinté » dans son espagnol pour s’en sortir ! Par chance pour nous, aux Açores, beaucoup de gens parlent très bien l’anglais, voire même le français. Il faut dire que beaucoup d’Açoriens ont émigré pour trouver du travail aux Bermudes, aux Etats-Unis, au Canada. Certains reviennent ensuite, à l’âge de la retraite, à temps plein ou à temps partiel, sur leurs îles.

 

Philippe entre les mains adoucies d'amande de Daniel

 

Nous restons une bonne semaine à Terceira, qui présente plusieurs phénomènes volcaniques remarquables : des fumerolles sulfureuses aux « Furnas do Enxofre », où un parcours permet de voir plusieurs espèces endémiques des Açores, vestiges lointains des forêts de l’ère tertiaire sur le continent : fougères arborescentes, mousses variées, etc.. Il y a aussi la « Gruta do Natal », un tunnel de lave de plusieurs centaines de mètres. Et surtout la « Gruta do Algar do Carvão », à l’entrée impressionnante, une grande cheminée ouverte sur le ciel, qui est en fait un volcan « vide » qui ne s’est pas effondré sur lui-même. Et depuis le toit des grandes galeries pendent des stalactites blanches, non pas de calcite comme dans les karsts, mais de silice. Et enfin, Terceira a son volcan sous-marin, qui a eu une activité de 1998 à 2000, à quelques miles du village de Serreta. Et le type de volcanisme était assez spécifique pour que les volcanologues le baptisent : le type « serretyan ».

 

 

L'intérieur de la Gruta do Algar do Carvão

 

Et ses stalactites de silice

 

Balade vers les "misterios negros"

 

Les averses font partie du programme

 

Sur la route

 

Quoi dire d’autre ? Qu’il y a une grosse base américaine à Lajes, et que nous ne sommes pas allés voir de « touradas da corda », les courses de taureaux à la corde, qui sont pourtant très populaires sur Terceira. Tous les villages ont la leur : une rue est barrée, un taureau attaché à une longue corde pour circonscrire son rayon d’action est placé au milieu, et jeunes et moins jeunes viennent le faire tourner en bourrique qui avec un foulard, qui avec un parapluie, puis essayent ensuite, avec plus ou moins de succès, d’échapper à sa légitime colère en sautant derrière des palissades. Dans les magasins à Terceira, de grandes télés passent et repassent en boucle des vidéos des meilleurs moments des touradas : taureaux furieux qui foncent dans le tas et défoncent les palissades, pantalonnades, déculottées, concassées de bijoux de famille, etc. De petits groupes se forment devant les magasins qui rigolent aux moments les plus croustillants. Il paraît qu’il y a des morts chaque année ! Bon point, le taureau ne fait pas partie du lot, même s’il se prend de bonnes gamelles sur le goudron … Quelques minutes de ce bêtisier en vidéo nous suffiront, et nous n’irons donc pas en voir plus en direct …

 

La base américaine à Lajes

 

 

"On aurait dit des sémaphores ..."

 

Une vigia da baleia au Monte Brasil

 

Castelo de São Filipe

 

Abreuvoir

 

Les vestiges de l'hôpital

 

Les premiers minis de la course Les Sables d’Olonne / Les Açores / Les Sables commencent à arriver à Horta, et Elise et Gaël repartent pour Faial, découvrir le bateau accompagnateur avec lequel ils rentreront en Bretagne.

 

Pour nous, après une bonne semaine passée à Terceira, nous commençons à regarder vers l’est et la première île du groupe oriental des Açores : São Miguel.

 


21/09/2012
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São Jorge, des fromages, des balades et des amis

São Jorge, des fromages, des balades et des amis

 

Samedi 21 juillet 2012 : depuis Horta, cap sur São Jorge, une des îles voisines de Faial, à une vingtaine de miles. Hier, nous avons dit au-revoir à Jean-Luc et Caroline, qui vont remonter leur Khaya dans sa Normandie natale depuis Horta. Le vent est léger, et le moteur donne un petit coup de pouce. En fin d’après-midi, nous entrons dans la marina de Velas. Petite marina, il n’y a pas beaucoup d’espace pour manœuvrer, mais nous avons une place réservée le long du quai. Il faudra les forceps pour en sortir !...

 

La petite marina de Velas

 

Après Horta la grande, la marina de Velas est plus à notre échelle, petite, et enchâssée dans une falaise en arc-de-cercle. Elle est au pied de la ville, avec des rues pavées qui montent, contournent une place avec Saint-Georges terrassant le dragon, et le dragon terrassé tirant la langue dans une fontaine, un jardin avec des bancs qui incitent à la conversation ou la lecture, une église avec une horloge qui sonne tous les quarts d’heure. Au bord de la mer, un ponton en béton fait office de plage devant une piscine naturelle dans laquelle plongent les gamins et les ados, et barbotent les familles. Nous y sommes allés une fois, pour voir les fonds qui plongent rapidement juste derrière la piscine. Hé bien après plus d’un an de tropiques, nous pouvons dire, en toute objectivité, que nous avons trouvé l’eau glaciale, même avec le shorty. Il n’y a que les Bretons pour la trouver bonne. Ils sont fous ces Bretons ! Ce n’est sûrement pas un hasard si tous les apnéistes que l’on voit partir en chasse portent une combinaison de plongée intégrale 7 mm !

 

Velas, avec le port sur la gauche

 

La "plage" et la piscine à Velas

 

São Jorge est une île taillée en aiguille, large de 6 km, et longue de 54 km. Montagneuse, on dirait le dos d’un dinosaure émergeant de la mer, la plus grosse vertèbre culminant à 1053 m, le Pico Esperança. Ces sommets accrochent les nuages au passage, et la pluie tombe abondamment pour se transformer en cascades, sources, et herbe verte à volonté pour les vaches. C’est donc une île à fromages, ils sont nombreux et réputés. C’est aussi l’île des Açores qui comporte le plus de « fajãs », ces zones d’éboulements au pied des falaises devenues terres fertiles. Bref, São Jorge nous plaît bien, et nous partons allègrement à sa découverte en VTT et à pied.

 

 

 

Vue sur Graciosa

 

Vue sur Pico

 

Depuis l'intérieur d'une "vigia da baleia"

 

 

Une jolie falaise près de Velas

 

Mais l’île est grande, et les circuits de bus pas forcément très pratiques pour randonner, alors nous louons aussi une voiture pour deux jours. Voiture que nous partageons avec Karine et Olivier, un couple de Toulousains en vacances aux Açores, et que nous avons rencontrés à la marina, où ils étaient venus déambuler en attendant leur bus. C’est pratique pour faire la grande et belle randonnée en bord de mer qui relie la Fajã de São João à la Fajã dos Vimes : le premier groupe de deux lâche le second à un bout, repart en voiture à l’autre bout, démarre la randonnée, et se fera récupérer avec la voiture par le second groupe au premier bout. J’espère que vous avez suivi. Il faut juste se croiser sur le bon chemin et ne pas oublier de s’échanger les clefs en se croisant. En tous cas ça a marché ! Sur les chemins de randonnée aux Açores, on croise presqu’exclusivement des Français, à tel point que si l’on dit « Bonjour », on a de grandes chances de tomber juste ! Et justement nous en avons rencontré un en chemin, Patrick Marcel, qui écrit des guides de randonnées géologiques, coédités par le Brgm et Omniscience. Un passionné de volcans qui ne conçoit ses vacances que sur terrains effusifs !

 


Départ de la Fajã de São João

 


Des terrasses pour gagner du terrain

 

Karine et Olivier au moment critique : croisement et échange de clefs !

 

Descente vers la Fajã dos Vimes

 

 

Après la randonnée, nous poursuivons la route vers l’est, jusqu’à Topo, dernier village au bout de la terre, où est produit le fromage « Finisterra ». Juste en face de la pointe, il y a l’Ilhéu do Topo. On a entendu dire que les vaches de São Jorge traverseraient à la nage pour aller brouter sur ce gros caillou. On voit bien quelques vaches effectivement, mais l’herbe nous semble bien moins verte qu’ailleurs, alors qu’est-ce qui pousserait les vaches à venir là ? Ou alors c’est qu’elles ont déjà tout brouté ! En tous cas, avec cette houle, aujourd’hui n’est pas un temps à mettre une vache à l’eau, même motivée.

 

 

L'herbe (verte ?) de Ilhéu do Topo

 

Le petit port de Topo, où les bateaux sont montés au sec avec une grue

 

Avec Karine et Olivier, nous partageons trois jours de randonnée. Pour la dernière qui dévale des crêtes sommitales jusqu’à la Faja de Ouvidor, nous expérimentons la formule « taxi jusqu’au départ du chemin », et « retour en stop ». Les Açoriens ont la réputation de prendre facilement les stoppeurs. A quatre avec des sacs, c’est un peu plus compliqué, et beaucoup de voitures passent qui nous font des signes « désolés pas assez de place ». Certains s’arrêtent même pour nous dire qu’ils ne peuvent pas nous prendre ! Finalement, un paysan s’arrête et après quelques palabres avec Olivier qui parle Portugais, il nous embarque à l’arrière de son pick-up. Le stop marche bien mais avant 18 heures, heure où les paysans livrent leur lait aux coopératives, juste après la traite. En fin d’après-midi, on voit les vaches aux mamelles gonflées, rassemblées à l’entrée des prés autour de petits ateliers de traite mobiles.

 

Fajã dos Cubres

 

Hep ! Aux Açores, il y a surtout des vaches, mais pas que ...

 

 

 

Malfurada, ou Hypericum foliosum, endémique des Açores

 

Pico en toile de fond

 

Karine dans la montée au Pico da Esperança

 

Retour en pick-up

 

Délaissant leur camping, Karine et Olivier sont venus s’installer au bateau pour deux nuits. On les aurait bien gardés plus longtemps, mais ils avaient des avions à prendre, des boulots à reprendre. C’est pénible à la fin ces gens qui ont des impératifs !

 

 

 

 

Pico

 

Le port et la marina de Velas sont conviviaux. Oies et canards y cohabitent avec pêcheurs et navigateurs, ils se dandinent sur les quais pendant la journée, et le soir s'en vont dormir sur les rochers au pied de la falaise au fond de la marina. Philippe aide Yves de Rusée de Jersey à réparer une pièce de son moteur. Nous y rencontrons les Charentais de « Fleur de Sel » juste avant leur départ pour leur port d’attache, Marennes, pour une soirée guitare et chant.

 

Philippe à la soudure pour une pièce de moteur de Rusée, sous le regard attentif de Yves

 

 

Famille nombreuse sur les rochers

 

Et ce qui fait aussi le charme de la marina, c’est le « cagarro », ou "cagarra", ou « Puffin cendré ». Pleins de noms d’oiseaux pour ce migrateur emblématique des Açores apparenté à l’albatros, qui passe ses journées en mer, et vient se réfugier sur les falaises en fin de journée. Et autour de la marina, il y a des falaises. Et tous les soirs, vers 22 heures (ils sont assez ponctuels), le spectacle commence, car ils tournoient en bande, leurs ventres et leurs ailes effilées lançant des éclairs blancs quand ils passent dans le faisceau des lampadaires, en poussant des cris incroyables et difficilement descriptibles. Ça ressemble un peu à une conversation gutturale du genre : « Aah ouais Aah ouais Aah ouais Aah ouais Aaaaah ». Mais écoutez plutôt …

 

 

Je les aime bien ces oiseaux. Ils viennent nidifier aux Açores, qui accueilleraient plus de 60% de la population mondiale des « cagarros ». C’est une espèce protégée, et aussi aidée, surtout dans la période de la mi-octobre à la mi-novembre, où les jeunes oiseaux de l’année prennent leur envol, et sont désorientés la nuit par les lumières des villages. Des « Brigadas Nocturnas de Salvamento », des brigades nocturnes de sauvetage d’oiseaux, composées de volontaires, se sont mises en place pour patrouiller la nuit près des zones de nidification et recueillir les juvéniles désorientés, et les remettre ensuite sur le bon chemin : celui de l’océan.

 

Le cagarro

 

Nous sommes en pleins préparatifs de départ pour l’île de Terceira quand arrivent sur le ponton les Bretons Elise et Gaël. Nous nous connaissions par amis interposés : Elise et Gaël devaient revenir des Açores avec un des bateaux accompagnateurs de la course de Minis Les Sables d’Olonne / Les Açores / Les Sables, mais leur skipper a eu un accident de moto. Ils n’avaient donc plus de bateau, et nos amis communs, Claire-Marine et Bertrand, nous avaient mis en contact. Mais leurs contraintes de dates de retour n’étaient pas compatibles avec nos projets, alors nous ne pouvions pas les prendre à bord. Ils ont finalement trouvé un autre bateau accompagnateur pour rentrer, donc tout va bien. En attendant, ils visitent São Jorge, avant d’aller demain sur Terceira avec le ferry. Demain ?... Et ça vous dirait d’y aller avec Sahaya plutôt ? Ben ouais, carrément ! Alors, comme on n’est pas à un jour près, nous reportons notre départ pour embarquer nos deux Bretons et partons faire une dernière balade sur l'île avec eux.

 

Avec Elise et Gaël


13/09/2012
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Faial et Pico, volcans et tremblements

Faial et Pico, volcans et tremblements

 

Jeudi 12 juillet 2012. Nous quittons la marina de Lajes das Flores non sans une petite émotion. Nous nous étions attachés à cette petite île pleine de charme et à sa marina à l’échelle. Il pleut et notre comité de départ se fait mouiller sur le ponton en agitant les bras. Au programme immédiat : 130 miles environ jusqu’à Horta, la plus grande marina des Açores, à la pointe sud-est de l’île de Faial.

 

Départ de Flores sous la pluie, avec le comité de départ et Yves en bout de ponton

 

Até logo Flores

 

La navigation est agréable, avec du vent toujours, un peu de spi le vendredi matin, et des cachalots croisés sur la route, dont une mère avec son petit nageant serré contre son flanc. Ils passent lents et majestueux, on les reconnaît à leur tête carrée et à leur petit aileron. Ils vivent tranquilles maintenant dans les eaux Açoriennes, après avoir été chassés pendant plus de deux siècles.

 

Un peu de spi pour la route

 

 

En début d’après-midi, nous arrivons à Horta. Venant de la petite marina conviviale de Lajes das Flores, le choc est rude, car celle d’Horta est immense. Et pourtant, elle est pleine, et pour quelques jours, nous serons à couple avec Pélican, le bateau de Marco que nous avions rencontré à Lajes das Flores. Horta et sa marina sont des incontournables pour les navigateurs, d’ailleurs nombreux sont ceux qui ne la contournent tellement pas qu’ils ne connaîtront pas autre chose des Açores. Les murs, les rues, bref, toutes les surfaces à peu près planes autour de la marina, sont couvertes de dessins des bateaux de passage. Certains datent de plus de vingt ans. Il y a tous les styles, gribouillage sommaire, dessin naïf, vraies œuvres d’art, c’est sympa de voir les noms de bateaux et toutes les nationalités qui sont passées par là. On n’a pas retrouvé de trace du passage en 1895 de Joshua Slocum, parti de la côte est des Etats-Unis pour la première circumnavigation sur un voilier, le « Spray », un ancien bateau de pêche aux huîtres, gréé en cotre, long de 11,20 mètres et large de 4,30 mètres. Mais c’est vrai qu’à cette époque il n’y avait pas encore de marina …

 

Sahaya dans la marina d'Horta, avec le Pico en toile de fond

 

Pekka concentré sur son dessin de Sarema

 

Horta est une grande ville, les rues du centre et les trottoirs sont pavés, les monuments et les jardins se laissent visiter en flânant. Une ruelle vous emmène sur la plage de Porto Pim, où veillent encore des bâtiments d’anciennes usines baleinières, avec de grandes cheminées qui devaient cracher sombre pour fondre l’huile de cachalot. D’anciennes photos en noir & blanc montrent le port d’Horta où sont mouillées des dizaines de baleinières venues des Etats-Unis. A partir des années 1900, c’est tout l’archipel des Açores qui vit de et pour la chasse à la baleine. Les côtes de toutes les îles sont émaillées de petits miradors, les « vigias das baleias ». Les hommes s’y relayaient pour l’observation, et communiquaient par des codes convenus, fumées, signaux, etc. : repérer les cachalots, suivre leurs mouvements, avertir le village pour que les chasseurs se jettent à l’eau, puis, si la chasse est bonne, pour que ceux qui sont restés à terre se préparent à découper et traiter la graisse de ces gros cétacés. La mer devait être rouge … Mais la chasse se faisait au harpon, depuis des barques maintenant reconverties en bateaux de régate colorés. Le commerce de l’huile de baleine a été tellement florissant dans la première moitié du XXème siècle que beaucoup de pays s’y sont mis, et que le marché s’est retrouvé saturé. Beaucoup d’Açoriens ont émigré, les usines ont fermé les unes après les autres dans les années 1970, et la chasse baleinière a été officiellement arrêtée en 1987. Il reste la mémoire qui n’est finalement pas si vieille, les « vigias das baleias », sans autre veilleurs occasionnels que les randonneurs qui passent, des musées, et quelques objets pour touristes en « scrimshaw », la gravure sur dent de cachalot, que les marins pratiquaient pour tuer le temps.

 

Horta et la baie de Porto Pim, où fut construite la première usine baleinière

 


 

Les céramiques bleues devant le marché municipal

 

Une des nombreuses fontaines

 

La clope du matin à l'angle du café ...

 

Faial est une île assez trapue, et son point le plus haut passe par le rebord circulaire d’une caldeira. Nous y montons en VTT depuis Horta, près de 1000 mètres de dénivelée, et nous abandonnons nos montures pour finir le tour à pied. Le temps est clair, et cette vue circulaire nous permet de voir plusieurs îles voisines : Graciosa, São Jorge, et bien-sûr Pico, la plus proche, et son volcan du même nom, avec son cône presque parfait qui vient chatouiller les nuages à 2351 mètres. Le plus haut sommet du Portugal mine de rien, qui offre un paysage toujours en mouvement depuis Horta : dégagé, en écharpe ou bonnet de brume, coiffé d’un petit nuage lenticulaire comme un coquet béret, paré des lueurs pourpres du soleil couchant …

 

 

Sur le bord de la caldeira de Faial

 

En revenant vers Horta, et le Pico toujours ...

 


 

En attendant le bon jour pour y grimper, nous louons un scooter pour faire le tour de Faial. La pointe sud-ouest de l’île a connu un épisode volcanique intense avec l’éruption du volcan Capelinhos du 27 septembre 1957 au 24 octobre 1958. L’éruption est d’abord sous-marine, à environ 800 mètres du rivage, des explosions créent une île, puis une deuxième, qui vient rattacher la première à Faial. En mai 1958, l’éruption devient strombolienne, et un séisme plus puissant que les autres secoue l’île de Faial. A l’occasion de cette longue éruption, les Açoriens émigreront massivement vers le Canada. L’océan a sapé méthodiquement la nouvelle matière, et maintenant, la Ponta dos Capelinhos présente la forme d’un cône volcanique érodé, avec des falaises striées de couches de couleurs variées, cendres et laves, plus ou moins oxydées. Le phare a résisté, mais il est maintenant planté dans un paysage lunaire, enfoui jusqu’au premier étage sous les cendres.

 

125 cm3, sympa pour faire le tour de l'île

 

Ponta dos Capelinhos, et son phare en partie enfoui

 

 

 

Des plages de sable noir

 

Noir et blanc

 

 

L'attraction à la plage : un bébé phoque !

 

Philippe, regarde !!

 

Le volcanisme des Açores est de type point chaud. Mais ça ne fait pas que chauffer, ça bouge aussi ! Les Açores sont dans une zone de « triple jonction », où les plaques nord-américaine, eurasienne, et africaine se rencontrent, se frottent et se frittent. Les îles du groupe central et du groupe oriental sont situées sur la « microplaque des Açores », caractérisée par un volcanisme actif et une sismicité élevée. Nous avions remarqué pas mal de maisons laissées pour compte à Horta, bien souvent sans toit, plus qu’à moitié effondrées, côtoyant de beaux bâtiments bien entretenus, ce qui accentue encore leur état d’abandon. En 1998, la terre a méchamment tremblé à Faial, des maisons ont été abandonnées et les gens relogés. Au détour d’un chemin de terre, le phare de Ribeirinha, délaissé, expose ses fissures à la mer, vieille sentinelle éteinte. Il date de 1919. Les hommes l’ont remis debout après le séisme de 1973, mais pas après celui de 1998.

 

 

 

Faro da Ribeirinha, solitaire

 

Easy riders

 

Il nous titillait depuis notre arrivée ce Pico do Pico, cône géant autrement plus alléchant pour nous que les doucereuses glaces du géant agroalimentaire suisse qui semble avoir phagocyté les frigos des Açores … Un beau matin, nous embarquons Yves, de Rusée de Jersey dans l’aventure. Le ferry nous dépose, avec d’autres randonneurs, à Madalena. Nous nous tassons à six dans la voiture de location de nos voisins français de Maupiti, qui nous monte jusqu’à la maison forestière, 1200 mètres plus haut, et départ officiel du sentier jusqu’au Pico. Une belle ascension, la vue en vaut la chandelle. Nous voilà au sommet du volcan endormi, dominant la couche de nuages orographiques d’où émerge la silhouette longiligne de São Jorge. Endormi le Pico? Par de petites failles, les entrailles de la terre soufflent un air chaud. En descente, le chemin n’est pas si facile, le pied glisse sur les scories. Philippe règle le problème en descendant en courant …

 

Vue sur Faial depuis la montée au Pico

 

Le cône terminal

 

Faial toujours en vue, mais les nuages montent

 

São Jorge depuis le sommet de Pico, et du Portugal !

 

Debut de la descente, avec Yves

 

Retour vers les nuages

 

 

Horta se prépare à accueillir l’arrivée de la course de minis les Sables d’Olonne / Les Açores, aller et retour, prévue début août pendant la semaine de la mer : tentes, chapiteaux, et tout un ponton à libérer dans la marina. Pour nous, il est temps d’aller voir ailleurs …

 


27/08/2012
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Flores, île fleurie

Flores, île fleurie

 

Dimanche 1er juillet 2012 : nous sommes arrivés au petit matin devant Lajes das Flores. Petit-déjeuner au calme, puis nos voisins les Harpo émergent, et nous discutons avec Gérard et Fanou. Ils sont arrivés depuis une dizaine de jours. Pour la place à la marina ? Il faut entrer, s’installer sur une place, ou à couple d’un autre bateau s’il n’y en a pas, et demander ensuite au responsable du port. La marina de Lajes das Flores est vraiment petite, ouverte depuis l’année dernière seulement, un seul ponton flottant pour des voiliers, quelques places le long des quais, et le reste est réservé aux bateaux de pêche. Une place se libère, à côté de François, un Breton. Sahaya bien amarré, ça y est, nous pouvons enfin nous considérer comme définitivement arrivés !

 

 

 

Flores est l’île la plus occidentale de l’archipel des Açores, qui comporte 9 îles réparties en 3 groupes : le groupe occidental avec Flores et Corvo, le groupe central avec Terceira, Graciosa, São Jorge, Pico et Faial, et le groupe oriental avec São Miguel et Santa Maria. Ces îles d’origine volcanique ne sont pas très grandes, 6 km x 4 km pour Corvo la plus petite, 18 km x 12 km pour Flores, São Miguel est la plus grande avec 745 km2. A l’échelle de l’Atlantique, ce sont de petits confettis semés dans l’eau sur plus de 600 km de long, et qui pourtant étaient connus depuis longtemps : en 1154, neuf îles au large des Canaries sont mentionnées par un explorateur et géographe arabe à la cour du roi de Sicile Roger II, et en 1351, elles apparaissent sur une carte génoise. L’histoire de leur découverte par les Portugais est incertaine, à quelques années près, la primeur revenant selon les sources soit à Diogo da Silves, en 1427, soit à Gonçalvo Velho Cabral, mandaté par le Prince Henri le Navigateur, qui aurait abordé Santa Maria en 1432. Quoiqu’il en soit, quand les marins portugais débarquent aux Açores au XVème siècle, il semble bien qu’il n’y ait pas de trace de présence humaine avant eux. Henri le Navigateur envoie des colons à partir de 1439. Flores et Corvo, les deux îles les plus à l’ouest, ont été officiellement découvertes plus de dix ans plus tard, en 1452.

L’origine du nom Açores suscite également diverses théories, la plus connue associant ce nom aux nombreux milans existant sur l’archipel, et qui ont été confondus avec l’autour, un autre oiseau rapace, qui se dit « açor » en portugais.

Une fois connues, les Açores deviennent un pivot stratégique au milieu de l’Atlantique : escale pour les navires de retour de pillage des Indes occidentales, théâtre des batailles navales entre les Espagnols et les Anglais pendant la domination espagnole du Portugal (1580-1640), base alliée pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour les plaisanciers que nous sommes, elles sont sur la route de retour vers le vieux continent, alors ce serait vraiment dommage de se priver de cette escale ! Baignées par le Gulf Stream, les îles des Açores profitent d’un climat plutôt agréable, avec des étés chauds mais sans trop, et des hivers doux bien qu’arrosés.

 

 

Mais revenons à notre découverte de Flores. Le village de Lajes est perché au-dessus de son port de pêche, et il faut grimper raide par des ruelles pavées qui longent des jardins, et qui portent des noms évocateurs de l’attachement à l’océan : rue des pêcheurs, rue des baleiniers, etc.

 

L'église de Lajes das Flores

 

Notre premiers pas sont pour la Faja de Lopo Vaz, tout près de Lajes. Premier aperçu des Açores, où nous retrouvons le style portugais déjà rencontré il y a deux ans à Madère et au Cap Vert, avec de petites routes pavées, bordées de murs de pierres sèches. Les murs sont souvent remplacés ou doublés par des haies d’hortensias. Les prés verts sont délimités par ces haies bleues, et des vaches en robe beige y broutent tranquillement. C’est la campagne, c’est paisible ici. Continuons vers la « faja », qui est une zone plane, en bord de mer, créée par l’éboulement des rochers depuis les falaises. Comme on le verra ensuite dans les autres îles des Açores, les « fajas » sont le plus souvent habitées, même si elles ne sont parfois accessibles que par de petits sentiers muletiers taillés en zigzag dans la falaise. Ce sont des zones planes et fertiles, avec des cultures en terrasse et de petites maisons, alimentées par des sources ou des cascades. Tout ce qu’il faut pour s’installer donc. Celle de Lopo Vaz ne fait pas exception, un sentier étroit descend raide en offrant de belles vues sur la mer.

 

Vers la Faja do Lopo Vaz

 

Encore des plastiques ?? Non, les flotteurs de petites méduses échouées

 

 


 

« On se croirait presque à la Réunion », me dit Philippe qui connaît son sujet. Au fil de nos balades à pied et en VTT sur l’île de Flores, une autre ressemblance avec son île volcanique de l’océan Indien va vite lui sauter aux yeux : l’importance des espèces végétales exogènes envahissantes : pittosporum, hortensia, et surtout, le Hedychium gardneranum Sheppard ex Ker Gawler, appelé ici

Roca-da-Velha ou Conteira, qui semble de loin le plus entreprenant et le plus coriace. C’est une plante de la famille du gingembre, qui fait de grandes hampes florales jaunes, plutôt jolies ma foi, et au parfum sucré, mais alors, elles garnissent l’espace de façon éhontée ! Les pentes, les talus, les sous-bois, ne sont souvent qu’une marée jaune et verte, laissant peu de place aux plantes endémiques. Et elles semblent particulièrement pleines de vigueur, avec des racines costaudes qui s’immiscent entre les pierres, font éclater les murs. Des envahisseurs … Le Cryptomeria Japonica est planté de façon très exclusive et semble peupler aussi exclusivement les rares forêts ou bois de l’ile. A l’origine, il aurait été implanté pour fixer les terrains soumis à l’érosion suite à la déforestation massive, mais continuerait toujours à être planté au détriment d’autres arbres. Où sont donc les plantes et les arbres endémiques ou du moins existants sur les îles avant l’arrivée de l’homme ?

Côté peuplement animal, les Açores connaissent aussi des déséquilibres, comme beaucoup d’îles. Sur Flores, les lapins pullulent, c’est incroyable le nombre de pompons blancs qui traversent les routes et les chemins. Les rats sont aussi un problème, et on retrouve, semés sur les chemins, pleins de sachets plastiques avec du poison.

 

Roca-da-Velha : l'envahisseur au parfum sucré

 

Et les plaisanciers alors, constituent-ils une espèce invasive aux Açores ?? A Flores, pas encore. Et heureusement, car la marina est petite ! Mais néanmoins, les bateaux tournent beaucoup, s’arrêtant en général quelques jours, voire moins. Le plus gros de la troupe des voiliers qui traversent l’Atlantique en direction de l’Europe arrive plutôt à Horta, la grande marina de l’île de Faial, plus à l’est. Ils arrivent des Antilles, des Etats-Unis, du Canada, et vont vers la France, l’Angleterre, la Hollande, ou bien ils piqueront vers Madère, parce qu’ils font ou refont un tour de l’Atlantique.

 

Quelques jours après notre arrivée, nous avons envoyé un mail à Herb Hildenberg, le Canadien qui fait le routage météo par radio, pour le prévenir que nous étions à bon port :

 

5 juillet 2012, de Sahaya à Herb :

« Hello Herb,

We arrived in Flores last Sunday. Our SSB antenna is not very good so we did not try to emit, nevertheless we could hear the weather forecast you provided to our “neighbours” Sans Souci, and Silver Queen. Thanks a lot for this.

Best regards

Nathalie and Philippe »

 

Et la réponse de Herb, le lendemain :

“Hi Nathalie and Philippe

Thank you for your note. Good to know that you could copy the conversations with other boats.

Take care and

Have a good watch

Herb

 

Fixed HF Marine Land Station VAX498

http://www3.sympatico.ca/hehilgen/vax498.htm

 

 

Sur le bon chemin

 

Une rencontre

 

Sur le chemin vers Faja Grande, le "Saint-Tropez" de Flores !

 

Il n’y a qu’un ponton à la marina de Lajes, c’est donc facile de nouer des contacts avec les nouveaux arrivants. Chacun raconte sa version de la transat’. Celle de Jean-Luc et Caroline, sur Khaya, partis des Bermudes en même temps que nous et arrivés quelques jours après, ressemble beaucoup à la nôtre : pas franchement agréable, mais n’ayant pas eu l’information sur la menace de Chris, ils ont fait un peu plus de « tout droit » et eu du vent un peu plus fort, avant de se faire encalminer plusieurs jours dans l’anticyclone des Açores, en ne mettant le moteur que sur la fin, par manque de gasoil. Après, nous avons la version de Yves le Québécois, sur Rusée-de-Jersey, le premier navigateur hauturier avec lequel nous avions sympathisé il y a deux ans à Porto Santo, et que nous avons eu la surprise de retrouver ici : transat’ « de demoiselle », traversée rapide avec du bon vent portant, et une belle mer, et du beau temps. Yves est parti des Bermudes à peine une semaine après nous, et les conditions « normales » s’étaient remises en place. Il aurait donc mieux fallu attendre quelques jours.

Et une autre version encore, celle de Pekka le Finlandais, sur Sarema, qui était notre voisin de carénage à Cariacou l’année dernière. Lui venait des Antilles et a traversé presque entièrement au moteur, louvoyant pour essayer de trouver de petits souffles d’air, avec l’angoisse de ne pas avoir assez de gasoil. Et il a rencontré un voilier, en dérive dans l’anticyclone depuis 10 jours, qui lui demandait du gasoil !

 

 

 

 

Une île à la bonne taille pour la visite en vélo

 

Sur l’unique ponton flottant de Lajes, parfois presque entièrement francophone, avec une majorité de Français et de Québécois, l’ambiance est bien sympathique. Il y a des soirées barbecue à la plage, des soirées guitare. Conformément à la coutume, les navigateurs sont encouragés à faire un dessin sur les murs autour de la marina, pour laisser une trace de leur passage. Alors Philippe sort ses pinceaux et peint un petit carré pour un Sahaya d’inspiration tibétaine. Et puis il y a aussi le plaisir des fromages retrouvés, et le « pao de milho » (un pain à base de farine de maïs, mélangée ou non avec de la farine de blé), et les vins du Portugal, et des balades jusqu’à des lacs nichés au creux de caldeira, perles d’eau sombre dans des écrins de pierre ou de mousse. Ajoutez aussi des cascades, et des phares, et des fajas, et des hortensias, envahissants mais bien jolis quand même, et avec tout ça, le temps passe vite, et il faut bien songer à changer d’île …

 

Soirée "gratte" bien animée sur Sahaya

 

Travaux en cours


Et voici l'oeuvre !

 

 

Ce n'est pas l'eau qui manque

 

 


26/08/2012
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Transat' Bermudes Açores : l'épreuve des nerfs ...

Transat’ Bermudes Açores : l’épreuve des nerfs …

 

Mercredi 13 juin 2012. Après 4 jours d’escale aux Bermudes, nous décidons de nous lancer dans la Transat’ à destination des Açores. Est-ce un bon créneau ? Difficile de le savoir à l’avance. « En temps normal », il y a le choix entre deux stratégies :

-          la première, qui est de monter au nord, jusque vers 40° de latitude, pour récupérer les vents d’ouest engendrés par les dépressions qui se baladent plus au nord. L’avantage est d’avoir du bon vent, et le Gulf Stream qui pousse. Le risque est de se faire secouer si les dépressions sont musclées ou descendent vers le sud.

-          la seconde est de faire une route plus directe (route orthodromique) vers les Açores, en tirant d’une traite vers le nord-est, pour rester plus loin des dépressions nordiques. L’avantage est d’avoir des vents plus légers et une météo plus clémente. Le risque est de se faire encalminer dans l’anticyclone des Açores et alors, il faut soit être patient et avoir de bonnes réserves de rhum, soit avoir un bon moteur et de bonnes réserves de gasoil.

 

Mais depuis plusieurs jours voire plusieurs semaines, ce système météorologique classique est perturbé. Les dépressions passent très sud-ouest, les fronts se succèdent, et l’anticyclone des Açores est positionné plutôt au sud-est. La route du nord n’est pas possible, car même à plus de 40° de latitude soufflent des vents d’est. La seule stratégie possible si l’on veut partir maintenant est de faire de l’est pendant deux ou trois jours, pour passer au sud des dépressions, puis de monter vers les Açores, en faisant du nord-est pour suivre une sorte de couloir de vents de sud-ouest, générés à la fois par des basses pressions à l’ouest et par l’anticyclone plus à l’est. Et ne pas trop se rapprocher de l’anticyclone. C’est aussi ce que conseille Herb Hilgenberg, un Canadien, spécialiste en routage météo, dont nous parlent deux bateaux américains qui vont s’élancer en même temps que nous dans la transat’, Ostinato et Silver Queen. Herb assure tous les jours une permanence radio en BLU sur le 12359 kHz, à 21 heures TU : les bateaux qui se sont préalablement inscrits auprès de lui par mail, l’appellent en donnant leur position et les conditions de vent du moment, direction et vitesse. Ces données d’observation dans l’Atlantique iront alimenter les modèles météo. En retour, Herb fournit des prévisions météo et un routage à trois ou quatre jours (http://www3.sympatico.ca/hehilgen/vax498.htm). Nous le contactons en lui signalant que nous partons ce mercredi, en même temps que Silver Queen.

 

Formalités de départ au poste de douane de Saint George

 

Après les pleins de frais (en fermant les yeux sur les prix !...), d’eau, et de gasoil (mine de rien, on a consommé près de 220 litres pour 110 heures de moteur depuis Cuba), la carte bleue est chaude et Sahaya bien lesté, paré pour les 1700 miles de la transat’. Khaya nous talonne. Un bon vent de travers et une longue houle de nord, écho des dépressions qui s’agitent au-dessus de nous, nous cueillent dès la sortie des Bermudes. Pendant quelques heures, nous régatons avec Khaya : quand le vent mollit, il nous dépasse, quand le vent forcit, Sahaya rattrape. Le vent tombe dans la nuit, et Philippe démarre le moteur pour nous maintenir au moins à 3-4 nœuds (sinon il déprime !..). Le ciel est clair et bien étoilé. A 32° de latitude, le Scorpion est encore bien visible jusqu’au bout de la queue. La nuit est fraiche, c’est bien fini les Tropiques et les quarts à peine vêtus !

 

La sortie du "cut"

 

 

Régate serrée avec Khaya

 

Jeudi 14 juin : le ciel nuageux se dégage dans l’après-midi. Des souffles de cétacés se font entendre sur bâbord. Des pétrels blancs et noirs effleurent les vagues du bout de l’aile, des paille-en-queue curieux survolent le bateau. Nous éteignons le moteur pour lancer le spi, mais il doit y avoir un courant contraire car nous nous traînons. Le vent est irrégulier, soufflant par bouffées, changeant de direction. Nous surveillons l’évolution des dépressions sur les fax météo émis par la station de New-Orleans : la stratégie reste la même, continuer sur une route est pour l’instant. Le moteur reprend du service en fin d’après-midi.

 

Vendredi 15 juin : la nuit a été molle, « bercée » par le ronronnement, enfin plutôt le ronflement, du moteur. Heureusement qu’il est là ce bon vieux Thorny, mais son seul défaut, c’est qu’il nous met la tête comme une pastèque ! Il va encore tourner toute la matinée, pour contrer d’abord du vent dans le pif, puis de la pétole quasi absolue. Trois pétrels semblent nous suivre, se posant près du bateau pour repartir quand nous arrivons à leur hauteur, et se poser de nouveau. Heureusement, ils ne s’intéressent pas outre mesure à notre poulpe à la traîne (les poissons non plus d’ailleurs). Le ciel est gris, largue d’abord quelques gouttes, puis de la pluie plus franche. Une petite bouffée de vent de sud-est nous permet de faire une pause moteur de deux heures. Philippe passe beaucoup de temps à recevoir et analyser les cartes météo. Avec une certaine angoisse, car les prévisions sont très changeantes d’une journée à l’autre. Aurons-nous trop de vent ? Ou pas assez ? Une dépression est annoncée sur les Bermudes pour le week-end, que va-t-elle faire ensuite ? Normalement, nous devrions encore avoir une journée de pétole demain sur notre route est, puis pouvoir toucher des vents de sud-ouest et commencer à faire du nord-est à partir de dimanche. Je m’inquiète que nous consommions autant de gasoil dès le début de cette transat’, il ne faudrait pas que cela nous manque ensuite. Mais d’un autre côté, il nous faut avancer et mettre du champ entre nous et la dépression sur les Bermudes. Alors on continue au moteur, en mettant cap au sud-est pour la nuit.

 

Pétrel accompagnateur

 

Entretenir le moral des troupes ...

 

Samedi 16 juin : déjà que ce cap sud-est soit assez déprimant quand on est sensé faire du nord-est, en plus il faut que la mer soit hachée, le vent dans le pif, et le courant contraire. Même au moteur à bon régime, on se croirait en opération escargot, on ne dépasse pas les 3 nœuds. Avec le moteur qui nous vrille les neurones et qui consomme du gasoil. Alors un gros ras-le-bol attrape Philippe en fin de nuit, de colère, il affale toutes les voiles, éteint le moteur, et va se coucher ! « Demain il fera jour ! » Livré à lui-même sans l’appui de ses voiles, Sahaya dérive lentement à 0,3-0,5 nœuds vers le sud, travers à la houle. Je m’attendais à ce que cette cape sèche soit plus inconfortable que ça. Dès le lever du jour, nous remettons le bateau en marche, mais la navigation a de quoi flanquer le bourdon : grains étendus, pluie, vent fort de nord-est en plein dans le nez, grosses vagues qui viennent claquer sur les hublots et sur le pont. Par les grands hublots du carré, je contemple les voiles qui bataillent dehors depuis le confort mouvant de Sahaya. Vent et pluie dehors, lecture et musique dedans, le contraste est saisissant, un cocon d’acier contre les éléments. Survolant l’océan gris ardoise, toujours deux ou trois pétrels dans leurs rondes incessantes et qui semblent sans effort. Après cette zone de front, le ciel bleu réapparaît. Serions-nous dans l’œil de la dépression ? Les prévisions la concernant changent toutes les 6 heures : elle irait au nord-est, puis au nord, elle serait suivie d’une deuxième, puis finalement non, ou bien encore elle se dissiperait. Elle ne sait pas ce qu’elle veut ! Surtout qu’elle se déplace à 10-20 nœuds, donc beaucoup plus vite que nous qui avançons péniblement à 4 nœuds sur notre route de fuite. On ne pourra donc pas s’adapter à tous ses caprices directionnels. Dans les dernières 24 heures, nous n’avons fait que 50 miles, qui ne nous ont pas rapprochés de notre but, les Açores : le compteur est toujours à 1430 miles restant. Le temps s’améliore en soirée, et le vent tombant un peu, on met en route le moteur pour lofer et mettre le cap à l’est. Les étoiles sont de sortie et le moral remonte.

 

 

Temps de chien

 

Dimanche 17 juin : cette journée n’a rien à voir avec celle d’hier et c’est tant mieux : nous faisons route au 75 (est-nord-est), poussés par un vent de sud, il fait beau et la chaleur du soleil est réconfortante. Cette transat’ retour est tellement différente de l’aller, où nous avions pu nous installer dans une routine de navigation, qui, loin d’être ennuyeuse, créait un espace-temps particulier dans lequel nous avions notre place et nous trouvions bien, et dont nous avions même envie qu’il se prolonge. Là, les journées sont si différentes les unes des autres qu’elles constituent chacune un univers indépendant, sans lien avec celui de la veille, ni celui du lendemain. On a plus l’impression d’être des spectateurs que des acteurs de notre traversée. Un jour de pluie, et on a l’impression qu’il dure une éternité. Que le soleil revienne et il éclipse les jours de pluie, en a-t-on même jamais eu ?

Pour l’heure, nous profitons enfin d’une belle journée de navigation, filant à plus de 6 nœuds sur une longue houle de sud-ouest.

Mais le répit est de courte durée, car au bulletin Navtex du soir, une autre dépression avec averses et orages violents est annoncée à 120 miles au sud-ouest des Bermudes. « Avec moins de 10% de chance de devenir une dépression tropicale ou un cyclone dans les prochaines 48 heures, car elle évoluera lentement lors de son déplacement vers le nord-est puis le nord », énonce doctement le bulletin. Mouaif … A surveiller quand même ... Décidément, on ne peut jamais avoir l’esprit tranquille bien longtemps. Avant de partir, Philippe avait regardé les prévisions pour la saison cyclonique 2012. Nous entrons dans une année El Niño, donc a priori, plus tranquille dans l’Atlantique, et c’est le Pacifique qui va déguster. Le seul hic est la température de la mer, anormalement chaude, le long de la côte est des Etats-Unis, qui peut engendrer des dépressions tropicales. D’ailleurs, deux dépressions tropicales précoces, nommées Alberto et Beryl (la plus forte pour un mois de mai depuis l’histoire de la météo), sont parties de là fin mai.

 

Vacation radio du soir : bonnes ou mauvaises nouvelles ?

 

Lundi 18 juin : l’appel … du large ? Ou bien plutôt du chalet à la montagne ?? La nuit avait pourtant bien commencé, claire, c’est toujours plus rassurant, puis le ciel s’est couvert de nuages d’altitude. Au petit matin, le ciel plombé n’est pas de bonne augure, Philippe prend des ris préventifs dans la grand’voile, les deux goussets de lattes du haut s’accrochent dans les leazy jacks, une des lattes fait le grand saut, la deuxième hésite et nous la récupérons de justesse. Finalement, nous passons la journée entière sous une pluie drue, sans vent, et au moteur. Ce qui ne correspond en rien aux prévisions météo de la veille, puisque nous devrions être dans un couloir de vent de sud-ouest. Tu parles … En fait, nous nous sommes faits rattraper par une immense masse nuageuse venue du sud, associée à un front sorti de nulle part, qui s’étend quasiment des Bahamas aux Antilles. Et la photo satellite montre que nous n’en sommes qu’au début. Nous espérons qu’il va aller se faire voir au nord, et que nous pourrons écourter la rencontre en allant vers l’est. La dépression qui est passée hier sur les Bermudes est maintenant à notre nord, avec toujours une probabilité faible de devenir cyclone dans les prochaines 48 heures. Et nous sommes toujours sans vent … Est-ce le calme avant la tempête ? Nous continuons tipas-tipas, teuf-teuf gasoil, sur notre route de fuite vers l’est, il reste encore 1200 miles. Les pétrels sont toujours là, je ne sais pas pourquoi, mais ça me rassure de les voir, j’aime à imaginer qu’ils nous accompagnent. On se sent petits et vulnérables avec ces éléments bien plus puissants et plus rapides que nous. Les marins à l’ancienne avaient aussi peur des monstres marins sortis des abysses, maintenant il reste les monstres météo. Il n’y a plus guère que Kersauson pour se faire attaquer par un calmar géant, mais c’est seulement après abus d’eau minérale sponsorisée.

Toute la journée, le ciel a été tellement gris et bas que l’on avait presque l’impression qu’il faisait nuit. Et le soir, un coucher de soleil imprévu se dévoile au ras de l’horizon gris sombre, dans un grand flamboiement d’oranges et de rouges. Petit plaisir fugace, comment l’interpréter ? Comme un petit signe d’espoir (« la pluie va finir un jour, et le soleil est toujours là, qui vous attend »), ou bien comme une provocation (« il peut faire beau, mais ce n’est pas pour vous ! »). Deux interprétations, je choisis plutôt la première (« Tu as vu ? le temps s’arrange ! »), et Philippe la deuxième (« Attends, ne te réjouis pas trop vite, on n’est pas encore sortis de l’auberge ! »). Malheureusement, c’est ce fâcheux qui a raison, car la fenêtre se referme déjà et le gris nous reprend dans ses ailes. Le vent fraichit pour la nuit, obligeant Philippe à aller prendre des ris sous la flotte.

 

 

Réparation de fortune des goussets de lattes

 

Confort intérieur

 

Fax du soir : cyclone possible proche de nous à surveiller !

 

Mardi 19 juin : Nuit à naviguer sous voile (ouf ! les vacances du bruyant Thorny sont les nôtres aussi) vers l’est-sud-est, pour mettre toujours plus de distance entre nous et la dépression peut-être cyclone à venir. Nous allons bon train, sous la pluie, dans le noir absolu. Seule l’écume levée par Sahaya éclaire la nuit, en grandes flaques de vert phosphorescent.

En matinée, nous remettons le cap à l’est. Les cartes météo perlent toujours de possibilité de cyclone, qui partirait vers le nord-est. Ces journées sont vraiment bizarres, et semblent faites d’attente. Attente de la vacation météo, de la prochaine surprise, du vent, de ?… Le ciel se dégage en fin d’après-midi, et tout de suite le paysage paraît moins austère. A la vacation radio du soir, Herb conseille à nos deux « voisins », Sans Souci et Silver Queen, de rester sous la latitude 34°N jusqu’à samedi, le gros du vent étant attendu jeudi. Le fax météo du soir apporte son lot d’inquiétude : la dépression est passée dépression tropicale et a été nommée, elle s’appelle Chris, et fait route au 110° à 11 nœuds. Elle vient vers nous ?! Dire qu’il y a moins de quatre jours, elle passait sans se faire annoncer sur les Bermudes, « avec de faibles chances, moins de 10%, de devenir cyclone etc. ». 10% de chance, c’est moins que d’avoir le bac, mais plus que de gagner au loto. Chris a pris sa chance, c’est bien la nôtre ! Allez hop, encore un coup d’est-sud-est, route au 110-120°, ça commence à bien rallonger la sauce.

 

Fax de situation le 19 juin à 12 heures TU : un "Gale", pas encore une dépression tropicale

 

7,6 noeuds : ça avance bien, mais plein est ...

 

Photo satellite : nous sommes en plein dans le gros paquet nuageux !

 

Mercredi 20 juin : enfin une belle nuit étoilée. En naviguant sous ce ciel limpide et pailleté, c’est difficile d’imaginer qu’à quelques centaines de miles de là, la mer et le ciel sont dans de toutes autres dispositions. Dans la nuit, un voilier venant du sud passe comme une flèche à notre arrière, plein pot vers le nord-nord-est. Même pas peur, ou bien n’est-il pas au courant de ce qui se trame plus haut ?

Cette journée de mercredi, nous suivons avec intérêt ce qui devient pour nous le nouveau et palpitant feuilleton de l’été : les caprices de Chris. Il (car c’est un Chris masculin, après Beryl féminin) fait de l’est, a accéléré à 19 nœuds, puis devrait faire du nord puis du nord-est. Je me demande dans quelle mesure les prévisions dites à long terme n’engendrent pas des inquiétudes inutiles ? On a la fausse impression de pouvoir anticiper à 4 ou 5 jours alors que ça change toutes les 6 heures ! Ce qui n’est pas très rassurant est que les prévisionnistes semblent pédaler dans la semoule. Peut-être que ces systèmes sont trop instables, ou dépendent de trop de paramètres, pour être prédits. Nous restons sur notre route vers l’est, à la latitude 32°30’N, pas plus haut que les Bermudes. Chris est monté d’un cran et est maintenant classé tempête tropicale (donc avec des vents supérieurs à 33 nœuds). En son centre, les vents annoncés sont de 45 nœuds, avec des rafales à 55 nœuds, et des vagues moyennes de 20 pieds, soit 6 mètres. Pas trop envie d’aller s’y frotter de près. Dans notre secteur, des vents de 30 nœuds sont annoncés, ce qui n’est pas si méchant, surtout aux allures portantes, et que l’on a un bateau solide. Le problème, c’est plutôt la météo associée au phénomène dépressionnaire. Grains avec rafales ? Orages ? Grosses pluies ? Ou tempête de beau temps ? Ça change pas mal la donne.

Bon, dommage qu’il y ait cette menace dans l’air, car c’est une très belle journée de navigation, du soleil après un mini grain, vent arrière/grand largue à 12 nœuds, on avance à 6 nœuds, les voiles en ciseaux. C’est un plaisir … les miles défilent, dommage que nous ne soyons toujours pas sur la route directe. Nous ne l’avons encore jamais été depuis notre départ des Bermudes, il y a une semaine. Une semaine !! J’ai l’impression d’être en mer depuis un mois …

 

Fax de situation le 20 juin à 12 heures TU : ça y est, Chris est né !

 

Douche à l'arrière

 

Prévisions d'évolution de Chris

 

Chris vu du ciel

 

Jeudi 21 juin : prise de ris dans la nuit. Le régulateur d’allure ne fonctionne pas bien au vent arrière et conduit à des empannages intempestifs. Philippe le débraye et remet en route le pilote automatique. Un grain au petit matin, et Philippe découvre la grand voile ouverte en deux, juste sous la réparation faite en 2006, après un traitre venturi dans les Calanques. Elle a son compte de miles … Heureusement, nous avons une grand voile de rechange, achetée aux Puces Nautiques à Sète avant de partir. Le seul hic est qu’on a oublié de prendre ses lattes, alors on en bricole d’autres. Philippe envoie cette nouvelle voile avec deux ris. La tempête tropicale Chris est passée au cran supérieur, devenant ainsi le premier ouragan de la saison cyclonique 2012 dans l’Atlantique nord (donc avec des vents de plus de 55 nœuds). Il a plutôt tendance à s’éloigner, mais ses prévisions de trajectoires sont assez erratiques : ouest, nord-est, sud-ouest. Les fax météo du soir annoncent une deuxième dépression qui viendrait se coller au sud de Chris demain ! Et un coup de stress en plus, et on refait une fois de plus du sud-est ! Les Açores … on va finir par les appeler les Arlésiennes.

 

Bricolage de lattes pour la nouvelle grand voile

 

Fax météo avec la tempête tropicale Chris

 

Vendredi 22 juin : Après un grain avec des rafales à 30 nœuds pendant la nuit, c’est un vent de sud-ouest à 25 nœuds bien établi qui règne ce vendredi. Une grosse houle croisée de plus de 3 mètres rend la navigation vraiment inconfortable. Des déferlantes viennent claquer le pont, et nous devons boucler tous les hublots de pont et même la porte. Du coup il fait trop chaud à l’intérieur.

Avec ce stress et cette grosse houle désordonnée, je me sens complètement anéantie, lessivée, inutile. Philippe est toujours seul aux manœuvres de pont, et accumule la fatigue aussi. Surtout que pour arranger le tout, le pilote automatique se met à décrocher sans qu’on en comprenne la cause. Philippe remet en route le régulateur d’allure, mais il barre mal, le bateau part à l’abattée, jusqu’à l’empannage. C’est l’angoisse, il reste encore beaucoup de miles, s’il fallait barrer 24h/24, à deux, ce serait une sacrée galère. Finalement, Eliot le pilote consent à repartir, que lui est-il arrivé ? Problème d’électronique, de bulle d’air dans le circuit d’huile hydraulique ? Il n’est pas dit que ça ne recommencera pas … Le fax météo du soir annonce encore une journée à 35-40 nœuds avec une houle de 3-4 mètres pour ce dimanche, ça me démoralise d’avance. Chris a été déclassé, et est repassé tempête tropicale. Une petite dorade coryphène vient se mettre au menu.

 

 

 

Samedi 23 juin : Le vent de sud-ouest se maintient à 20 nœuds, la houle aussi, haute de 3-4 mètres, et toujours croisée. Sacrées vagues, dont certaines viennent remplir le cockpit. On vit toujours enfermés. Le bateau roule bord sur bord. Progressivement, nous passons d’une route est à une route nord-est. C’est une journée à grains, et nous avançons sous génois seul, qui est plus facile à réduire dans les rafales. Le temps s’améliore dans l’après-midi, et c’est un beau spectacle que cette mer bien formée, quand elle se laisse enfin observer depuis le cockpit avec une probabilité raisonnable de rester sec. La houle s’apaise et s’organise en fin de journée. 21 heures TU, c’est l’heure de la vacation radio avec Herb. Notre antenne n’est pas très performante aussi nous n’avons pas essayé de le contacter, mais nous parvenons à décrypter, au milieu d’une friture plus ou moins épaisse, le routage qu’il fournit aux bateaux proches Silver Queen, Sans Souci, et Ostinato, qui font sensiblement la même route que nous. C’est à la fois du conseil, du routage, et une sorte de gardien rassurant, qui rattache à la terre. Même s’il y a de grosses conditions, il sait trouver les mots pour rassurer, proposer toujours une solution : « Si vous allez plus à l’est, vous devriez trouver des vents plus maniables », « Si vous ralentissez, vous devriez passer à côté du front », « Non je ne pense pas que le risque de rafales sous grains soit fort ». Jamais il ne dira « Mes pauvres qu’est-ce que vous allez déguster, je ne voudrais pas être à votre place ! ». Je me demande s’il a une carte sur laquelle il fait avancer tous les petits bateaux sur lesquels il veille ? Ah tiens celui-là a fait une bonne moyenne, celui-ci a un peu lambiné. Comme dans les films, on se dit « Roger » pour « bien reçu ». Et invariablement, Herb conclut son routage par « Have a good watch ».

Il y a aussi notre ami coureur au large Bertrand (http://bertranddelesne.typepad.fr/) qui nous fait du routage météo : on lui envoie nos position, route, vitesse, conditions de vent, par texto avec le téléphone satellite, et il nous suit et nous conseille sur la route à suivre en fonction du mouvement des fronts et des dépressions. Mais notre Isatphone nous coupe la plupart de ses messages (pas vraiment fiable le truc …).

 

Grosse houle de l'arrière

 

 

Dimanche 24 juin : dans la nuit, le vent a tourné au nord-ouest, on empanne le génois et on envoie la grand voile à deux ris. Philippe est tellement crevé qu’il ne tient presque pas debout. J’essaye de faire plus de quarts pour le laisser dormir, sachant qu’il me faudra le réveiller pour les manœuvres de pont. Nous allons vers le nord-nord-est, la nuit est claire, émaillée de quelques grains nuageux mais pas méchants, éclairés d’éclairs de chaleur. La lune croissante viendra bientôt éclairer la route de nuit.

C’est un dimanche de beau temps, avec encore un fond de houle de sud-ouest qui fait claquer les voiles, mais nous avançons bien, travers/grand largue, et, pour la première fois depuis notre départ il y a 12 jours, nous sommes sur la route directe des Açores ! Il reste 650 miles. Nous sommes bien fatigués, les jambes en coton. Une autre dorade coryphène vient mordre.

Les cartes du soir n’annoncent plus de tempêtes pour les prochains jours. Ce qui serait maintenant le plus à craindre est de manquer de vent, avec l’anticyclone des Açores qui se remet en place sur l’Atlantique. Il va falloir la jouer serrée pour entrer le plus tard possible dans la pétole.

La soirée est étoilée, avec la lune qui se couche. Nous profitons pleinement de ce beau moment qu’offre la navigation. Peut-être d’autant plus que l’on a vécu des moments plus durs et difficiles avant ? Il y a à peine deux jours, avec le stress et la fatigue, nous en avions tellement marre de ces conditions de mer pénibles que nous étions prêts à jeter le bébé et surtout l’eau du bain ! « Plus jamais le bateau ! ». Et là, sous les étoiles, je repartirai bien … La mémoire est courte. Ou bien elle fait le tri. Peut-être les deux.

 

 

 

Lundi 25 juin : Nous avançons toujours vent de travers, sur une grosse houle de 3 mètres. Est-ce la houle de fond de l’Atlantique ? Celle des dépressions qui passent à notre nord-est ? Nous nous rapprochons de plus en plus du matelas gonflé haute-pression de l’anticyclone des Açores. L’allure n’est pas encore très confortable, on avance assez vite, mais le bateau est balloté, et les vagues arrosent le pont. Une journée de plus enfermés dans le bateau, nous manquons d’entrain. Une quatrième tempête tropicale a été nommée : Debby, qui sévit actuellement dans le Golfe du Mexique. Espérons qu’elle va se contenter de son parc de jeu de la mer des Caraïbes et qu’elle ne va pas vouloir aller dans l’Atlantique comme les grands !

 

 

Un des quelques cargos rencontrés

 

 

Mardi 26 juin : dans la nuit, un petit grain a fait lofer le bateau, et le pilote automatique a décroché. Je prends la barre, le temps que Philippe repère l’origine de la panne : c’est le flux gate (le compas électronique qui permet au pilote de maintenir le bateau sur une route donnée) qui ne répond plus. Heureusement, Philippe en a prévu un de rechange, et fait le branchement, à deux heures du matin. Ouf, ça remarche ! Nous freinons pour passer derrière un cargo, mais il nous a vus, accélère et se dévie un peu.

Ce mardi est la plus agréable journée de navigation de cette traversée. Il fait soleil même si le fond de l’air reste frais, et enfin la houle s’est calmée, Sahaya glisse en douceur sur une mer qui ondule. Qu’est-ce que c’est reposant ! Heureusement qu’elle s’est calmée du reste, car le vent est très léger, 10 nœuds, mais le bateau n’est pas freiné par les vagues et se maintient à une vitesse honorable de 5 nœuds. La vie peut reprendre son cours, nous sortons de notre torpeur et les guitares pour un après-midi musical dans le cockpit. Le ciel est clair au crépuscule, la lune grandit dans le sillage avant de plonger. Sahaya glisse sans effort sous un vent léger, que j’aime ces moments …

Les fax météo du soir indiquent que la dépression tropicale Debby partirait batifoler dans l’Atlantique sous 96 heures, après avoir allègrement enjambé la Floride. Herb en parle à la vacation. Si c’est le cas, elle pourrait concerner les bateaux qui partent maintenant en transat’ en prenant la route nord, puisque les conditions « normales » se sont remises en place depuis quelques jours, avec l’anticyclone au milieu et les dépressions au nord. Heureusement que le chemin est derrière nous maintenant, car en ayant vu passer Chris, on aurait eu peur de quitter les Bermudes avec la menace de Debby aux trousses.

 

Petit déjeuner

 

Le flux gate défaillant

 

Répétitions

 

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Mercredi 27 juin : Un oiseau du genre sterne est venu se poser sur le balcon avant, et y est resté une partie de la nuit, petite silhouette claire se dessinant sous la lune puis se devinant encore en contre-mer.

La navigation distille ses plaisirs à dose homéopathique … Après la belle journée d’hier qui a remis nos pendules à l’heure, ce mercredi est à marquer d’une pierre noire. « Désespoir » écrit Philippe sur notre trajectoire quand le vent passe pile dans le pif, et assez fort pour nous empêcher de faire route directe sur Flores, l’île la plus occidentale des Açores, et aussi la plus proche de nous. Nous sommes obligés d’abattre et de viser l’île de Faial, plus à l’est. Et bing, 100 miles de plus dans la vue ! Les espoirs d’arriver vendredi s’évanouissent, avec ceux d’aller à Flores, petite île moins connue mais que tous les navigateurs disent très sympathique. On ne peut pas se permettre de forcer la route en poussant au moteur, d’abord on ne dépasserait pas les 3 nœuds, ensuite on risque de devenir zinzins avec le bruit, et enfin on n’est pas sûrs d’avoir assez de gasoil pour aller jusqu’au bout. Et alors, si on se retrouve encalminés sans pouvoir mettre le moteur, on est bons pour une rallonge de plusieurs jours à dériver dans la pétole. Pour couronner le tout, il fait de plus en plus froid.

 

Y'a du monde au balcon

 

Jeudi 28 juin : pendant la nuit, quelques bouffées de vent adonnant nous permettent de remonter un peu plus. Nous faisons du nord-est, au mieux en visant Horta, la marina de Faial, sinon même un peu plus sud. Le ras-le-bol et la fatigue reviennent.

La journée n’améliore pas notre moral, il fait gris et froid, nous avançons au près serré sous des grains assez noirs, mais qui n’apportent finalement qu’un peu de vent. Quand les navigateurs évoquent leur expérience de traversée de l’anticyclone des Açores, ils parlent de manque de vent, certes, mais ils en profitent alors pour se baigner autour du bateau encalminé sous un ciel bleu azur se reflétant dans une mer d’huile. Et nous, il fait gris et froid, et on est en pantalon et polaire. Encore un mythe tiens !

 

Grain ...

 

Vendredi 29 juin : la nuit a été longue et fatigante, avec des grains. Il faut sans cesse contrôler les voiles sinon le génois se met à contre. Au petit matin, le vent monte jusqu’à 25 nœuds dans un grain, puis retombe à moins de 10 nœuds, jusqu’au grain suivant.

Le vent s’acharne, encore plus fort et toujours dans le pif. A croire que les Açores ne veulent pas de nous. Nous sommes obligés de tirer des bords, et Sahaya n’est pas à son avantage dans cette allure : il nous les fait carrés ! On se hasarde à pronostiquer une arrivée à Horta pour dimanche ? Allez plus que deux jours … Dans la soirée, Thorny reprend du service, et nous vrille les oreilles. Nous atteignons péniblement les 4 nœuds au moteur, en consommant au moins 2 ou 3 litres par heure. Qu’elle est laborieuse cette traversée … J’ai perdu le décompte des jours, les miles défilent au compte-gouttes, puisque l’on avance à plus de 40 degrés de la route directe.

 

 

 

 

Samedi 30 juin : la nuit a été tranquille, si l’on peut dire ça d’une navigation au moteur, sous un ciel de nuages bas et stables. Nous sommes au cœur de l’anticyclone, la pression est de 1030 HPa, il fait froid, et sous le ciel bas, il ne se passe pas grand-chose …

Le vent tombe presque complètement, et nous décidons alors d’obliquer sur Flores. Quitte à avoir de la pétole, autant qu’elle dure moins longtemps. En reprenant le chemin de Flores, les 80 miles supplémentaires pour aller à Horta s’évanouissent comme par magie, et il nous reste alors 60 miles. Mais c’est faisable en une journée ça ! Ah, c’est bon pour le moral ! Ce qui est bon aussi est que le ciel se dégage le midi, que le soleil se montre, et que la mer devient lisse. Vrai ? On y serait finalement dans la pétole bleue de l’anticyclone ? Nous faisons chauffer de l’eau dans la douche solaire pour nous faire beau, enfin au moins nous rendre présentables, pour l’arrivée. A 15h30, la silhouette de Flores se découpe devant la proue, quel plaisir ! Il reste une cinquantaine de miles, l’arrivée est prévue demain au petit matin.

 

Flores en vue !

 

 

Le comité d'accueil

 

Dimanche 1er juillet : les soleil se lève timidement tandis que nous longeons la côte sud de Flores. A 6h, nous arrivons devant le port de Lajes de Flores, la zone de mouillage est réduite et déjà bien occupée. Nos amis du catamaran Harpo sont ancrés, et dorment encore. La marina est petite et semble pleine, Philippe commence à pester en préventif contre un éventuel manque de place. En attendant des heures plus compatibles avec un lever de fonctionnaire, nous mouillons l’ancre à côté d’Harpo. Il y a la falaise, et du vert, et on entend chanter des coqs. Aaaahhhh la Terre ! Près de 18 jours pour ce moment …

 

La marina de Lajes de Flores

 

Quand on regarde notre trajectoire depuis les Bermudes, c’est une succession de crans sud-est et est : sud-est la nuit après les mauvaises nouvelles reçues le soir par les fax météo et la vacation radio de Herb qui incite à la prudence, et est la journée qui suit, quand on a un peu moins peur du loup. C’est un nouveau concept de route, entre la zigzagodromie et la trouillodromie : à la fin, ça fait près de 300 miles de plus que la route orthodromique, sacré « rallongi » ! Disons qu’il y a eu finalement plus de peur que de mal. Notre dernière déroute vers le sud-est était de trop, mais c’est plus facile à dire une fois arrivés. Cette navigation aura surtout mis nos nerfs à l’épreuve. Notre âme aussi parfois, malmenée par les éléments, dénudée par l’isolement. Heureusement qu’en règle générale, nous n’en avions pas marre le même jour, et l’un essayait de faire relativiser l’autre. Etre à deux sans être en phase a donc parfois du bon …

 

Transat entre zigzagodromie et trouillodromie. Avec les positions de nos "voisins" : sq (Silver Queen) et ss (Sans Souci) relevées lors des vacations radio

 


07/08/2012
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