Isla Los Roques : de roc et (surtout) d’eau

Isla Los Roques : de roc et (surtout) d’eau

 

 

Mercredi 27 juillet 2011, nous quittons La Blanquilla en fin de matinée, derrière Khaya et devant Harpo, « comme d’habitude ». C’est ma fête. Et mon anniversaire. 42 ans, ouaffffff ……. Premier jour du reste de ma vie.

Peu de temps après le départ, le spi éclate sur une mauvaise manœuvre de ma part., ne l’ayant pas retenu lors de son envoi, il est passé sous la bateau et son chalutage lui a été fatal. Première connerie du reste de ma vie, une belle, ce ne sera sans doute pas la dernière.

Ça nous plombe le moral, surtout le mien. Notre Obélix, c’est le grand « plus » qui rend la navigation agréable dans les petits airs où sans lui, nous nous traînons. Il devrait être réparable, mais il va falloir sortir la grosse machine à coudre et y passer quelques heures, je verrai ça à Curaçao …

Un barracuda vient se prendre à la traîne peu après l’épisode du spi, une petite consolation pour un repas de midi tristounet.

Avec le vent de ¾ arrière, sans spi, c’est reparti pour une traversée voiles en ciseaux. 115 miles presque plein ouest pour rejoindre las Islas Los Roques, situées à près de 70 miles au nord du continent vénézuélien, presque à l’aplomb de Caracas. Sur la carte, les îles paraissent occuper une grande surface, près de 14 miles du nord au sud, sur 23 miles d’est en ouest, mais les terres proprement dites n’en représentent qu’une petite partie. Los Roques sont de roc mais surtout d’eau. Une longue barrière de corail de 14 miles, en forme d’arc bandé vers l’est, barre le chemin de la houle de la mer des Caraïbes, poussée par les alizés de nord-est. A l’abri de ce rempart, un vaste lagon se développe, parsemé d’ilots et de bouquets de mangrove. Mais ça, c’est ce que l’on imagine d’après la carte, une nuit de navigation nous en sépare encore. Une nuit sans lune, sous les étoiles exactement, à ouvrir un éphémère et scintillant vert fluorescent dans les eaux calmes des Caraïbes.

 

Une petite consolation pour l'Obélix éventré

 

Au petit matin, nous passons à 2 miles au sud de la Orchila, l’île réservée au Président Vénézuélien, le fort Brégançon local quoi, sur laquelle il est interdit de s’arrêter. A l’arrivée à proximité des Roques, Harpo qui est déjà venu ici, passe devant, et nous le suivons dans la « Boca de Sebastopol », une trouée dans la barrière de corail, marquée par un phare rayé de blanc et rouge. C’est un peu impressionnant, car ce n’est pas évident de se repérer dans ce paysage déroutant : juste après l’entrée dans la bouche, il faut remonter la barrière de corail en la laissant sur tribord, et surveiller aussi son bâbord en longeant une ligne de hauts fonds. C’est nouveau pour nous, cette navigation à vue entre les cayes, qui apparaissent plus claires quand le soleil est haut dans le ciel. Pour ici les cartes marines numériques nous embrouillent plutôt les choses car d’après elles, et selon toutes apparences, nous serions en train de labourer la barrière de corail. Elles sont en fait complètement décalées géodésiquement, ce sera le cas pour toutes les îles du Venezuela. Philippe trouvera plus tard le moyen de les « corriger » avec le logiciel de navigation OpenCPN. Le mouillage de Buchiyaco est peu après l’entrée, nous mouillons derrière la barrière de corail, et sous l’abri d’une touffe de mangrove qui nous protège du vent d’est. L’atmosphère est étrange, peu d’éléments dépassent hormis les arbres de la mangrove derrière une plage de sable à l’ouest, et les brisants sur la barrière de corail à l’est, si bien qu’on a l’impression d’être arrêtés en plein milieu de l’océan. Vers le nord, une épave de bateau gît, cassée en deux, contre la barrière. Vue de loin, la partie restante ressemble presque à une jonque. Nous partons pour une petite balade à pied sur la barrière de corail, mais ce n’est pas commode de se déplacer sur ces gros blocs plus ou moins branlants. Des bestioles grises et caparaçonnées sont comme enkystées dans les blocs balayés par les vagues, elles ressemblent un peu à des fossiles des trilobites. On fête mon anniversaire le soir sur Harpo, tentons d’oublier le spi …

 

 

La dure loi du corail ...

 

Si quelqu'un sait ce que ça peut être ??

 

42 ans et un spi : boire pour oublier !

 

Vendredi 29, déjà presque la fin du mois de juillet, comme le temps défile … Le ciel est un peu voilé, aussi l’on décide de rester à Buchiyaco plutôt que de tenter un autre mouillage plus au nord, où le slalom entre les patates de corail risque d’être « chaud » sans une bonne visibilité. En plus, une onde tropicale se rapproche des Antilles, dont la probabilité qu’elle s’organise et se transforme en cyclone augmente d’heure en heure. Autant être dans un coin que l’on pourrait quitter facilement, en cas d’urgence. L’après-midi, nous partons en exploration avec les annexes, et traversons le lagon jusqu’à sa rive est. Une grande plage, ouverte au vent dominant, est le réceptacle de déchets de plastique de toutes sortes, bouteilles, caisses, souillant le sable blanc, accrochés à la végétation. C’est la face sombre des paradis, comme on avait pu l’expérimenter aussi au Cap Vert. Ça veut surtout dire que la pollution par le plastique est terrible, présente partout. Les plus gros éléments sont inesthétiques, mais ce ne sont pas vraiment les pires. Les petits éléments sont encore plus dangereux, qui se retrouvent dans les estomacs des animaux et jusqu’au cœur même du plancton. On pousse jusqu’au phare, construit en éléments rouges et blancs emboîtés, faits de stratifié de fibre de verre. C’est apparemment une technique de construction commune pour les phares vénézuéliens. Puis c’est le retour sur la barrière, après avoir franchi la « Boca de Sebastopol » dans la largeur, éclaboussés par la houle du large qui s’y engouffre et malmène l’annexe. Des échassiers aux becs et pattes rouges, ressemblant à des huitriers pie, débusquent de petits crustacés sur le platier de corail.

 

L'arrivée sur la côte ouest de la Boca de Sebastopol

 

Reliques ...

 

Un modèle typique de phare vénézuélien

 

Huitrier pie ? Qu'en dis-tu Pierrette ??

 

Samedi 30 juillet, nous reprenons notre route vers le nord pour monter jusqu’à Gran Roque, en longeant la caye qui court sur notre bâbord, formant une bande turquoise lumineuse sous le soleil au zénith. Un passage plus étroit est à négocier, encadré par des cayes à bâbord et tribord. Le paysage est fabuleux. Des pêcheurs à la mouche lancent leurs cannes d’un geste sûr et élégant. « Et au milieu est un lagon », délimité à l’est par quelques touffes de mangrove, et que nous longeons sur bâbord. Ce serait chouette de s’y aventurer en kayak de mer, ce doit être le paradis des oiseaux. Gran Roque est la seule île habitée des Roques, et nous mouillons devant le village aux façades colorées. C’est un petit Saint Trop’ local, avec de nombreux bateaux au mouillage : de gros bateaux à moteur et de pêche au gros équipés en artillerie lourde avec des séries de cannes de fort calibre alignées comme des batteries de canons. Ils contrastent fortement avec les lanchas beaucoup plus modestes des pêcheurs, mouillées là elles aussi. Image symbolique du Venezuela d’aujourd’hui, avec ses pauvres, et ses très riches. Des avions privés atterrissent et décollent sur le petit aérodrome de l’île : BeachKraft, Cesna, etc. tournent en ballet serré, et repartent pour la plupart vers le continent avant la nuit. Depuis le village, un sentier est aménagé qui monte à une ancienne tour, et une petite chapelle. On y a une belle vue panoramique sur les différents ilots, touches de vert et de blanc, comme posées sur un écrin bleu. Chaque ilot a sa propre collection de bateaux au mouillage devant sa plage. Nous achetons du pain à un couple de boulangers sympas qui nous font du change en Bolivars sur quelques dollars US, et un peu de fruits et légumes frais dans une petite épicerie. On profite de la Wifi qui arrose le mouillage pour envoyer quelques mails et passer des appels par Skype, mais rapidement car nous sommes ici incognito, car illégaux ! En effet, on n’a pas fait d’entrée officielle au Venezuela (il aurait fallu aller sur le continent ou sur l’île de Margarita, ce qu’on voulait justement éviter avec les risques de piraterie), et normalement, l’accès aux Roques, réserve naturelle, est payant, et même très payant : de l’ordre de 300 US$ pour une autorisation de séjour de 15 jours. Il y a une tolérance de passage de 24 heures, donc si jamais on est contrôlé par les gardes, on dira que l’on vient d’arriver et on partira vers les Aves. On ne s’attarde pas à Gran Roque, où crèchent gardes et douaniers, et on décolle le lendemain pour un mouillage plus tranquille : Sarqui, une dizaine de miles plus à l’ouest. Finalement, nous ne nous ferons jamais contrôler, et on apprendra plus tard qu’on a eu de la chance ! D’après plusieurs bateaux rencontrés, l’argent va plus à la sauvegarde de l’intérêt particulier des gardes qu’à celle de la faune et de la flore de la réserve. Mais d’un autre côté, nous avons aussi appris que les gardes ne sont pas forcément bien payés ni bien traités par leur administration : gros retards dans la relève, peu de moyens de communication avec le continent, etc. Ceci explique peut-être en partie cela …

 

Cyclone tropical en cours de formation dans sa route vers l'ouest

 

Navigation à vue entre deux lignes bleues à ne pas dépasser !

 

Dans les rues colorées de Gran Roque

 

L'aérodrôme local

 

Depuis l'ancien phare

 

Presque toute l'équipe, sauf Joshua qui prend la photo (et Touline restée sur Harpo)

 

Dimanche 31 juillet et lundi 1er août : nous passons ces deux jours à Sarqui, mouillés derrière la plage en forme de demi-lune qui s’adosse à la barrière de corail. Les fusils-harpons sont au repos car il est interdit de chasser dans la réserve. Ça n’empêche d’aller plonger sur le tombant, après avoir traversé le platier qui le précède, en zigzagant entre les patates de corail, en faisant attention de ne pas toucher au corail de feu, qui provoque des brûlures, parfois dans moins de 30 cm d’eau. C’est d’ailleurs assez rigolo de se sentir presque perdu dans un labyrinthe, alors que l’on à peine de l’eau au genou, il suffit de se lever pour se sentir assez ridicule avec ses palmes ! Sur le tombant se promènent des troupeaux compacts de chirurgiens, et de gros spécimens de perroquets, ainsi que des barracudas qu’on n’a pas envie d’aller chatouiller sous le menton, même s’ils l’ont proéminant. Les amis rencontrent même un requin. Le corail ne semble cependant pas en grande forme, avec de nombreuses parties mortes et brisées. D’après le guide du Venezuela, une étude serait en cours pour déterminer les causes de mortalité du corail aux Roques.

 

Troupeau de chirurgiens

 

Corail "Cornes d'élan" (photos Khaya)

 

Ce séjour à Sarqui est l’occasion d’observer les pélicans, qui ne sont pas farouches et viennent se percher sur le balcon avant, et sur l’annexe. Ce sont de grands oiseaux (ils peuvent atteindre 15 kg et 3 m d’envergure, mais ceux que l’on voit semblent plus petits), bruns, aux pattes palmées. Leur bec est plat et large, et la mandibule supérieure se termine par un crochet qui recouvre l'extrémité de la mandibule inférieure, au-dessous de laquelle pend une grande poche de peau sans plumes. Ils plongent en léger piqué pour pêcher, remontent les poissons dans leur bec, et les font semble-t-il glisser vers leur gosier en levant le cou, comme pour un gargarisme. Les mouettes les suivent de très près, ramasse-miettes ou harceleuses pour qu’ils recrachent les poissons qu’ils ont pêchés. On assiste parfois de belles plumées sur l’eau.

 

 

Spectacle animalier en direct depuis l'annexe pendant le petit déjeuner !

 

Mardi 2 août : nous voici à Cayo de Agua, le mouillage le plus occidental des Roques, après une navigation d’une dizaine de miles au moteur car il n’y a pas de vent, une des conséquences d’Émilie, l’onde devenue tempête tropicale, qui est passée sur la Guadeloupe, et nous bloque les alizés. En suivant Harpo, nous nous posons sur le sable, alors nous reprenons un autre chenal pour mouiller un peu plus loin et plus confortablement dans 2 m d’eau. Nous sommes dans un lagon aux eaux claires, fermé sur trois côtés par des lignes de récifs coralliens frangés de plages de sable blanc, plantés de mangrove ou de palmiers. Cayo de Agua … il y aurait donc de l’eau. Les Amérindiens qui avaient élu domicile sur les deux ilots voisins de Dos Mosquises, venaient s’y approvisionner. Mais on ne la trouvera pas, même en allant fouiner près d’un bouquet de cocotiers qui forment comme une oasis. Les eaux du lagon offrent un camaïeu de bleus qui ferait le bonheur d’un aquarelliste. Une bande de sable permet de prolonger la balade vers l’ouest, jusqu’au phare. La mer extérieure, faisant le tour, vient rejoindre celle de l’intérieur du lagon, et elles s’épousent en grandes gerbes d’écume sur le sable. Comme un jeu de dames en longueur, chaque vague avance son galet que la vague en face lui rapporte dans l’élan suivant. De gros perroquets viennent fricoter près du rivage, tellement près que leur nageoire caudale et même le haut de leur dos dépassent, dans des mouvements souples et langoureux. Que viennent-ils faire là où ils ont nageoire ? Brouter le corail ? Frayer ? Mystère … Nous faisons une plongée rapide sur le tombant sud, profitant de la mer calme par pétole. Le corail ne semble pas en grande forme non plus ici. Le soleil se couche, dans une féérie d’orangés, et dans une grande sérénité.

 

Le mouillage de Cayo de Agua vu depuis la dune

 

Un beau spécimen de Bernard-L'Hermite, pas content !

 

A la rencontre "des deux mers" sur la bande de sable

 

Lendemain, le vent est revenu, un alizé musclé montant jusqu’à presque 30 nœuds. Philippe sort la planche à voile, pour surfer les eaux transparentes de ce lagon aux couleurs de rêve, en compagnie de deux kiters. Pour fatiguer la bête : après la planche, le footing ! Nous suivons la plage, jusqu’au phare. Creusant le sable, des traces de tortues venues pondre pendant la nuit : un sillon central entouré de baquets, jusqu’à une dépression dans le sable, et les mêmes traces qui en repartent, retrouvant la mer. Quel effort pour ces milliers d’œufs ! Combien échapperont aux oiseaux, aux crabes, arriveront à la mer ? Et combien encore éviteront les nombreux requins de tous poils qui les attendent dans l’eau ?

 

En préparation ...

 

 

Ca vaut bien l'étang de Thau !

 

A quoi reconnaît-on le véliplanchiste heureux ?

 

 

Le bébé tortue secouru par Gérard : au moins un de sauvé !

 

Profitons de cette dernière soirée aux Roques, même si l’on n’a pas vu l’ombre d’un garde, le temps file, et il nous reste encore à découvrir les îles suivantes : Las Aves …



29/08/2011
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