Ce qui est fait ... est à refaire

Ce qui est fait … est à refaire !

 

 

Jeudi 16 juin 2011 après-midi, Sahaya est bien calé au sec dans le Tyrrel Bay Yacht Haulout, prêtant le flanc à notre inspection tatillonne. Force est de constater que l’ancien antifooling et les coquillages ne sont pas les seuls à être tombés sous l’assaut du karcher … Des pans entiers de peinture se sont également décollés, aux mêmes endroits que l’année dernière, et que l’année d’avant encore … Toutes ces couches de peintures époxy bi-composants qui coûtent si cher et qui se détachent comme la peau épaisse d’un gros animal en pleine mue. Et nous revoilà une fois de plus retournés à cette fameuse première couche qui elle adhère bien à la tôle, mais sur laquelle les suivantes ne semblent pas vouloir tenir. C’est le mystère ? Il peut y avoir tellement de paramètres en jeu dans cette alchimie complexe qu’est la peinture : température, humidité, dosages, mélanges, voire même circulations électriques dans la coque acier ?

 

 

Bref, une fois de plus, ce qui est fait est à refaire, adage de mon cru, et qui pourrait s’ajouter (en toute modestie bien-sûr !) à celui d’Eric Tabarly, définissant le bateau comme « le moyen le plus lent, le plus cher, le plus inconfortable, pour aller d'un endroit où on est bien vers un autre où l'on n'a rien à faire ». Les premiers jours de chantier sont donc consacrés au décapage de la coque, à faire « sauter » ce qui en a envie, et à poncer jusqu’à la tôle pour décaper une bonne fois pour toutes cette foutue couche de primaire. Ce qui devait être un carénage rapide devient une semaine, puis deux, de vrai chantier. Les problèmes de peinture n’étaient pas prévus au programme, et notre stock de bord n’est pas suffisant. Pire, certains pots ont mal vieilli, et la peinture ne prend pas, il faut la racler ! Nous devons commander des peintures à Grenade. Le délai habituel est de deux jours, mais là ça en mettra trois car le ferry qui dessert Carriacou a dû en dépanner un autre, et nos pots n’ont pas été embarqués. Et puis, il faut jongler avec des créneaux météo assez courts : les ondes tropicales se succèdent tous les quatre jours en moyenne, avec des déluges d’eau qui nous enferment dans le bateau et transforment le chantier en vastes marécages alimentés par des torrents de boue. On avance toujours plus vers la saison cyclonique, il ne va pas falloir trop moisir ici … Carriacou compte deux trous à cyclones assez réputés des Caraïbes, mais on n’a pas du tout envie de les tester in situ ! L’antifooling que nous avions en stock est trop pâteux, il nous faut trouver le bon diluant (sujet de discussions : Laquer Thinner ou Brushing Thinner? chacun y allant de son argumentaire intuitif, scientifique, ou simplement basé sur sa propre expérience). Allez, on se décide pour le Brushing Thinner, trois pots commandés à Grenade qui arriveront demain midi, nous assure Paul. Et le lendemain, Paul arrive : « Pas de bol, le gars qui devait charger les trois pots sur le ferry a eu une réunion, il ne les a pas chargés. Demain midi ! ». Et le lendemain midi, Gérard et Fanou, de Harpo, viennent nous prêter main forte pour peindre l’antifooling. Les pots de diluant sont arrivés, les dilutions sont faites, on pose de concert les rouleaux sur la coque du bateau. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Ce fut la pluie qui tombât ! …

 

Bienvenue chez les Schtroumpfs

 

Des retouches de peinture en peau de léopard

 

Moi qui pensais que ce carénage permettrait de nous remettre dans le bain du voyage en nous « rappropriant » le bateau, c’est plutôt l’inverse qui se produit. Comme si un génie malin s’évertuait à compliquer les choses à plaisir. Ré-accoupler l’arbre d’hélice et le moteur, ça prend, ça doit prendre ¼ d’heure, Philippe l’a déjà fait maintes et maintes fois … Là les clavettes ne veulent pas rentrer, et une fois à moitié emmanchées, ne veulent plus sortir. Au bout de plusieurs heures de ce traitement, atteignant les limites de sa patience pourtant légendaire, Philippe est à deux doigts de résoudre les problèmes de clavettes, d’arbre, d’hélice, de moteur, voire de bateau en général à coups de masse. Ajoutés à ça la chaleur, les nuits difficiles sous la moustiquaire assiégée de moustiques agressifs (et ces charmantes petites bêtes n’aimant pas le vent, où viennent-elles se réfugier ? dans le bateau !), et les sanitaires plus que rustiques du chantier, les troupes manquent d’entrain.

 

Philippe a alors la bonne idée de louer le premier étage d’une petite maison voisine du chantier. C’est celle d’un couple de Français installés à Carriacou depuis plus de 20 ans, Geneviève, masseuse, et Dominique, spécialiste en travaux d’aluminium qui œuvre sur un ancien trimaran transformé en atelier. Pendant une semaine, cet agréable pied à terre sera une vraie bouffée d’oxygène. Les propriétaires étant partis en bateau en Martinique pour récupérer leur fils, nous aurons plus ou moins en garde Dirty la chienne et Gros Bidon le chat, à fournir en croquettes, eau fraiche, et caresses. On profite aussi d’avoir la maison pour installer la machine à coudre sur la terrasse, ce qui me permet de faire des ateliers couture entre les ateliers peinture. Je couds souvent avec la pluie donc … D’abord l’artimon qui s’était décousu, puis le spi que je rends un peu plus sérieux et présentable qu’avec ses franges, un fantôme (c’est une espèce de « cuillère » à vent que l’on suspend juste derrière un hublot pour obliger l’air à entrer dans le bateau) avec des chutes de spi, les pavillons de courtoisie des pays d’Amérique du Sud sur la route, et quelques autres menues bricoles. Philippe alterne lui les ateliers peinture et soudure, et, entre deux séries de gouttes, fabriquera une chape articulée pour l’étai, et des bossoirs sous le panneau solaire arrière pour pouvoir remonter l’annexe le soir et pendant les petites navigations. Ainsi qu’un hublot ouvrant pour la casquette. Il changera aussi le presse étoupe,iol refera l’alignement du moteur et changera l’hélice pour une d’un pouce de pas de plus.

 

Atelier soudure

 

Brouette en partance avec l'atelier couture

 

Chargement vers la maison verte

 

L'atelier couture ...

 

... avec l'aide précieuse de Gros Bidon

 

Les utilserons-nous tous ?

 

La chambrette

 

La terrasse du "propriétaire"

 

Dirty à la plonge

 

Le confort de la maison la rend difficile à quitter, surtout pour retrouver le bateau et son élevage de moustiques un week-end de plus, puisque la pluie est arrivée en même temps que le diluant, et nous a fait louper le créneau pour remettre à l’eau.

 

Heureusement, contrebalançant le mauvais temps et la propreté douteuse (voire l’insalubrité avérée) des sanitaires, l’ambiance au chantier de Tyrrel Bay est très sympa. D’abord, il y a un troupeau de chèvres avec leurs chevreaux qui se balade, et aussi des poules et des coqs qui viennent picorer sous les bateaux. Les pêcheurs viennent y réparer et caréner leurs bateaux de pêche traditionnels et colorés, construits en bois. Ils enlèvent parfois de grandes surfaces de bois pourri, et changent les bordées, certaines débitées directement à la tronçonneuse dans des troncs d’arbres ramassés sur la plage. On fait connaissance avec deux Dominicains. Il y a Gas, qui travaille au chantier et nous dépannera bien en nous apportant un fond de pot de « Jotun » (de l’enduit-primaire époxy dont sont copieusement enduites les grandes barges en ferraille qui livrent du sable) dont nous tartinerons les « plaies » de Sahaya où la peinture a sauté. Il y a aussi Eddy, qui viendra nous aider à peindre. Eddy a pour projet de se construire un voilier en bois « à l’ancienne » et dont il nous montrera les plans, selon des techniques traditionnelles qui selon lui se perdent (les pêcheurs enlèvent les voiles de leurs barques et les remplacent par un gros moteur !), pour ensuite y habiter et faire du commerce de fruits et légumes. Et nous discutons aussi pas mal avec notre voisin de parking finlandais, Pekka, qui a déjà bien bourlingué (http://www.sarema.fi/) et dont le programme nous laisse songeurs : au moins lui, il n’a pas peur d’avaler des miles ! Son projet : Alaska to Alaska, en passant par le Brésil Buenos Aires, traversée de l’Atlantique vers l’Afrique du sud, traversée de l’océan Indien, puis Australie, Nouvelle-Zélande, et traversée du Pacifique, back to Alaska.

Un jour, on verra qu’un couple d’oiseaux est en train de préparer un nid dans le filet suspendu sous le panneau solaire. On serait restés longtemps à terre, on l’aurait bien laissé, mais là, on risque de se retrouver avec des becs orphelins à nourrir en pleine mer … Alors, me sentant un peu coupable quand même, j’enlève les brindilles tressées en cercle, presque sous l’œil accusateur des futurs parents perchés sur l’éolienne. Vraiment désolée !...

 

Les biquettes habituées du chantier

 

 

Des bordées taillées à la tronçonneuse

 

Eddy

 

Le nid en construction sous le panneau solaire

 

Hé non, il n'est plus là ...

 

Un oeil accusateur ...

 

Il y a aussi de la solidarité qui fait chaud au cœur : l’équipage d’Harpo qui vient en renfort pour l’antifooling, et Romain, qui tripatouillera les deux moteurs hors-bord avec Philippe.

Et des rencontres : une famille allemande (Hans, Eva, et leurs deux enfants Lola et Luca) sur un voilier alu, Kamiros, et avec un projet patagon (ils nous inviteront un soir à leur bord pour voir un film sur la Géorgie du Sud, histoire de nous motiver pour les hautes latitudes !), et Eric et Anne-Marie, sur leur bateau en bois Pollen, pour des soirées musicales guitares piano chant …

 

 

Gérard et Fanou, venus en renfort pour l'antifooling

 

Carriacou, c’est « le pays des récifs » pour les premiers habitants que furent les indiens Arawaks puis Caraïbes. L’eau potable, c’est l’eau de pluie seulement, il n’y a pas de sources. Tout le monde récupère l’eau, dans de gros réservoirs en plastique noir dressés près de chaque maison. L’année dernière avait été marquée par une sécheresse très sévère, et Carriacou avait dû faire venir de l’eau depuis Grenade.

L’approvisionnement est un peu fluctuant, dépendant des arrivages du ferry de Grenade. Sur de petits stands colorés en vert, jaune, rouge, les couleurs de la Jamaïque et du reggae (elles sont partout : maisons, voitures, bateaux, sandales, cheveux, …) plantés en bord de plage, des rastas cool vendent les productions de leurs jardins : concombres, calaloo (genre de grandes feuilles et côtes de bette), pastèques, mangues, papayes, …

De Carriacou, nous n’en verrons pas beaucoup plus, nous nous octroierons seulement deux petites balades pendant le temps du chantier.

 

Le mouillage de Tyrrel Bay vu depuis le chantier

 

Le bateau-atelier de Dominique

 

Little shop du Tyrrel Bay Yacht Club, près du chantier

 

Balade à la pointe sud avec Dirty

 

De délicates fleurs rose bonbon fichées dans de piquants coussins

 

Un pélican gris perché au bout du quai

 

Lundi 4 juillet, cette fois la mise à l’eau est pour aujourd’hui. Le moteur diésel du travel-lift semble bien poussif ? Philippe, avec son optimisme coutumier, pronostique : « Avec notre bol habituel, il va tomber en panne forcément aujourd’hui ». Mais non, il fume et démarre quand même, après que Paul y ait mis le nez et les mains pendant 10 minutes. Nous sommes en lévitation dans les bretelles, dérive descendue au maximum pour qu’on puisse travailler dessus. On laisse l’antifooling sécher quelques heures, puis nous voilà prêts pour la remise à l’eau, en milieu d’après-midi. Paul doit une fois de plus farfouiller dans les tripes huileuses du diésel …. A mon tour de jouer les Cassandres : et si l’on restait coincés là, à quelques mètres du sol ? Hé bien non même pas, crachant fumant, le portique nous dépose gentiment dans l’eau.

Et en plus, on flotte.

Ce qui ne gâche rien.

 

En lévitation ...

 

Alors, ça marche ou bien ?

 

Encore quelques mètres de promenade aérienne avant le retour à l'eau



18/07/2011
8 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 17 autres membres