A la sauce Mahonaise

À la sauce Mahonaise (entubés) …

 

 

… « C’est tout de suite l’aventure … » Il ne croyait pas si bien dire l’ami Georges … Ce vendredi 13 août 2010 (on aurait dû se méfier …) nous entrons dans la rade de Mahon, pas encore très bien fixés sur nos intentions. Guillaume, Valérie et Noé repartent avec le ferry dimanche matin, et avec ce coup de vent de nord-est, on hésite à descendre sur la côte sud de Minorque de peur d’avoir du mal à remonter. Mais peut-être y a-t-il des bus ? Bref, on décide de pousser jusqu’au port, voir les horaires de bus, les tarifs des places, etc. On traverse d’abord la zone de mouillage de Cala Taulera, beaucoup de bateaux, serrés, chaîne tendue, pas évident de laisser le bateau sans surveillance, sans personne à bord. On poursuit la route à travers le Canal de Alfonso XII, puis longeons l’Isla del Rey par le nord. C’est là que nous apercevons un gros ferry en train de sortir du port, impression de voir passer un immeuble entre les rives du chenal. Nous bifurquons sur tribord, il klaxonne, nous serrons encore plus sur tribord et accélérons pour lui laisser la place. A ce moment là, nous ne savons pas encore s’il compte passer au sud ou au nord de l’Isla del Rey. L’option sud nous semble la plus logique car le passage est plus large et plus profond. Nous redressons ensuite la barre pour éviter de heurter les pontons d’aquaculture situés entre la Cala de San Antonio et la Cala Rata, que nous serrons au plus près, et croisons alors le ferry, sur une trajectoire parallèle à une distance estimée de 30 à 40 m sur notre bâbord. Après le croisement, nous voyons la pilotine, qui suivait le ferry, faire demi-tour et sembler venir relever le nom du bateau. Mais sans plus, et on oublie ce petit (non)incident.

 

Nous continuons dans le port et nous apercevons Misaotra, le bateau des amis avec Marco et Guilhaine à bord, amarré à un quai, et nous décidons de les rejoindre. C’est le quai des pêcheurs, seul « quai d’accueil » de Mahon où l’arrêt n’est toléré qu’une heure ou deux … et tant que les pêcheurs ne sont pas revenus. Aussitôt amarrés, une voiture de la police portuaire s'arrête et des flics en uniforme descendent et relèvent le nom du bateau en griffonnant sur un carnet. Je vais leur demander ce qui se passe. Ils nous demandent les papiers du bateau, et nous arrivons à comprendre dans leur espagnol rapide que le pilote du ferry a porté plainte contre nous pour avoir coupé sa route. Nous sommes convoqués l'après-midi à la capitainerie. Ça y est, on est bons pour une prune … J’y vais avec Valérie alors que les bateaux sont expulsés du quai des pêcheurs pour laisser accoster les chalutiers qui rentrent. A la capitainerie, « el instructor » (qui heureusement parle anglais) nous apprend la mauvaise nouvelle : le pilote du ferry a porté plainte contre nous, le procès aura lieu d’ici un an. Comme nous sommes étrangers, les papiers du bateau sont confisqués, le bateau assigné au port de Mahon, et on ne pourra repartir qu’après avoir versé une sorte de caution, ou plutôt de garantie, dont le montant pourra être revu à la hausse ou à la baisse suivant le résultat du procès. « Combien la caution ? » demandai-je. « On se sait pas encore, 1000, 2000, 3000 … ou 12000 € » qu’il me répond. Gloups !!! Il attend un fax de Palma qui doit fixer le montant de cette foutue caution. Et Sahaya qui fait des ronds dans l’eau devant les fenêtres de la capitainerie … Le fax crache sa sentence : 3000 € ! Alors qu’il ne s’est rien passé ! Le motif : « infraction grave à la sécurité maritime et mise en danger des deux bateaux ». Franchement, y’aurait presque de quoi rigoler, le Martin i Soler, 162 m de long, fleuron de la flotte de Balearia, mis à mal par un voilier de 13 m à 3 nœuds. Petit mais costaud ! Bon, en attendant, ça ne nous fait pas rire du tout. C’est la grosse tuile. Je tique tout de suite sur le rapport du pilote, sur la distance à laquelle on serait passé devant la proue du ferry (30/40 m pour le capitaine, 40/50 m pour le pilote, pas possible ! On n’est jamais passé si près devant cet immeuble !), et sur le fait qu’on n’aurait pas répondu à ses avertissements. Si, on a accéléré la manœuvre de dégagement.

Ça se complique, car il faut que Philippe vienne en personne signer la déposition en tant que propriétaire du bateau. Valérie l’appelle. Il cherche alors une place pour mouiller, pas évident, beaucoup de fond et beaucoup de vent. Le temps de gonfler l'annexe, d'y installer le moteur, de parcourir les 3 miles, et de trouver un petit coin pas interdit pour amarrer l’annexe, il nous rejoint à la capitainerie. Il est complètement effondré … Nous avons 15 jours pour déposer un document (en espagnol) pour notre défense si nous voulons.

Les flics portuaires nous emmènent en voiture voir notre « place » : au fin fond du port de Mahon, derrière les ferrys, au « muelle del urgencia » des flics. Nous retournons tous les trois en annexe chercher Sahaya, et l’emmener dans sa « prison » …

 

Sahaya en prison au fond du port de Mahon

 

Prison dans laquelle il restera finalement 15 jours … Allez, on vous passe les détails de ces deux semaines dans la chaleur moite de Mahon, terribles pour notre moral, à osciller entre colère, rage, espoir et découragement. On envisagera même de partir en loucedé, de nuit, mais sans les papiers du bateau c’était risqué, et on ne connaît pas les moyens de la police (apparemment, ce sont de gros moyens !). Les journées s’écoulent, au début au téléphone pour chercher de l’aide auprès des consulats (« si c’est une affaire de justice, on ne peut rien pour vous, et si vous êtes en infraction, c’est que vous avez tort »), et de nos assurances (« Protection juridique » qu’ils disaient. Parlons-en ! Comme il n’y a pas eu d’accident, ils ne sont pas concernés, et ne consentiront même pas à un simple conseil juridique par téléphone). Dans les Cyber Cafés, ou assis sur un muret d’où on a repéré un accès Wifi gratuit, à chercher des conseils tous azimuts sur les forums et les sites de voyageurs, envoyer et répondre à des mails. A passer et repasser à la capitainerie, dans les administrations, à la banque. A tenter de rencontrer le pilote au moins pour voir à qui l'on a affaire et essayer de s'expliquer avec lui, mais il se débinera et ne répondra pas au message que je lui laisse. Nous passerons aussi du temps avec l’ex-consule de Minorque, qui nous aidera beaucoup dans les démarches.

Nous en apprendrons de belles sur les us et coutumes du port de Mahon, dont la réputation ne serait plus à faire : pilote imbécile, ivrogne notoire, caractériel et francophobe, mais néanmoins patron du port, main mise du privé pour faire le plus de fric possible (même pas de ponton d'accueil, tout est payant, pour un 13 m c’est de l’ordre de 130 € la nuit !), administration incompétente, etc.

Au ponton en fond de port, on fait la connaissance d’un skipper espagnol qui skippe un grand catamaran pour un couple de Français. Et bizarrement, il lui est arrivé très récemment presque la même histoire que nous : en entrant avec le cata dans le port de Mahon, il a croisé un ferry qui en sortait, et le pilote lui aurait fait un « cirque » pas possible, de grands gestes, sur-jouant un risque de collision qui n’existait pas. Et le skipper a lui aussi été mis à l’amende, il attendait le verdict (bien décidé à ne pas payer), mais en tant qu’Espagnol, il n’avait pas de caution à verser. Alors quoi ? Pilote problématique mais néanmoins couvert par sa hiérarchie ? Et/ou racket organisé ?

 

Heureusement, les amis et la famille nous soutiennent moralement, par téléphone, par mail, par la pensée. Rémi lance un forum pour nous aider sur Sail The World. Les parents de Philippe et sa sœur, Claudine, sont sur le pied de guerre à Balaruc. Le papa est mis à contribution pour la traduction de notre rapport de mer en espagnol. Claudine contacte des amis avocats londoniens, et par leur intermédiaire, nous sommes mis en relation avec un avocat maritime de Madrid qui, par amitié, s’occupe de notre cas pendant ses vacances ! Nous échangerons des mails, donnerons des infos « in » et « off », des cartes de notre trajectoire enregistrée par GPS. Le carré est transformé en bureau de la défense, on a tout sorti ! Ordi, scanner, imprimante, dictionnaires.

 

 

Pour notre défense, l’avocat ajoutera à notre propre rapport de mer une plaidoirie de près de 30 pages qui en reprend les éléments en les développant avec métier : que les ferrys pourraient passer au sud où ils ont plus de place, ou bien faire passer un bateau devant pour dégager la piste, qu’on n’était pas en risque de collision puisque le pilote n’a pas jugé nécessaire de manœuvrer, qu’on avait réagi aux avertissements, qu’on était de bonne foi et de bonne volonté, etc. Il ne nous reste plus qu’à attendre le résultat du procès.

 

Allez, la touche finale : nous payons la caution de 3000 € le vendredi 27 août au matin, auprès d’un autre gars de la capitainerie qui parle un peu français, et nous dit que ce principe de faire payer des cautions aussi faramineuses aux étrangers, quelle que soit l’infraction supposée, et quel que soit le bateau, le scandalise. « L’Espagne est folle. Ce sont les touristes français et italiens qui payent ses problèmes financiers ». Il nous souhaite bon voyage. En fin de matinée, nous avons la visite de deux flics portuaires venus nous faire signer la levée de la rétention du bateau, et nous disent que nous pouvons partir « quand nous voulons ». On demande s’il est possible de ne partir que dimanche matin, pour finir de se préparer et laisser passer un nouveau coup de vent de nord-est. Ils vont demander à leur chef et reviennent dans l’après-midi. L’après-midi passe, mais pas eux, on se dit que ce doit être ok. Erreur … Samedi matin, un petit flic teigneux déboule et nous demande de dégager. On a 5 minutes. On essaye d’argumenter, le ton monte, mélange d’espagnol, de français et d’anglais. Heureusement que notre panoplie de gros-mots espagnols n’est pas très étoffée sinon on aggravait notre cas … Il repart … et revient flanqué de deux collègues, dont l’un parle un peu français. Ah non, il faut vraiment qu’on s’en aille très vite, on en peut pas rester là, c’est le quai de l’urgencia des flics. Maintenant qu’on a payé la caution, il devient surtout urgent qu’on dégage.

Alors on part, en vrac, les vélos encore sur le pont, écœurés, et la rage au ventre.



02/10/2010
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